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Avec la non censure du budget Bayrou par le PS, alors que hier il votait la censure du budget Barnier pourtant moins austéritaire, l’accélération de la décomposition morale et politique des « élites » se passe sous nos yeux de manière parfois ahurissante.
Cet effondrement a eu lieu dans presque toute l’Europe. L’omniprésence de l’extrême droite dans les médias mainstream adossée au mépris de la démocratie et aux excès d’une violence verbale -pour le moment – contre ceux qui la défendent et qui restent à gauche, LFI en France, crée une atmosphère mentale de lynchage quotidienne quasi hystérique dans laquelle l’avenir du système toujours plus à droite est déjà écrit. Demain, il leur faudra faire allégeance à l’extrême droite, c’est-à-dire à Jordan Bardella après qu’ils aient écarté Marine Le Pen, au passé trop pénalisant, par un procès au mois de mars.
Cela n’a rien de spécifique à la France mais se retrouve dans le monde entier. Le retour des guerres commerciales par droits de douane interposés et l’économie de guerre avant la guerre tout court, couvrent une guerre de classe toujours plus affirmée au travers d’une nouvelle vague de licenciements et de remises en cause de droits démocratiques et sociaux multiples, droit de grève, au chômage, à la retraite. Dans cette atmosphère générale, il y a un lien entre le coup d’Etat des milliardaires américains et la trahison du PS. Ce glissement à grande vitesse à droite se retrouve aussi bien dans les délires de l’équipe Trump/Musk que dans la droite allemande qui brise le tabou d’une alliance potentielle avec l’extrême-droite rendant possible son accession au pouvoir pour la première fois depuis 1945, ou encore dans l’extrême-droite italienne au pouvoir qui essaie tout simplement de liquider le droit de grève.
Par-delà la concurrence exacerbée entre puissances économiques depuis la fin de la phase de la mondialisation, ce glissement très marqué à droite traduit une peur fondamentale des mobilisations populaires et cours ou qu’on voit poindre ici où là par les possédants. Leur volonté de faire vite traduit quand elle leur conscience que leur temps leur est compté avant que ces mobilisations populaires ne prennent elles-mêmes conscience de leur nombre et de leur force.
Dans ces mobilisations, en se limitant au monde occidental, il y a les succès économiques historiques des luttes de la classe ouvrière américaine que Trump/Musk voudraient stopper mais avec elles, les luttes et les succès certes moindres mais conséquents toutefois, des classes ouvrières britanniques, canadiennes, australiennes et néo-zélandaises. Et puis sur un terrain plus politique, il y a après le succès de la mobilisation en France qui a empêché le succès électoral du RN aux législatives, la mobilisation massive actuelle dans la rue en Allemagne contre l’extrême-droite et la droite en vue du scrutin du 23 février 2025. Mais plus significatif encore, il y a le renversement du président sud-coréen et le coup d’arrêt mis à son coup d’Etat et puis, plus proche de nous, la mobilisation depuis trois mois déjà des étudiants serbes qui emmènent derrière eux toute la population du pays dans une situation prérévolutionnaire, une sorte de mai 68 hivernal, avec un gouvernement qui peut tomber à tout moment, ce qui entraîne par effet boule de neige dans des processus similaires, le Monténégro et la Bosnie-Herzégovine tandis que les mobilisations en Slovaquie, déjà existantes, s’en trouvent renforcées et que le gouvernement y vacille. Ce sont les prémisses de la révolution à quelques encablures de l’Europe occidentale qui est encore protégée de la contagion par une presse aux ordres, mais ça pourrait bien ne pas durer.
Le glissement à droite des sommets de la majorité de ces pays a fait que souvent il n’y a plus de gauche ou même plus de réelle opposition institutionnelle, comme en Italie ou en Israël, ou alors même si elle existe encore comme aux USA ou en Allemagne, elle ne s’oppose plus vraiment mais accompagne les dérives. En même temps, si les partis d’opposition ont été détruits ou se sont soumis, ce n’est pas le cas de la société civile, des structures syndicales ouvrières de bases jusqu’aux organisations écologistes, féministes, anti-racistes ou antifascistes. Il s’est formé un fossé entre la population et ses institutions de représentation comme avec les partis ou directions syndicales qui agissent encore dans le cadre de ces institutions dégradées. C‘est ainsi la société civile elle-même qui défend les valeurs de la gauche avec ses propres méthodes de lutte qui ne sont plus guère électorales. Aux USA, aujourd’hui, la plupart des meures décrétées par Trump ont été suspendues par des juges, tandis que les premières mobilisations non négligeables contre ses attaques contre les migrants sont venues des réseaux sociaux. En Serbie ou au Monténégro, tout est venu des étudiants. Tout cela parce que les limites du système lui-même apparaissent à un nombre croissant de personnes, et notamment de jeunes, à mesure que se propage sa décomposition et que les sommets de la société et des institutions sombrent dans la pourriture. Dans chaque pays et dans le monde, de plus en plus de gens ont toujours plus à perdre et toujours plus à gagner à se rebeller, et à le faire par eux-mêmes.
L’avenir du monde est en train de se construire dans cette désobéissance civile qui est dans l’air du temps et qu’on voit se propager partout sur la planète. Sa pointe de lance la plus efficace est la grève générale parce qu’elle bloque les ressources de l’adversaire mais surtout parce qu’elle facilite l’auto-organisation, l’embryon du gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, le seul moyen de stopper cette course à la folie, la guerre et la destruction de la planète.
En France, la capitulation du PS a accéléré le glissement des sommets à droite avec la mise immédiate au débat de la remise en cause du droit du sol comme Trump en a fait un de ses premiers décrets. Mais ils auraient tort de se réjouir trop vite.
La relative « stabilité » du gouvernement Bayrou acquise par le soutien du PS va ouvrir paradoxalement la porte à une vague de luttes économiques qui mettront au centre de l’actualité et de l’agenda politique non pas le racisme comme le voudraient les classes bourgeoises pour préparer les prochaines élections mais la question sociale.
La faiblesse des gouvernements issus du coup de force de Macron en juillet ne reconnaissant pas le résultat des législatives était dû, sur cette ligne, à l’opposition politique du NFP. En même temps, celui-ci canalisait toute opposition dans les voies parlementaires empêchant de toutes ses forces que cette contestation puisse s’associer à celle de la rue. On a pu le voir le 7 septembre 2024 lorsque de la mobilisation de la jeunesse pour destituer Macron a été violemment dénoncée par les directions syndicales. On l’a vu encore lorsque les mobilisations ouvrières montantes tout du long de novembre devaient déboucher sur une semaine du 5 au 12 décembre où convergeaient les luttes montantes enseignantes, celle de la fonction publique, des dockers pour la retraite, la grève illimitée des cheminots et la première riposte coordonnée des ouvriers menacés de licenciements. Alors que Barnier allait tomber, tout a été fait pour éviter que cette chute ne puisse être associée à une montée en puissance de la classe ouvrière et qu’elle n’y trouve pas un encouragement politique sur son terrain de lutte. On a alors assisté à un véritable sabotage de cette semaine. Ça a été le renoncement à la grève des cheminots pour certains ou à son caractère illimité pour d’autres en échange de miettes, le renoncement à une suite organisée au succès enseignant du 5 décembre pour le reporter en 2025, l’ajournement de la grève des dockers à 2025 ainsi que d’autres renvois de grèves à plus tard. Tout a été fait pour qu’il n’y ait pas fusion du combat économique et politique, coordination des combats de rue et de ceux dans les institutions, la seule vraie garantie pour le pouvoir de ne pas être renversé. Puis, alors que le gouvernement Bayrou n’avait jamais été aussi faible et que c’était l’occasion ou jamais de contester sa poltique dans la rue, les directions syndicales étaient absentes et LFI ne s’y risquait pas. Mais maintenant que la stabilité du gouvernement Bayrou est plus ou moins garantie par le PS, en tous cas pour un certain temps, et avant le lancement d’une campagne électorale, il y a un laps de temps où les gardes fous syndicaux vont se détendre et laisser la colère ouvrière contenue depuis décembre s’exprimer à nouveau. On le voit déjà au nombre de luttes ascendantes et d’ampleur ces jours-ci notamment autour des NAO ou des licenciements, Thalès, STEF, Alstom, Total, Lidl, Carrefour, Vencorex, Arkema, Michelin… et où donc, le « tous ensemble » économique retrouvera sa nécessité et la grève générale son opportunité. A cela s’ajoute comme facteur unifiant et généralisant possible, les luttes des étudiants pour défendre les budgets des universités dont on voit poindre le nez ces derniers jours à Rennes, Nantes ou Brest. Or, dans l’air du temps actuel, tout conflit pour peu qu’il ait suffisamment d’ampleur peut prendre un caractère politique. Le gouvernement Bayrou retrouvera à nouveau sa faiblesse congénitale, non plus du fait des combats institutionnels au sommet qui sont toujours des impasses, mais par le mouvement social, qui ouvre de vrais horizons par exemple par ses étudiants sans barrières nationales pouvant ouvrir les portes au mai 68 venant de Serbie.
Du rêve tout cela ? Peut-être. Mais on n’a jamais été aussi près de sa réalisation.
Jacques Chastaing 9 février 2025
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