La fin du mythe du gentil Nord-Américain

La scène Zelensky versus Trump-Vance est l’étape du moment dans le parcours de sidération que l’Europe accomplit depuis le retour du président américain à la tête de son pays. Les vieux européens cherchent quelles sont les motivations d’un  comportement où leur servilité atlantiste est payée par un mépris qui les laisse transis de peur. Dans les premières secondes où Trump hausse le ton sur Zelensky, on croirait presque qu’il entre dans une escalade imprévue après le ton patelin du début. À vrai dire la gestuelle des personnages surlignant lourdement chaque parole, les voix qui se superposent comme dans une altercation de rue, tout porte à le croire. Pour autant, rien n’est davantage dans l’ordre des choses que ce moment de paroxysme. Ce qui semble être un hasard de circonstances exprime sous sa forme la plus crue une nécessité implacable. On peut la résumer : à cette heure, la guerre d’Ukraine est perdue pour les Européens. Comme si après le chaos en Irak ou en Libye, après la déroute en Afghanistan, après la mise à feu et à sang du Moyen-Orient, et combien d’autres épisodes calamiteux, l’Europe atlantiste faisait autre chose que de s’enfoncer…

Guerre perdue ? C’est-à-dire que les enjeux qui ont mis la Russie en mouvement ne peuvent plus lui être disputés à cette heure faute d’implication des USA, de son matériel militaire et de sa planche à billets pour financer la guerre. Quels enjeux ? Le Donbass et la Crimée ne seront pas récupérés, l’adhésion à l’OTAN de l’Ukraine n’aura pas lieu, car cette clause sera incluse dans les garanties de sécurité mutuelles qui devront accompagner la signature de la fin des combats. Et s’il en est ainsi, c’est bien parce que depuis le début, les Européens ne se sont jamais demandés pourquoi la Russie agissait, ni quels moyens d’éviter la guerre étaient possibles. Au contraire. Ils ont tendu l’élastique autant qu’ils pouvaient dans une indifférence totale à la réalité des rapports de force du nouvel ordre du monde. Pendant des mois de commentaires, la psychologisation de la politique a fourni l’aliment du bavardage médiatique au détriment de la seule pensée qui vaille : celle qui se base sur les intérêts des protagonistes dans la réalité matérielle. « Poutine est-il fou ? » a-t-on débattu sur maints plateaux. Et par-dessus tout la certitude de la victoire, l’auto-hallucination sur l’effet des sanctions économiques, et la police politique médiatique interdisant toute pensée critique ont fait le reste. Il sera sans doute impossible encore d’en débattre froidement. C’est le cas depuis le début. Nous ne disposons que de quelques jours pour pouvoir parler en liberté avant que la machine de propagande ne se remette en mouvement avec le retour des perpétuels généraux d’opéra revenant faire régner la loi. Pour ma part, je devine ce que sera le dialogue de plateau de télé : « Alors quoi ? Qu’est-ce qu’on fait maintenant, concrètement ? On laisse faire ? ». Cette question coupera court à tout bilan raisonné. Combien seront piteusement tétanisés par la crainte du rayon paralysant du journalisme d’inquisition. Les rodomontades et les diversions vont pulluler. Hollande a ouvert le bal : « on doit lui faire très mal » dit-il, parlant de Trump. L’homme qui a signé à Washington dès son élection pour installer des missiles anti-missiles en Pologne menaçant les 75 % du territoire de la Russie reprend sa carrière de bonimenteur sans scrupule. Personne ne demandera de compte à ceux qui ont signé à Varsovie pour l’entrée de l’Ukraine et de la Géorgie dans l’OTAN. Et ceux qui me riaient au nez quand je disais que c’était une déclaration de guerre à la Russie après tous les manquements à la parole donnée à la chute du mur aux dernières autorités soviétiques russes. Où sont-ils ? Ils vont encore se payer de mots, jouer de la posture et prendre leurs désirs pour des réalités. Avec la fin de l’union soviétique, tous pensaient la Russie vaincue pour toujours. Les gouvernements européens ont cru qu’ils pouvaient rejeter et narguer sans conséquence la Russie. Quand les Russes se pensaient prêts à être intégrés, les Européens ont suivi le parti-pris des politiciens des USA en manque d’ennemis pour justifier leur domination sur le monde. Voilà le bilan. Ils ont diabolisé Poutine et pour finir, ils ont cru à leur propre propagande : ils pensaient n’en faire qu’une bouchée. Ils continuent dans l’illusion avec moins de moyens que jamais. Persuadés que Trump à son tour est un fou. Le même déni des réalités va continuer. Comme si les trente années de suivisme derrière la politique néolibérale n’avaient pas dévasté les moyens du vieux continent et exacerbé la concurrence des nations qui la compose. Comme si l’économie de guerre allait permettre d’enjamber la crise que traverse leur modèle économique, permettre de faire durer sans obstacle l’aggravation de leur politique de rapines sociales. Comme si, comme si, comme si on pouvait sans cesse préparer la guerre et n’avoir jamais à la subir. Comme si l’absurdité totale d’un tel projet en pleine crise du dérèglement climatique n’était pas éclatante. Et comme si celui-ci n’aurait aucune influence sur de tels projets. Comme s’ils n’étaient pas tous déjà en train de se trahir les uns les autres dans la compétition pour la production, la vente et l’achat des armes. L’exemple récent de l’Espagne avec les Turcs après celui de l’Italie pèse plus lourd que les envolées lyriques sur le sursaut européen.

Le but de ce post est de provoquer chez ses lecteurs le sentiment d’une urgence précise : bien comprendre les causes de la situation actuelle, bien mesurer l’ampleur du dégât et de la déroute des politiques ineptes qui ont conduit l’Europe et la France à cette impasse. Il s’agit de faire son deuil jusqu’au bout à propos du mythe des États-Unis bienfaisants et libérateurs. Quand il dit que l’Union européenne a été inventée pour faire concurrence aux États-Unis, il fait preuve de lucidité sur le résultat imprévu de la compétition mondiale d’après-guerre. Les USA, démocrates comme républicains, n’ont jamais agi depuis trente ans autrement qu’en ayant cette idée à l’esprit.

Dès lors, la lucidité doit commander. Il s’agit de comprendre que nous avons besoin de la paix avec la Russie et de la fin de la guerre en Ukraine avec des garanties mutuelles sérieuses. Donc de l’action diplomatique et non d’une nouvelle vague d’escalade verbale aussi vaines et à contresens que la précédente ! Il faut bien y réfléchir pour ne pas être tenté demain de recommencer le même cinéma belliciste contre la Chine. Bref : bien mesurer les causes du désastre pour solidement identifier l’absurdité de les reproduire.

Tourner la page, c’est passer à la paix générale immédiate pour qu’un autre futur soit possible. Nous avons appelé cela le non-alignement et l’altermondialisme de l’entraide. C’est concret et réaliste. Faire de l’économie de guerre et de l’Europe de la défense le nouveau socle européen est la catastrophe à portée de main. C’est à cela qu’il faut faire résolument obstacle.

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