
Friedrich Merz, le nouveau chancelier allemand s’annonce comme un partenaire privilégié pour Macron dans son projet de militarisation de l’Europe. Spéculateurs, industriels, et politiciens de toute l’Europe fêtent déjà la lune de miel de ce nouveau couple qui leur promet des milliards et du sang.
26 février
« Ma priorité absolue sera de renforcer l’Europe le plus rapidement possible, de manière à ce que nous obtenions peu à peu une véritable indépendance vis-à-vis des États-Unis ». Il s’agit d’une des premières déclarations de Friedrich Merz (CDU), futur chancelier allemand, le 23 février au soir à l’issue des résultats des élections. Evoquant la possible disparition de l’OTAN sous quelques jours, ce millionnaire pourtant profondément atlantiste a regretté : « Je n’aurais jamais cru devoir dire une chose pareille dans une émission de télévision. »
En ce sens, il a emboîté le pas à Macron qui trois jours plus tôt, face aux menaces de désengagement des Etats-Unis d’Ukraine et peut-être même d’Europe, appelait à augmenter les dépenses militaires à 3 voire 5% du PIB. Après des décennies de protection militaire américaine, les puissances impérialistes européennes font en effet face à un retournement brutal des Etats-Unis qui sont désormais prêts à écraser leurs alliés. L’accord de « paix » et de pillage de l’Ukraine se fera sans les capitalistes européens, mais ce sont eux qui devront assurer les « garanties de sécurités » du continent en faisant de l’Ukraine un bunker en vue de futurs affrontements avec la Russie.
Dans ce contexte, la bourgeoisie française a reçu avec beaucoup d’enthousiasme l’élection de Friedrich Merz, qui a notamment marqué son opposition à son prédécesseur, Olaf Scholz (SPD) par sa volonté d’envoyer des missiles Taurus (missiles de longue portée) à l’Ukraine et d’augmenter le soutien militaire aux côtés de la France, du Royaume-Uni et de la Pologne. La presse française exulte, le couple franco-allemand qui se réunira ce mercredi soir à l’Elysée parle à nouveau d’une seule voix : le langage du réarmement commun et de la guerre.
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Faire exploser les budgets
Surtout, la bourgeoisie croit voir dans l’élection de Merz la possibilité d’activer un front uni pour imposer la saignée budgétaire, avant la saignée tout court, aux populations européennes. Dans le monde d’avant, les travailleurs devaient renoncer à leur salaire, leurs loisirs ou leurs retraites au nom de la compétitivité des patrons. Désormais ce sera au nom du motif impérieux de la guerre que les capitalistes préparent pour le repartage du monde. La première ministre social-démocrate danoise a récemment donné l’exemple en préparant les esprits à un recul de l’âge de la retraite au-delà de 70 ans pour financer le réarmement.
En Allemagne, les partis centraux du régime (CDU, SPD, Verts) s’apprêtent déjà à voter en urgence une rallonge exceptionnelle de 200 milliards d’euros pour la défense, une enveloppe qui fait suite aux 100 milliards déjà débloqués par Scholz en février 2022. Figure centrale du militarisme allemand, le ministre de la Défense sortant, Boris Pistorius, qui devrait être un membre influent du très probable prochain gouvernement de coalition CDU-SPD affirme que le budget consacré à l’armée « devra doubler dans les années à venir pour atteindre plus de 100 milliards d’euros grâce aux investissements nécessaires. Nous parlons de plus de trois pour cent du produit intérieur brut ».
Tous les dogmes économiques qui justifiaient la misère pour les travailleurs et la poursuite de la catastrophe climatique disparaissent et les milliards pleuvent dans tous les sens ! En Allemagne, on parle ces jours-ci de mettre fin au frein à l’endettement inscrit dans la Constitution, en envisageant au passage un vote express de l’ancien Parlement alors que des élections viennent d’avoir lieu, une première légère entorse aux conventions démocratiques qui en appellent de bien plus brutales au nom de la raison d’Etat. Les vieux principes économiques et démocratiques étaient bons pour berner les travailleurs, ils sont gênants pour procéder à un réarmement massif.
544 milliards supplémentaires par an, pour une dépense totale de 915 milliards d’euros : c’est ce que coûterait aux pays de l’Union Européenne de porter leurs dépenses militaires à 5% de leur PIB, comme le réclame désormais Trump aux pays de l’OTAN. Dans un tel scénario, les budgets de la défense en Allemagne et en France monteraient à 236 (+136 milliards) et 157 (+94,6) milliards d’euros. A titre de comparaison, les budgets actuels de l’Education National et de l’Enseignement supérieur, déjà rabotés de toute part, sont de 114,2 milliards d’euros !
La perspective d’une telle offensive promet des attaques brutales contre les droits des travailleurs, contre le système de santé et d’éducation. C’est précisément le programme que porte Friedrich Merz. Si Trump se montre hostile envers l’Europe, lui et Musk n’en sont pas moins des modèles pour la droite allemande, comme pour les macronistes et la droite française, lorsqu’il s’agit d’attaques brutales contre les services publics et toute forme de réglementation envers l’activité du capital.
Une Union Européenne du militarisme
L’actualité est à la création d’un endettement massif des Etats européens pour se réarmer. Avec le rapprochement de Merz des idées « d’autonomie stratégique » portées par Macron, la bourgeoisie espère que l’Union Européenne engagera de gigantesques plans d’émission de dette et d’investissement dans l’industrie de défense. Les spéculateurs ne s’y sont pas trompés, et savent reconnaître derrière l’odeur du sang, celle de l’argent : sachant que les Etats européens vont massivement emprunter, les taux d’emprunts à long terme sont à la hausse, de même que l’action des entreprises militaires comme le signale le Financial Times.
Ces plans sont déjà préparés depuis des mois par Ursula von der Leyen, ancienne ministre de la Défense d’Angela Merkel et actuelle présidente de la Commission Européenne avec un fonds de 500 milliards d’euros d’aide à l’industrie. Mais désormais les choses vont plus loin. Von der Leyen rend désormais possible de déroger à la sacro-sainte règle de 3% de déficit tolérés sous peine de sanctions de l’UE, uniquement pour les dépenses militaires. Le FEDER, fonds de développement régional et d’aides aux entreprises de l’UE, sera prioritairement tourné vers les projets à but militaire, tandis que la Commission Européenne se rend compte qu’il reste 93 milliards d’euros de reste du fonds Covid qu’elle prévoit de transférer à la Défense. En même temps d’autres idées émergent, celle plus classique d’un emprunt national ou d’une utilisation de l’épargne des ménages pour financer la militarisation comme l’a proposé Macron, mais aussi celle du projet d’une banque européenne (garantie par des capitaux publics) de réarmement envisagé par la Pologne, le Royaume-Uni, la Norvège et la Commission Européenne.
A court terme, c’est Trump et son complexe militaro-industriel qui gagnent à l’opération. La panique qui secoue les Etats européens par le désengagement militaire des Etats-Unis va les obliger à redoubler leurs commandes auprès de leurs fournisseurs d’armement, majoritairement américains. Selon le SIPRI, sur la période 2019-2023, 55% des importations d’armes européennes venaient des Etats-Unis. Pour faire des économies d’échelle, Merz et Macron parlent de développer un « marché commun » de l’armement, qui consisterait à passer des commandes groupées afin d’être dans une meilleure posture de négociation. En 2022, moins de 20% des achats d’armes en Europe se faisaient de manière groupée entre États de l’UE. Ainsi, Trump peut se désengager de l’Ukraine, tout en continuant à assurer des revenus confortables à son industrie de guerre que les États-Unis n’auront plus à subventionner par des paquets d’aide pour l’Ukraine, l’Europe le fera.
Mais ce marché commun doit aussi servir les appétits des industries militaires en France et en Allemagne. Dans une économie capitaliste en crise, incapable de générer de nouveaux terrains d’accumulation, ponctionner massivement des richesses aux travailleurs pour l’industrie militaire est une méthode éprouvée. Elle a de plus l’avantage de préparer des destructions massives et donc de futures réparations comme tous les vautours US et européens le savent pour l’Ukraine. Les libéraux ne s’y trompent pas et s’enthousiasment : « L’Allemagne reste à la pointe de la compétition dans les deux secteurs qui animent désormais la croissance : les technologies vertes et la défense. La bonne performance de la Bourse allemande augure du fait que les investisseurs parient sur le renouveau de l’économie dans les dix-huit mois à venir. »
Seulement, c’est ici que peuvent commencer les problèmes entre la France et l’Allemagne. Ces dernières années, les projets franco-allemand de systèmes d’armes (notamment le SCAF et le MGCS, les avions et les chars « du futur ») ont notablement patiné sur fond de concurrences entre les monopoles de l’armement français et allemand, KNDS et Rheinmetall. De même, les marchands de mort français trouvaient particulièrement pénible que l’armée allemande préfère jusque-là les Eurofighter britanniques ou les F-35 américains à ses Rafale.
La bourgeoisie espère qu’une bonne entente en Macron et Merz puisse permettre un partage du butin et d’éviter les accrocs de la concurrence entre les deux complexes militaro-industriels. Mais rien n’est moins sûr, d’autant que la cohésion européenne sera mise à mal par Trump qui ne voudra pas laisser l’industrie militaire européenne devenir un concurrent pour les marchands de canon américains. L’Union Européenne dans ses contours actuels est d’ailleurs remise en cause au même titre que l’OTAN. La politique de réarmement se décidera en France et en Allemagne, éventuellement avec des élargissements à la Pologne qui a déjà dépassé les 4% de PIB consacrés à la défense, et des points de contact avec le Royaume-Uni.
En arrière-plan, et malgré les affirmations de la CDU/CSU, la volonté du nouveau gouvernement de rendre l’Allemagne « apte à la guerre » le plus rapidement possible s’affrontera à un certain nombre de contradictions importantes. Par-delà les fragilités majeures de la Bundeswehr, dont les effectifs continuent de reculer, l’obstacle décisif à une militarisation encore plus poussée n’est pas tant le budget nécessaire. C’est plutôt l’indifférence, voire le rejet ouvert, que suscite l’armement au sein de la société, notamment dans la jeunesse qui n’a pas répondu favorablement aux campagnes de recrutement initiées par le SPD. Cette question pourrait devenir un moteur de la lutte des classes, surtout si la lutte contre la militarisation se lie aux enjeux sociaux, comme la résistance face aux grands plans d’austérité que prévoit Merz pour financer le réarmement de l’Allemagne.
De son côté, le projet d’« Europe de la défense » défendu par Macron n’est pas moins fragile. Comme un symbole, la réunion d’urgence tenue à Paris la semaine dernière s’est terminée sur des déclarations de la part de l’Allemagne, de la Pologne et de l’Espagne allant dans le sens de dire qu’ils n’étaient pas tout à fait d’accord avec la perspective qu’il défendait d’envoyer des troupes européennes en Ukraine. Plusieurs États européens n’étant pas invités, il est probable qu’il y ait par ailleurs encore d’autres États opposés à cette idée.
L’idylle annoncée par les médias bourgeois entre Merz et Macron doit être prise comme une menace sérieuse par l’ensemble des travailleurs du continent. La nation, la construction européenne ou l’amitié franco-allemande seront autant de prétexte pour militariser les sociétés, suspendre les droits sociaux et démocratiques et imposer de violentes attaques contre les travailleurs et la jeunesse. Face au réarmement et aux dangers de guerre, face aux idylles militaires de Macron et de Merz, l’alliance qu’il faut souder est celle des travailleurs de tous les pays contre les capitalistes et contre leurs gouvernements : pas un euro pour leur guerre !
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