La FNSEA dépassée par son extrême droite

14 février 2025

Le syndicat patronal de l’agriculture vient d’être débordé en klaxonnant par la Coordination rurale dont on connaît les amitiés politiques. En cogérant l’agriculture avec le pouvoir en place, comme dans toute politique libérale, il a créé inégalités, pauvreté et colère dans une agriculture à deux vitesses. Et comme dans le reste du pays, cette colère a été siphonnée par l’extrême droite populiste.

Yves GUILLERAULT

Paysan et journaliste, tous les deux en retraite active

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Il existe une agriculture à deux vitesses © Julien Lagarde

Après les mobilisations d’agriculteurs début 2024, dans lesquelles les Jaunes de la Coordination rurale (CR) ont bruyamment fait le show, le deuxième syndicat agricole a taillé, lors des élections professionnelles, des croupières au premier, la Fédération nationale de syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et sa pépinière de jeunes plants, les Jeunes agriculteurs (JA), conquérant quatorze chambres.

Les exploitants de la FNSEA ne peuvent s’en prendre qu’à leurs dirigeants successifs qui ont étendu la main-mise de ce syndicat de patrons, d’industriels et de propriétaires terriens, sur l’ensemble de ce secteur économique primaire et stratégique, une hégémonie poussée à la pointe des fourches jusque dans le bureau de tous les ministres de l’Agriculture qui se sont succédé sous les ors de l’Hôtel de Villeroy, rue de Varenne.

Rejetant avec mépris toute pluralité dans les très nombreuses représentations institutionnelles et économiques de la profession, la FNSEA a laissé sur le bord du champ toute une frange d’agriculteurs qui n’avaient pas suffisamment l’esprit capitaliste. Conséquence : une grande partie d’entre eux n’ont pas revêtu de Gilets jaunes mais ont coiffé des casquettes de la même couleur pétante et revendicative.

Historiquement, née juste après guerre sur les ruines de la Confédération générale de l’agriculture (CGA), compromise avec le régime de Vichy, la FNSEA s’est bâtie sur un modèle de syndicat unique, interlocuteur exclusif et complice des gouvernements qui vont alors sacrifier la paysannerie, les bocages et de nombreux savoir-faire de terroirs pour « moderniser » (exploiter ?) le secteur. Pompidou sera le père du jugement dernier de millions de paysans, Joseph Courau (de1956 à 1963) et Gérard de Caffarelli (1963 à 1971), présidents de la FNSEA en poste, seront les bourreaux.

Politiquement et sociologiquement, tous les pontes de la FNSEA, jusqu’à l’agro-industriel Arnaud Rousseau, ont appliqué la même politique libérale que les gouvernements qui se sont succédé. 1 Avec les mêmes résultats : une économie agricole à deux vitesses, une partie des agriculteurs déclassée, prolétarisée, ubérisée, et la naissance d’une froide colère dans un milieu habituellement taiseux.

À l’image des classes populaires ou moyennes, reléguées dans les régions péri-urbaines par les CSP+ et la spéculation immobilière, appauvries par l’idéologie de la compétitivité et les impossibles arbitrages entre consommation et salaires asséchés, et qui se sont retrouvés sur les ronds-points, les exploités de l’agriculture, repoussés au fond de nos campagnes sortent les fourches.

Racines très droitières de la FNSEA et de la Coordination rurale

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Un des très nombreux syndicats agricoles qui existaient au début du XXème siècle © Halloween HJB

Au début des années 1990, la droitière FNSEA commence à se faire déborder par une dissidence qui naît sur l’attitude à adopter face à la nouvelle Politique agricole commune (PAC). La Coordination rurale est alors créée par trois agriculteurs du Gers, berceau historique de la contestation en jaune et récupère les mécontents, d’abord sous forme d’association, puis de syndicat en absorbant en 1995, la Fédération française de l’agriculture (Ffa). Cette dernière était déjà issue d’une scission avec la FNSEA en 1969. Héritière politique des agrariens de l’entre-deux guerres, nationalistes et corporatistes, elle déclarait alors « œuvrer pour la survie de la civilisation occidentale ».2

Très rapidement, la Coordination rurale est suspectée de connivences idéologiques avec l’extrême droite. Une accusation que ses responsables passés ont rejetés en accusant la FNSEA de propager la rumeur. En 2012, le Gersois Bernard Lanne, à l’époque président de la CR, reconnaît que la majorité des agriculteurs est ancrée à droite, mais que « si certains [d’entre nous] ont votés FN, c’est un vote contestataire comme ont pu le faire les ouvriers, ce n’est pas une adhésion pleine et entière aux valeurs et aux thèses du Front national ».3

Bien esquivé ! mais le cul des vaches n’est plus ce qu’il était. Sophie Lenaerts, aujourd’hui première vice-présidente du CR, peut plus difficilement décoller cette étiquette. Le 23 août 2024, elle participait à l’université d’été de l’Action française, groupuscule d’extrême droite, antirépublicain et antisémite. Sur scène, les drapeaux de la CR côtoient dans un beau dégradé de couleurs jaune et bleu les banderoles du groupe royaliste dont « Reprenons le contrôle ».Quelques mois plus tard, elle va s’épancher sur le site d’extrême droite Boulevard Voltaire.

Le site Basta.media a enquêté sur ces chaleureuses accointances et relève que la CR du Tarn-et-Garonne a invité Éric Zemmour le 15 novembre dernier pour parler de la crise agricole, ce dont ce dernier s’est vite vanté sur ses réseaux sociaux, « un moment fort qui restera gravé dans ma mémoire ». Celui qui l’a reçu n’est d’autre que Pierre-Guillaume Mercadal, condamné en première instance à un an de prison avec sursis et 17 500 euros d’amende (il a fait appel) pour avoir tourné avec un clip insultant avec l’influenceur et complotiste d’extrême droite, Papacito, visant des élus de sa commune avec qui il était en conflit. Que du beau linge.

Basta.media relève d’autres exemples tout aussi révélateurs comme dans l’Aude ou le Gard. Véronique Le Floc’h, présidente de la CR depuis 2022, qui a déjeuné avec Jordan Bardella lors du Salon de l’agriculture en 2024, elle-même en vedette sur le site Boulevard Voltaire le 16 décembre dernier,5 assume de plus en plus une proximité idéologique : « Au niveau agricole, si tout le monde avait le même discours qu’eux, je pense qu’on pourrait aller dans le bon sens. » 6 À la manœuvre également, Serge Bousquet-Cassagne, leader de la CR dans le Lot-et-Garonne et ex-président CR de la Chambre d’agriculture, multi-récidiviste des actions violentes et illégales. Il ne cache pas non plus ses sympathies pour le Rassemblement national. S’il n’a pu, selon Le Monde, obtenir de place sur la liste RN des Européennes de 2024, son fils a été élu d’opposition RN à Villeneuve-sur-Lot.

Les ravages d’un libéralisme subventionné sur l’agriculture

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Manifestation à Bruxelle pour une agriculture paysanne et écologique © FIANBelgium

À l’image du Front national, la Coordination rurale siphonne la colère de ceux qui sont restés au bord du champ, broyés par l’agriculture capitalistique et 2.0 promue par la FNSEA, celle qui « réussit », qui exporte, qui spécule et se gave comme des oies de subsides publics. Le mal est profond. Il ne subsiste que 400 000 agriculteurs (10 millions après guerre) dont la moitié va partir à la retraite d’ici 2035. Une opportunité pour tout capitaliste qui se respecte. La terre agricole, celle qui nourrit les populations, est une opération des plus profitables et des moins risquées lorsqu’elle est transformée en arme d’assujettissement à son système industriel agro-alimentaire pour une population qui n’a d’autre choix que de se nourrir.

Les investisseurs non agricoles détiennent déjà 14 % des surfaces agricoles, soit 640 000 hectares et une ferme sur dix.7 Une captation d’un capital foncier vital, transformé en usine à produire une nourriture viciée pour l’homme et allergique à l’écologie. C’est aussi un outil de travail confisqué aux paysans et confié à un prolétariat exploité. Ceux qui n’ont pas pu prendre le train de l’agrandissement foncier, de la très onéreuse technocratisation et mécanisation 2.0, de la financiarisation et de la spéculation, depuis quelques années, se suicident ou survivent dans la pauvreté, éreintés, ubérisés par des coopératives enracinées dans un capitalisme inhumain, mais international.

Tout ce que la FNSEA a porté avec les politiques en place depuis plus de 80 ans, avait pour but de faire de la France un des principaux acteurs mondiaux de l’agro-alimentaire, en sacrifiant ses paysans, sa production vivrière et ses terroirs. D’où une perte de sens qui voulait que les paysans alimentaient les villages de son pays jusqu’à la grande ville d’à côté. Quand la FNSEA chante en chœur avec le gouvernement « souveraineté alimentaire », elle pense marchés à l’export, cours mondiaux et cognac dans les verres en cristal des riches Chinois. La FNSEA prône le libéralisme économique, mais arguant de ce même alibi de souveraineté alimentaire, elle met des veto politiques sur les importations et les accords de libre-échange — qu’elle accepterait sous condition de pouvoir utiliser le dumping social et chimique — tout en empochant les subventions publiques à la production, prédatées en majorité par ses plus gros adhérents.

Dévalorisation d’un syndicat de gouvernement

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Tous les politiques aiment les vaches © UMP Photos

La Coordination rurale, qui se revendique « syndicat agricole 100 % agriculteurs », dispose donc depuis sa création d’angles d’attaque de la politique de la FNSEA, comme le Rassemblement national a ses angles d’attaques servis sur un plateau par la politique macroniste et ses avatars. Il est fort probable que l’encore premier syndicat agricole durcisse ses revendications, notamment à l’occasion du Salon de l’agriculture, pour ne pas se laisser déborder par son extrême droite. Comme la droite républicaine penche de plus en plus sur son côté ultra-droit pour raccrocher les wagons d’un électorat protestataire qui va pleurer sur l’épaule de la Marine.

La grande victime de ce virage dangereux en seront sans doute l’agriculture paysanne et écologique, et l’environnement et la santé des Français en général. Annie Genevard, ministre de l’Agriculture, n’aime pas l’écologie « punitive », terme popularisé par l’ex-socialiste Ségolène Royal, comme elle n’aime pas les gens du voyage, le mariage et la PMA pour tous et toutes… mais sympathise volontiers et depuis longtemps avec les membres éminents de la FNSEA, lors de l’exercice de ses mandats d’élue locale UMP.

Elle s’est engagée à ce que les revendications de casse des réglementations environnementales, qui protègent la population et plus largement le monde vivant des pollutions aux pesticides et autres joyeusetés, trouvent une traduction rapide « dans les cours de ferme », particulièrement celles de la FNSEA et de la CR. À commencer par l’exécution en place publique de l’Office français de la biodiversité (OFB), la police de l’environnement, tandis que les pollueurs ne sont plus des délinquants, encore moins des payeurs, et sont réhabilités. Les sénateurs macronistes et de droite en général, sont en train de lui faciliter la tâche après l’examen du projet de loi d’orientation agricole avec force amendements dépénalisant une grande partie des atteintes environnementales, qui ne seront de toute façon plus contrôlées puisqu’il n’y aura plus de contrôleurs.

La surenchère dans ce domaine est loin d’être terminée avec cet affrontement FNSEA vs Coordination rurale. La lutte sera âpre avec en vue, comme pour tous les tenants politiques d’un pouvoir, les prochaines élections et cette même dévalorisation d’un syndicat de gouvernement au profit d’un syndicat plus radical, à l’image de la chute de l’UMP ces dernières années, au profit de son extrême voisine idéologique.

En marge de ce champ de bataille pour le pouvoir, si la Confédération paysanne, véritable syndicat de paysans, gère désormais trois chambres (Ardèche, Corse et Guyanne), il sera intéressant de suivre trois expériences « alternatives » (Ariège, Moselle et Haute-Garonne) et notamment la prise de pouvoir des Ultras de l’A64 ‒ même si son emblématique meneur, Jérôme Bayle, n’a pas fait candidature ‒ à la chambre d’agriculture de Haute-Garonne, auparavant gérée par les Jeunes agriculteurs qui avaient pris le siège au nez et à la barbe de leurs aînés de la FNSEA lors des précédentes élections.

1. Les parenthèses gouvernementales de gauche n’ont pas, l’auraient-elles voulu, cassé ce monopole, n’ayant pas d’autres interlocuteurs suffisamment représentatifs et préférant une paix sociale dans ce secteur, ayant fort à faire par ailleurs.

2. Médard Lebot, Denis Pesche, Campagnes en mouvement : un siècle d’organisations paysannes en France, éd. Diffusion Charles Léopold Mayer (1996), p. 27.

3. https://www.sudouest.fr/economie/agriculture/la-coordination-rurale-n-est-pas-proche-du-fn-9300702.php.

4. https://basta.media/La-coordination-rurale-ce-syndicat-agricole-qui-flirte-avec-l-extreme-droite.

5. https://www.bvoltaire.fr/linvitee-quon-dise-a-verite-aux-consommateurs/.

6. https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-6h20/veronique-le-floc-h-les-producteurs-qui-vont-etre-prives-d-aides-seront-en-fait-prives-de-revenus-4081831.

7. https://terredeliens.org/national/actu/une-ferme-sur-dix-est-une-societe-financiarisee-rapport-terre-de-liens-28-02-2023/.

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