Nouveau seuil de TVA : devant la levée de boucliers, le gouvernement suspend sa mesure pénalisant les micro-entreprisesLe FN face à ses contradictions

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Une poignée d’heures après l’adoption définitive du budget, le ministre de l’économie Éric Lombard a annoncé une suspension en catastrophe de la mesure qui prévoyait d’assujettir à la TVA les petites entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 25 000 euros annuel. Un coup très rude qui menaçait la survie de centaines de milliers de micro-entreprises.

Cécile Hautefeuille

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Les cris de protestation ont été immédiats, et ils ont été entendus. Jeudi 6 février au 20 heures de France 2, le ministre de l’économie Éric Lombard, a annoncé la suspension provisoire du nouveau seuil d’exemption de la TVA pour les auto-entrepreneurs, qui devait entrer en vigueur le 1er mars et s’appliquer rétroactivement au 1er janvier. Le montant du chiffre d’affaires au-delà duquel une entreprise est assujettie à la TVA devait fortement baisser, passant de 85 000 euros à 25 000 pour le commerce de biens, et de 37 500 euros à 25 000 euros pour les prestations de service.

Un changement brutal et non anticipé par le milieu des travailleurs et travailleuses indépendant·es, dont une bonne partie, à la santé financière fragile, redoutait de mordre la poussière. « Nous avons entendu les demandes des autoentrepreneurs. Véronique Louwagie [ministre déléguée du commerce – ndlr] va lancer une concertation afin d’ajuster cette mesure si c’est nécessaire. Et pendant cette concertation, cette mesure sera suspendue », a annoncé Éric Lombard.

Ce revirement, intervenu quelques heures à peine après l’adoption définitive du budget au Sénat, vient soulager les fortes craintes exprimées devant l’instauration du « seuil unique » au-delà duquel les entreprises ne devaient plus être exemptées.

Cette dispense, également appelée « franchise en base de TVA » n’était ni un cadeau fiscal, ni un privilège. Elle permettait aux entreprises concernées de ne pas encaisser la TVA auprès de leur clientèle – donc de ne pas la reverser à l’État – et en contrepartie, la TVA sur leurs achats n’était pas remboursée.

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Éric Lombard à l’Assemblée nationale, le 5 février 2025. © Photo Xose Bouzas / Hans Lucas via AFP

« Désormais, tout auto-entrepreneur qui va dépasser 25 000 euros de chiffre d’affaires devra collecter la TVA pour l’État, expliquait avant le changement de pied du gouvernement Grégoire Leclercq, président de la fédération nationale des auto-entrepreneurs (FNAE). Pour ça, il y a deux solutions : soit le client accepte de voir le prix augmenter de 20 % soit il refuse et c’est l’auto-entrepreneur qui va devoir payer la TVA de sa poche. Par exemple, sur 100 euros facturés, il ne lui restera que 83 euros », poursuivait celui qui a lancé une pétition contre la mesure, ayant déjà recueilli plus de 100 000 signatures.

« 250 000 à 300 000 auto-entrepreneurs, au minimum, sont concernés, s’alarmait-il. À ces chiffres, vous pouvez ajouter 100 000 entrepreneurs individuelqui ne sont pas auto-entrepreneurs mais sont aussi en franchise en base. » Il détaille : « Ça va toucher le BTP, le service à la personne, toutes les activités de soin mais aussi le petit commerce, les food trucks, les brocanteurs, les créateurs, les ventes à domicile… C’est énorme. »

Depuis l’annonce de l’adoption de cette mesure, la panique était totale. « Je reçois des centaines et des centaines de messages, raconte Juliette Bazenet entrepreneuse de 34 ans dans le secteur de la vente de vêtements de seconde main et qui a publié un post sur le compte Instagram de sa friperie pour alerter sur le sujet. La portée a été incroyable, le post a été vu par plus d’un million de personnes et plein de gens viennent me dire qu’ils sont désemparés, qu’ils vont devoir arrêter leur activité. D’autres écrivent parce qu’ils ne comprennent rien à cette disposition. »

Mesure rétroactive

Juliette Bazenet est en micro-entreprise depuis six ans. Outre la vente en ligne, elle a une boutique de friperie, à Lyon. Dans son secteur, le seuil de franchise devait passer de 85 000 euros à 25 000 euros de chiffres d’affaires et elle se sentait coincée : « Je ne peux pas augmenter mes prix sinon je vais perdre mes clientssurtout au vu des difficultés liées au pouvoir d’achat. Ces 20 %, je vais devoir les absorber sur mon chiffre d’affaires et donc mes revenus. »

Selon elle, un chiffre d’affaires de 40 000 euros annuels permet « de se verser un salaire décent » et la nouvelle mesure allait taper fort : « On perdra entre 800 euros et 1 000 euros par mois. Pour la plupart d’entre nous, ça reviendra à se rémunérer sous le Smic, c’est une certitude. L’impact est absolument énorme et on est complètement alarmés. » Elle disait s’attendre à « une hécatombe » d’ici à cinq mois. « Il y aura plein de micro-entreprises qui, quand elles auront dépassé le seuil des 25 000 euros, fermeront leur boîte. C’est la mort assurée. »

Claudia Kasper, secrétaire médicale indépendante dans le Bas-Rhin, entrevoyait elle aussi le pire. « J’ai sept clients réguliers. Si demain ils refusent de payer 20 % de plus et me disent “c’est fini”, je n’aurai plus rien. J’ai 54 ans et j’ai beau tourner le problème dans tous les sens, je ne vois pas de solution. Est-ce que je retourne dans le salariat ? Est-ce que j’essaye de trouver des clients qui peuvent récupérer la TVA ? Franchement, je ne sais pas… »

« Un aspirateur à fraude »

En appliquant ce seuil unique de dispense, l’État espérait récupérer 400 millions d’euros. Une « fausse bonne idée » selon Grégoire Leclercq. « Ces 400 millions, ils ne les toucheront pas ! Les indépendants vont soit sous-déclarer leur chiffre d’affaires pour rester sous le seuil soit dupliquer les entreprises. C’est assez classique : vous inscrivez le conjoint ou la conjointe en auto-entrepreneur et vous le faites facturer à votre place. » Selon lui, cette mesure est « un aspirateur à fraude » qui fera, en plus, perdre à l’État des cotisations sociales.

L’effet domino ne s’arrête pas là. Fabrice, antiquaire en Touraine, redoute « un impact en cascade sur les petites villes » dans lesquelles « beaucoup de petits commerces auto-entrepreneurs ou micro-entrepreneurs se sont installés ». Leur fermeture serait, selon lui, une catastrophe et irait à rebours des investissements des pouvoirs publics : « L’État a dépensé des sommes importantes pour faire vivre les programmes “cœur de ville” visant à réintroduire de la vitalité dans des centres-villes ou centres-bourgs en déshérence. Sans être alarmiste, je mets ma main au feu que dans les années qui viennent, tous ces petits commerces vont disparaître parce que je ne vois pas comment sauver ceux qui génèrent des chiffres d’affaires autour de 40 000 ou 50 000 euros ! »

Lui non plus ne sait pas comment il va faire si la mesure entre en vigueur. « On est déjà au taquet au niveau clientèle, on ne va pas l’élargir en augmentant nos prix, ça ne marche pas comme ça ! », s’agace Fabrice, qui dénonce aussi une mesure sortie de nulle part. « J’ai un ami qui travaille dans un service fiscal, il est chargé du recouvrement de la TVA. Je l’ai appelé pour avoir des informations et il tombait littéralement des nues, il n’avait jamais entendu parler de ce dispositif ! » Claudia Kasper non plus n’avait rien vu venir : « Ça a été la surprise totale. Abaisser le seuil à 25 00euros de chiffre d’affaires, c’est tellement peu, j’ai cru à une blague ! »

Grégoire Leclercq tance de son côté « un truc pris à l’arrache par le gouvernement pour se faire une petite gratte, une aubaine budgétaire » et le résultat d’une « guerre fratricide » qui se joue entre les auto-entrepreneurs et les artisans commerçants membres de l’U2P, l’union des entreprises de proximité. « L’U2P est en embuscade, croit-il savoir. Elle a toujours considéré le régime auto-entrepreneur comme un concurrent déloyal qui fonctionne plus simplement, et mène une lutte contre lui. »

Fronde politique et syndicale

Dans un communiqué publié le 6 février, l’union des entreprises de proximité évoque « un budget imparfait mais nécessaire » et glisse, à propos de la franchise TVA, que « cette mesure est de nature à simplifier les seuils nationaux […] et surtout à limiter les distorsions de concurrence, en France et en Europe ». L’U2P « demande qu’une attention particulière soit portée à certaines professions pour la mise en œuvre de cette mesure » tout en regrettant « vivement l’absence de concertation préalable ».

Grégoire Leclercq ne peut qu’abonder : « Cela a été décidé sans aucune étude d’impact ni concertation », contrairement aux affirmations de la ministre en charge des comptes publics. Sur Public Sénat, Amélie de Montchalin vante un « budget de compromis » et évoque, à propos de la TVA, « un sujet qui est depuis très longtemps sur la table » et l’une des mesures « sur lesquelles il y avait consensus ».

Depuis l’adoption du budget, la fronde syndicale et politique s’est rapidement organisée et est vite montée en intensité. La France insoumise a annoncé sur France Info le dépôt d’une proposition de loi pour abroger la mesure, quand le Rassemblement national a lancé une pétition contre le « racket des indépendants ». Grégoire Leclercq, lui, espérait un projet de loi de finances rectificatives pour supprimer la disposition. « Ils se sont dit que sur un malentendu, ça pouvait passer mais c’était sans compter sur notre vigilance et on va leur faire comprendre assez vite ce qu’on en pense », glisse-t-il, à propos du gouvernement.

Le syndicat des indépendants et des très petites entreprises fustige « une logique purement comptable de court terme et, pour tout dire, à courte vue » et la Confédération nationale des petites et moyennes entreprises (CPME) demande également le retrait de la mesure à l’instar de l’union des auto-entrepreneurs qui la qualifie « d’ineptie […] qui va pénaliser les travailleurs les plus pauvres ».

Rappelant que le statut de micro-entrepreneur est souvent « précaire et pas confortable », Juliette Bazenet conclut : « Cette disposition, ce n’est pas qu’on ne veut pas l’appliquer, c’est qu’on ne peut pas ! Même avec toute la bonne volonté du monde, on ne peut pase soumettre à de nouvelles charges. Ça ne tient padebout. »

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