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Le Premier ministre a bien couvert une immense affaire de violences physiques et sexuelles commises au sein de l’établissement scolaire de Notre-Dame-de-Bétharram. Face à ce scandale, il faut exiger sa démission et celle de Macron, qui continue d’avoir la main sur les nominations gouvernementales.
12 février
Capture d’écran : LCP
À peine une semaine après avoir échappé à une double motion de censure, le premier ministre François Bayrou s’empêtre dans ses silences et ses mensonges au sujet de l’affaire des viols de Bétharram. Cette vaste affaire a mis en lumière un demi-siècle de violences physiques et sexuelles à l’encontre des élèves de l’établissement scolaire privé de Notre-Dame-de-Bétharram, à 30 km de Pau, avec la bénédiction et la complicité des notables politiciens locaux. Une enquête de Mediapart démontre preuves à l’appui que Bayrou, qui a scolarisé deux de ses enfants à Bétharram, était au courant des accusations de violence dès les années 1990, tout en restant un soutien indéfectible de l’institution catholique.
Un système de violence et de pédocriminalité profondément institué
L’affaire de Bétharram a pris de l’ampleur à partir d’octobre 2023, alors qu’une victime a choisi de lancer sur Facebook un groupe de discussion d’anciens élèves pour dénoncer les violences subies durant leur scolarité. Depuis, les plaintes se sont multipliées, pour atteindre 112 dépositions à ce jour. Ces plaintes lèvent le voile sur un vaste système de pédophilie et de pédocriminalité qui a existé depuis plus de 50 ans, brisant des centaines de vies d’élèves qui l’ont subi.
Les plaintes, qui mettent en cause une vingtaine de personnes parmi les anciens surveillants et prêtres de l’institution, font état d’une violence omniprésente dans leurs rapports avec les élèves. Punitions physiques allant de la gifle au passage à tabac, un véritable enfer s’abattait sur les élèves. La plupart des victimes étaient âgées de 8 à 13 ans au moment des faits. Connu pour ses méthodes rudes et « traditionnelles », certains parents plaçaient en connaissance de cause leurs enfants dans l’établissement pour les « redresser ». Patrice, scolarisé entre 1986 et 1987 à Bétharram, témoigne : « Pour moi, mes parents ont signé un chèque en blanc aux curés. On a été reçu dans le bureau du directeur et à la fin de l’entretien, il m’a giflé, violemment, en disant « Ici, ça, c’est une caresse ». Mes parents n’ont pas réagi. »
Ce climat de violence était étendu aux rapports entre les élèves eux-mêmes, les pions utilisant les élèves du lycée, plus âgés, pour punir les élèves de primaire et du collège. Francis M., élève de l’institution de 1961 à 1965, raconte la violence permanente de ces petits chefs : « [C’était] des sortes de caïds qui nous bourraient de coups de poing à plusieurs, dans un coin de la récréation. Par lâcheté, tout le monde regardait ailleurs. »
Mais les violences ne sont pas seulement physiques, elles sont aussi sexuelles : masturbation forcée durant la nuit, attouchements sous la douche ou encore viols pendant la confesse, les récits glaçants des victimes décrivent tout un système de pédophilie bien établi, sous la protection de l’Église comme de l’Éducation Nationale. Jean-Marie Delbos, le plus ancien des plaignants, scolarisé durant les années 1950 à Bétharram, raconte les événements qui devaient irrémédiablement marquer sa vie :
« En 1957 arrive au dortoir un jeune ecclésiastique dont nous avions une peur irraisonnée. La suite vous la subodorez. Venir la nuit, soutane ouverte, accroupi au pied de mon lit, pour venir me faire des attouchements et des fellations, vous dire que j’étais terrorisé et incapable de la moindre réaction. Puis, il allait faire sa macabre mission sur d’autres copains, avec toujours le même lexique : « Rendormez-vous, c’est rien ». »
Si certains osent parler d’une histoire appartenant au passé, les plaintes s’étalent en vérité des années 1950 aux années 2010. Un surveillant, mis en cause par de nombreux témoignages, était encore à son poste jusqu’en février 2024, date à laquelle la direction du Beau Rameau, nouveau nom de Notre-Dame-de-Bétharram, a décidé de le suspendre.
Depuis le dépôt des plaintes, une enquête a été ouverte par la gendarmerie de Pau, qui a d’ores et déjà auditionné un bon nombre des plaignants. Pourtant, malgré l’accumulation de récits de victimes, aucune instruction judiciaire n’a encore été ouverte.
Bayrou, soutien indéfectible de Bétharram
Si ce système pédocriminel a pu perdurer durant plus de 50 ans, c’est grâce au silence des directeurs d’établissements, qui étaient souvent eux-mêmes des agresseurs, mais aussi et surtout grâce à l’omerta qui entourait l’établissement, dans lequel de nombreuses familles bourgeoises du coin plaçaient leurs enfants. François Bayrou, qui assure aujourd’hui n’avoir jamais entendu parler de ces violences, était profondément lié à l’établissement. Il avait choisi d’y scolariser deux de ses enfants. De plus, sa femme, Élisabeth Bayrou, a été un temps enseignante de catéchisme à Notre-Dame-de-Bétharram.
Bayrou est le baron local par excellence de la région de Bétharram. On ne compte plus les fonctions administratives qu’il a exercées dans la région : maire de Pau, président du conseil général des Pyrénées-Atlantiques, député de la circonscription, président de la communauté d’agglomération Pau Béarn Pyrénées… En sa qualité d’éternel notable local, il s’est toujours refusé de dénoncer le système de violence qui était en place à Notre-Dame-de-Bétharram, alors qu’il avait été mis au courant par diverses voies.
L’enquête de Mediapart, appuyée hier par la publication de documents probants, démontre en effet que dès les années 1990 l’actuel premier ministre était au courant des crimes commis envers certains élèves. Si les plaintes se sont multipliées depuis 2023, dès 1996 une plainte avait été déposée par le père d’un jeune garçon. Celui-ci avait été violemment frappé par le surveillant général, au point de perdre en partie son audition. Suite à une campagne médiatique initiée par le père, l’affaire devient rapidement nationale, avec de nombreux articles dans de grands journaux. Le surveillant général est finalement reconnu coupable et condamné en juin de la même année.
Bayrou a affirmé n’avoir aucun souvenir de ladite affaire. Cette amnésie subite a de quoi étonner. Son fils, Calixte, était dans la même classe que le jeune garçon victime de violence. De plus, contrairement à ce qu’il a pu affirmer à l’Assemblée nationale, Bayrou était durant l’affaire ministre de l’Éducation Nationale, donc directement concerné par ce genre d’événement. Il ne l’avait par ailleurs pas ignoré à l’époque : en mai 1996, alors que l’affaire bat son plein, il organise une visite officielle dans l’établissement. Il déclare alors à Sud Ouest, en faisant explicitement référence à la plainte :
« Nombreux sont les Béarnais qui ont ressenti ces attaques [contre Bétharram] avec un sentiment douloureux et un sentiment d’injustice […] Toutes les informations que le ministre pouvait demander, il les a demandées. Toutes les vérifications ont été favorables et positives. Le reste suit son cours. Les autres instances qui doivent s’exprimer le feront. »
Prenant publiquement la défense de l’institution catholique alors que la justice devait un mois plus tard reconnaître les violences commises en son sein, Bayrou s’est rendu complice du système criminel établi à Bétharram.
Mais cela ne s’arrête pas là. Malgré les dénégations actuelles du premier ministre, Bayrou avait pris connaissance dans les années 1990 d’une seconde affaire, encore plus retentissante. En 1998, l’ancien directeur de Notre-Dame-de-Bétharram, le père Carricart, est mis en examen pour le viol d’un élève de l’établissement. En ayant pris connaissance, François Bayrou demande un rendez-vous informel avec Christian Mirande, le juge d’instruction responsable de l’affaire, alors que celle-ci est encore défendue par le secret d’instruction. Bien que Bayrou nie cette rencontre, le juge Mirande l’a confirmée auprès de Mediapart :
« Notre rencontre de l’époque ne portait pas sur autre chose, c’était spécifiquement sur ce dossier, notamment parce que l’un de ses enfants était scolarisé à Notre-Dame-de-Bétharram. »
L’instruction n’aboutira pas, du fait du suicide du père Carricart quelques semaines plus tard. Mais François Bayrou était parfaitement au courant de l’affaire, et il a, à nouveau, choisi le silence et l’omerta.
Fragilisé par ses mensonges éhontés, Bayrou plus fébrile que jamais : exigeons sa démission et celle de Macron !
Interpellé mardi 11 février par le député insoumis Paul Vannier à l’Assemblée nationale sur sa connaissance de l’affaire, Bayrou a répété ses mensonges sous les yeux des députés. Mediapart a réagi en enfonçant le clou, avec des documents supplémentaires prouvant sa connaissance de l’existence de violences à Bétharram dès les années 1990. Afin d’éviter une seconde salve de mensonges flagrants, ce mercredi 12 février Bayrou a choisi d’esquiver l’interpellation de Vannier en laissant répondre son ministre Darmanin.
Ayant survécu à la difficile épreuve du budget, le gouvernement Bayrou n’en reste pas moins dans une position extrêmement fragile. Largement minoritaire, sa survie dépend d’un soutien toujours précaire de la part du PS et du RN. Cette affaire pourrait particulièrement refroidir ses soutiens du Parti Socialiste : s’ils ont concédé au premier ministre ses frasques racistes et son budget austéritaire au nom de la stabilité du régime et qu’ils ne vont pas jusqu’à exiger la démission de Bayrou, le groupe parlementaire des socialistes a publié un communiqué exhortant le Premier ministre à clarifier sa position et ses déclarations sur l’affaire. Une nouvelle source de fébrilité pour la macronie.
Dans ce contexte, il faut exiger la démission de François Bayrou, qui a couvert une grave affaire de violences physiques et sexuelles. Dans le même temps, il faut faire toute la lumière sur l’affaire, en exigeant une commission d’enquête indépendante composée de victimes et de représentants du monde du travail pour révéler l’ensemble des responsables de ce scandale et de ceux qui ont couvert l’affaire. Enfin, cette fragilisation de Bayrou pose à nouveau la question de dégager Macron, qui conservera sinon les cartes en main pour nommer un nouveau gouvernement illégitime et chercher à régler la crise au service de ses intérêts, de ceux du patronat et de la stabilité du régime. Des mots d’ordre qui devraient être portés par les organisations du mouvement ouvrier elles-mêmes, en exigeant des directions syndicales la rupture du dialogue avec le gouvernement et un plan de bataille pour imposer ces revendications et combattre l’austérité.
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