François Bayrou aurait, cette semaine, franchit à nouveau de décisifs obstacles. Beaucoup de bruit est fait à propos de la trahison que constituerait le non-vote de la censure par le PS. Ce bruit cache les données fondamentales de la situation, alors qu’il est essentiel au capital et à son Etat que la majorité ne les voient pas.
Ainsi donc, « les Français » voudraient « la stabilité » et Bayrou serait en train d’y arriver, le NFP étant divisé et, au fond, mort : voilà la version médiatique dominante.
Ou alors, « le nouveau peuple » serait empêché de « dégager Macron » tout de suite par « le PS », le NFP étant divisé et, au fond, mort : voilà la version « insoumise ».
Les deux versions ont un recoupement, on l’aura remarqué : le NFP et, au-delà du NFP, l’unité de la majorité, des exploités, des opprimés, n’existerait pas. A cause de la nature des choses dans le premier cas, à cause du « PS » dans le second. Dans l’un et l’autre, le renversement réel de Macron et de la V° République sont donc présentés comme impossibles : l’idéologie dominante dans ses différentes figures a effectivement pour fonction de faire croire à l’impuissance, et à l’impossibilité de toute révolution.
Réfléchir avec sa tête demande de recadrer la situation française dans sa dimension réelle. Et celle-ci, pour commencer, est internationale.
Make Europa Great Again = décadence de l’Europe.
L’extrême-droite est là pour nous le rappeler. A Madrid se réunissent ces deux derniers jours les « Patriotes pour l’Europe » : le RN français, le parti au pouvoir de Victor Orban en Hongrie, les « Libéraux » héritiers des nazis en Autriche, dont le chef Herbert Kickl est en charge de la formation du gouvernement, le Vlaams Belang flamand dont le chef Bart De Wever vient d’accéder à la tête du gouvernement belge, Vox, « post-franquiste », en Espagne, Chega au Portugal, et la Lega de Matteo Salvini en Italie, notamment.
Tout ce beau monde, Le Pen, Orban et Salvini en tête, sont réunis autour d’Elon Musk, le milliardaire fou aux saluts nazis, qui dirige l’offensive anti-services publics la plus violente de l’histoire des Etats-Unis.
Les choses sont claires : l’extrême-droite européenne est au service des forces de l’Axe. L’Axe ? Oui, l’Axe : Trump-Musk-Poutine.
Leur slogan Make Europe Great Again n’est pas le slogan de la grandeur européenne, mais celui de la colonisation de l’Europe par l’Axe. S’il faut un slogan à la guerre qui vient pour la démocratie en Europe, contre l’Axe, il ne saurait se calquer sur cette LTI qu’est la Lingua Trumpii Imperii (1), mais sur l’ukrainien, l’une des langues du peuple qui a dû le premier entrer dans cette guerre : Slava Europa !
Les extrêmes-droites « européennes » sont divisées et c’est, actuellement, par en haut, par la puissance financière, mystico-médiatique, et coloniale, qu’elles sont en train d’être unifiées : cette puissance porte le nom d’Elon Musk.
Le Pen, Orban, Abascal et Salvini sont courbés, à Madrid, autour d’Elon Musk le milliardaire fou, l’infantile tout puissant : la voilà, leur Europe, l’Europe décadente de la décadence impérialiste !
Le même Musk dirige virtuellement l’autre coalition européenne d’extrême-droite, celle de l’AfD allemande, et de plusieurs petits partis dont, en France, Reconquête (Zemmour et Sarah Knaffo). Officiellement Marine Le Pen et Jordan Bardela ont récusé l’AfD parce que le passé SS, le passé nazi, n’y est pas récusé. N’oublions pas que, selon les médias français, Le Pen et Bardela « luttent contre l’antisémitisme » !!!
Musk, et son double salut nazi, les a rassemblés sous son égide, en même temps qu’il pilote l’AfD, en vue de faire tomber le domino allemand, le 23 février prochain.
Pas par une majorité AfD, mais par une confusion totale dans laquelle l’AfD, la « gauche » de BSW (Bundnis Sarah Wagenknecht) et des pans entiers sinon la totalité de la CDU-CSU, formeraient une coalition.
Sara Wagenknecht à gauche et Alice Weidel, dirigeante de l’AfD, à droite.
Le troisième bloc d’extrême-droite à l’échelle européenne, les « Conservateurs et réformistes européens », est principalement constitué des Fratelli d’Italia de la première ministre italienne Giorgia Meloni, et du PiS polonais. Meloni arrivée au pouvoir avait choisi une posture diplomatique atlantiste et anti-russe, et le PiS polonais peut difficilement être poutinien, car il est … polonais. Mais là encore, Elon Musk fait le lien … avec Poutine.
Meloni a offert à son « génie » – car elle l’appelle « mon génie » : Elon Musk – les clefs des communications satellitaires italiennes. Le PiS de son côté vante les vertus du trumpisme …
Musk fait le lien de toutes les extrêmes-droites européennes avec Poutine et les rassemble dans la perspective d’une Europe vassalisée dans le cadre de la multipolarité impérialiste, par Trump à l’Ouest et par Poutine à l’Est, l’Allemagne devant être le nœud de cette double domination.
En outre, avec le BSW en Allemagne, Cinque Stelle en Italie, le SMER-SD du poutinien Fico au pouvoir en Slovaquie, nous avons le prolongement « populiste de gauche » du regroupement des forces poutiniennes en Europe, se positionnant autour de l’Axe Trump-Musk-Poutine.
Ici les passerelles et les voies de pénétration vers LFI ne manquent pas (les liens entre le POI et BSW compris), bien que LFI ait été intégrée à l’unité contre le danger Macron/Bardela et donc au NFP : ses tentatives de s’en défaire une fois pour toutes ont pour cause médiatique et apparente un discours « gauche » sur un prétendu « nouveau peuple de France », dont on vient de voir à Villeneuve-Saint-Georges qu’il ne suit pas. Là derrière, il y a, là aussi, les regroupements internationaux pour ou contre l’Axe.
C’est tout cela, Make Europe Great Again. Ils disent vouloir nous protéger de la « submersion » migratoire, mot repris par Bayrou. Mais ce sont eux qui veulent nous « remplacer » : les attaques contre les migrants sont des attaques qui visent toute la population. Il n’y aura ni peuple reformaté, ni « nouveau peuple » : laissons les peuples bouger, migrer, s’unir et lutter !
Ce que Trump annonce à Gaza, à quoi Netanyahou s’accroche comme à sa dernière planche meurtrière de salut, concentre cette volonté de formater les peuples, d’en éliminer certains, d’en déplacer d’autres à son niveau le plus ubuesque et le plus criminel.
Starmer, Sanchez, Scholz ou Tusk ne sauraient mener quelque résistance sérieuse que ce soit à l’Axe, eux dont les politiques néolibérales lui ont pavé la voie, eux qui ont suivi Biden pour que l’Ukraine ne puisse gagner, eux qui ont également cautionné avec lui les crimes de masse à visée génocidaire de Netanyahou.
Et Macron est pire encore : il voulait établir en France un régime à la Musk, il a failli réaliser un gouvernement avec Bardela, il a proposé que l’Ukraine fasse des « concessions territoriales », etc., etc.
Si la social-démocratie veut résister à l’Axe elle devra rompre avec les libéraux et les démocrates-chrétiens, et donc probablement se casser elle-même.
La résistance et la contre-offensive démocratique se préparent en bas, de la résistance armée et non armée de la nation ukrainienne à la force de base qui, en France, a empêché un exécutif Macron/Bardela.
La résistance et la contre-offensive seront démocratiques, syndicalistes, féministes, écologistes, prolétariennes.
Alors, voyons la France, dans ce cadre : Macron a perdu, il voulait battre la classe ouvrière, le monde du travail, par une défaite à la Thatcher sur les retraites en 2023. Il n’a pas été renversé car les directions syndicales n’ont pas voulu de la centralisation contre lui, mais il n’est pas arrivé à ses fins et, dés lors, il est parti à la dérive. Ce furent le « choc des savoirs » contre l’école et la jeunesse, la « loi Immigration » avec le RN, puis la dissolution. Là, les rapports de force sociaux ont bloqué la dérive, par le moyen du NFP.
La question en France est celle de la démocratie : un gouvernement qui hausse les salaires, sauve les services publics, abroge la réforme Macron des retraites, appelle à la lutte climatique, s’est dessiné comme possible en tant que gouvernement du NFP, qui ne pouvait être imposé que contre le président Macron, conduisant donc à un changement révolutionnaire de régime politique, mettant fin à la V° République et instaurant un processus constituant démocratique.
Un tel gouvernement, qui aurait été, de plus, un gouvernement féministe marquant, c’est ce dont la démocratie a besoin en France, aujourd’hui, contre l’Axe Trump-Musk-Poutine.
La question de la démocratie en France et la question du coup d’arrêt à l’Axe en Europe fusionnent, ainsi bien entendu que les questions sociale, féministe et écologique.
Ce qui a préservé Macron et la V° République depuis un semestre en France, c’est, d’une part, la protection apportée par ce parti clef de la V° République qu’est le RN au gouvernement Barnier, qu’il a lâché lorsque la poussée sociale s’est affirmée, puis au gouvernement Bayrou.
C’est, d’autre part, l’impuissance parlementaire des groupes du NFP (rappelons qu’Eric Coquerel était sûr de lui en août dernier en affirmant que la loi Macron sur les retraites serait abrogée avant Noël !!!), et c’est le choix politique des directions syndicales de ne pas avoir poursuivi dans la voie du NFP tout en ne centralisant pas les mouvements sociaux contre cet exécutif pourtant faible, minoritaire et illégitime.
C’est dans ce cadre que s’inscrit le choix dangereux du groupe parlementaire PS de ne pas voter les motions de censure successives contre Bayrou. Pression de Hollande et de ses partisans il y a eu bien entendu, mais la raison décisive de ce choix est l’enlisement, l’impression que les choses vont durer, la préférence pour la durée et le calendrier institutionnel, et la peur panique que les choses s’accélèrent. Le choix de la majorité des députés PS est gouverné par la peur, pas, à ce stade, par un plan visant à faire un bloc politique avec les macroniens.
Ils ont mal digéré l’expérience de la chute de Barnier : si le RN l’a lâché c’est par peur sociale, la journée du 5 décembre, pourtant pas une très grande journée de lutte, mais une grève politique massive dans l’enseignement public couplée à la montée de luttes contre les plans de licenciements, a provoqué cela avant même d’avoir lieu.
Alors que le RN protège Bayrou d’une censure, ce mauvais choix du PS a été dénoncé par LFI en des termes d’une violence qui nous ramène directement aux campagnes sauvages de division du PC allemand, sur ordre de Staline, qui ont fait gagner Hitler.
Olivier Faure est associé à Marine Le Pen, systématiquement, sur affiches et visuels (le bon parlementaire Coquerel et certainement beaucoup d’autres en sont gênés !).
Notons ce détail : la cible n’est pas Hollande, c’est Olivier Faure, qui a agi à sa façon pour l’existence du NFP, la présence du PS en son sein, et la désignation de Lucie Castet comme candidate première ministre, le tout contre les « hollandais » – c’est bien cet ensemble de choix qui, pour la direction de LFI, doivent être expiés.
La vraie cible n’est pas le PS, c’est le NFP.
L’acte de sainte trouille des députés PS justifie-t-il la destruction du NFP ? Evidemment non. Que des militants formatés à voir dans ce fétiche, « le PS », la cause de tous les maux, marchent là-dedans, n’a rien que de très banal. Mais le choix des messages lancés par la direction de LFI et par le POI (sa garde prétorienne) ne peuvent pas s’expliquer par la sainte détestation de François Hollande (que la mémoire sociale collective a assigné dans le placard du mépris depuis longtemps) et encore moins par celle d’Olivier Faure. Il y a autre chose.
Cet autre chose est la situation internationale.
Campiste, soit par poutinisme, soit par « souverainisme », le tout recouvert de phrases gauchistes, et bonapartiste, prétendant faire advenir une VI° République par le biais d’un Chef suprême élu président, la direction de LFI est structurellement opposée au renversement de la V° République par un affrontement social majoritaire en France, de même qu’elle est structurellement opposée aux formes démocratiques d’organisation du mouvement ouvrier.
Car non seulement ce serait une victoire démocratique et prolétarienne en France, mais ce serait une condition de la victoire dans la guerre qui vient, et cela d’abord par la force entrainante de la révolution, seule capable d’éviter la guerre proprement dite.
La violence extrême de la campagne de division lancée par LFI au motif de la non-censure de Bayrou par les députés PS a pour fonction de protéger jusqu’en 2027 les institutions de la V° République en évitant ainsi une transformation démocratique de la France qui serait le plus grand défi, la plus grande menace, contre l’Axe Trump-Musk-Poutine.
* * *
C’est pourquoi il me faut souligner, en contrepoints à la « non-censure du PS » et à l’offensive de division au compte de la V° République et de l’Axe Trump-Musk-Poutine, un évènement de dynamique opposée, un évènement fort quelles qu’en soient les limites, auquel j’ai eu la fierté, il faut le dire, de participer, comme délégué à un congrès syndical, celui de la FSU, à Rennes cette semaine.
L’évènement, c’est la venue de Sophie Binet, dirigeante de la CGT, et le contenu de son intervention. « Contre l’ordre de Trump, Musk, Poutine et Netanyahou », nécessité d’un « front populaire » dans lequel « les syndicats peuvent être la force entrainante de l’unité » – intervention précédée d’une salle scandant Unité et suivie du chant de l’Internationale. Les délégués avaient conscience d’agir à contre-courant de la division des dirigeants PS et LFI.
Je reviendrai dans un autre article sur ce congrès lui-même et je ne prétendrai pas que ce discours ne comportait pas de contradictions, puisqu’il défendait en même temps la participation au conclave de Bayrou comme constituant « un pied dans la porte » pour pouvoir mobiliser pour l’abrogation de la loi retraite …
Mais ce qui s’est passé dans la couche militante des délégués FSU (et des représentants d’autres syndicats) à ce moment là de la journée de jeudi dernier, fut analogue à ce qui s’est passé dans tout le pays dans la journée du 10 juin dernier, au lendemain des élections européennes et de la dissolution. C’est, au niveau des militants, une manifestation de la force et des possibilités réelles du moment présent. Sophie Binet elle-même ayant relié ce sentiment à la situation internationale.
L’étau dans lequel est pris le continent européen va intensifier l’inévitable décantation de la situation sociale et politique en France.
Il est de la responsabilité des groupes tels qu’Aplutsoc, à l’Après, aux couches organisées qui saisissent peu ou prou la dimension de l’affrontement, national et international, qui est devant nous, d’œuvrer à cette clarification, à cette décantation, pour que les inévitables affrontements sociaux aillent vers la victoire, c’est-à-dire vers le renversement du régime existant en France, condition pour que le RN n’arrive pas au pouvoir et ne fasse par régner la nuit décadente des Trump, des Musk et des Poutine, ses parrains.
Vincent Présumey, le 8 février 2025.
(1) LTI : Lingua Tertii Imperii, titre d’un important livre de Victor Klemperer sur les pratiques langagières du nazisme.
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