
Le sermon plein de morgue infligé au président Zelensky par son homologue américain révolte le pays agressé, ulcéré que Washington confonde bourreau et victime. Même les voix critiques du chef de l’État le soutiennent publiquement.
La première rencontre du chef d’État ukrainien avec la nouvelle administration a tourné au scénario catastrophe sous les yeux du monde entier, Donald Trump le congédiant sans avoir même signé l’accord âprement négocié sur les minerais stratégiques et laissant planer la menace de couper toute aide au pays, qui résiste depuis plus de 1 100 jours à l’agression russe.
Cette « crise » est arrivée plus tôt que ne l’attendait le politologue Volodymyr Fessenko, comme il l’a aussitôt fait savoir, mais elle lui est apparue comme « inévitable », vu les tensions de ces dernières semaines, « l’extrême émotivité de Zelensky et de Trump, et le rôle provocateur de J. D. Vance ».
La manière dont le vice-président a participé à cette « embuscade » n’a échappé à personne, et la morgue dont il a fait preuve a révolté en Ukraine. L’idéologue réactionnaire et revanchard affectionne les joutes verbales et les attaques frontales, comme il l’a montré lors de la conférence de Munich, le 14 février.
Vendredi, dans le bureau Ovale, il a mitraillé Volodymyr Zelensky en anglais, une langue que ce dernier maîtrise moyennement. À toute vitesse, il a invoqué les difficultés de la mobilisation en Ukraine afin de mieux démontrer la dépendance de l’Ukraine à l’aide américaine, et donc la nécessité de négocier si Washington en décidait ainsi : « Vous forcez des conscrits à rejoindre la ligne de front parce que vous avez des problèmes d’effectifs. […]. Vous devriez remercier le président. »
« Nous connaissons nos problèmes, reconnaît le rédacteur en chef du média NV, dans un éditorial paru samedi. Mais des alliés ne se comportent pas de la sorte. Il s’agit d’une tentative répugnante de s’en prendre au président d’un pays en guerre, en utilisant toutes les faiblesses possibles. C’est tout simplement indigne de l’Amérique. »
Les mots sont tout aussi durs sous la plume de Moustafa Nayyem, un journaliste et militant anticorruption qui a dirigé l’agence pour la reconstruction, avant de la quitter l’année dernière sur fonds de désaccord avec le gouvernement : « Mettons de côté la politesse : cette administration [américaine] ne se contente pas de détester l’Ukraine. Elle nous méprise. Pas Volodymyr Zelensky, pas notre délégation, pas des individus en particulier. Nous. En tant que pays, en tant que problème. En tant qu’obstacle dans son monde douillet de tractations et de poignées de main secrètes. »
Les opposants à Zelensky le soutiennent
Sur la place Maïdan, autour du parterre transformé en un mémorial spontané pour les combattants tués au front, une accusation formulée par Trump ne passe pas du tout : que l’Ukraine puisse avoir une responsabilité dans le déclenchement de la guerre, ce qui signifie que les États-Unis de Trump ne considèrent plus la Russie comme l’agresseur. « Comment peut-on dire que l’Ukraine a attaqué la Russie ? C’est la Russie qui a attaqué l’Ukraine et cherche à nous tuer. Trump a dit que Zelensky déteste Poutine, mais c’est Poutine qui nous hait », corrige Natalia, une trentenaire travaillant dans le marketing.
Zelensky n’est peut-être pas le meilleur négociateur, mais sa réponse sincère, bien qu’un peu maladroite, à l’intimidation pure et simple lui a apporté le soutien de l’Ukraine et de l’Europe.
Face aux outrances proférées, deux déplacées ayant fui l’occupation de leur ville située dans le sud du pays estiment que Zelensky « a eu raison de répondre à Trump ». « Tout le monde n’a pas le courage de lui tenir tête. Il est le digne représentant de notre nation », conviennent les deux quadragénaires.
Comme lorsqu’il a été traité de « dictateur », la violence du traitement réservé par Trump et Vance à Zelensky dans le bureau Ovale entraîne un ralliement derrière le chef de l’exécutif. « Zelensky n’est peut-être pas le meilleur négociateur, mais sa réponse sincère, bien qu’un peu maladroite, à l’intimidation pure et simple lui a apporté le soutien de l’Ukraine et de l’Europe. Trump aurait de toute façon cessé de soutenir l’Ukraine, il avait juste besoin d’une excuse », a commenté l’enseignant en science politique de la Kyiv School of Economics, Volodymyr Kulyk, qui avait récemment confié n’avoir pas voté pour l’actuel président à la dernière élection et n’avoir aucune intention de le faire à la prochaine.
Député de l’opposition avant de s’enrôler dans l’armée, Egor Firsov a rédigé, en anglais, un message à l’adresse des États-Unis, illustrant ce ralliement quasi général : « Je suis un commandant de section dans les forces armées de l’Ukraine. Nous voulons la paix ! Mais nous ne voulons pas perdre. Merci aux États-Unis pour leur soutien ! Mais nous soutenons la position de notre président. »
Interrogations sur l’Union européenne
L’ancien président Petro Porochenko, qui entretient des relations exécrables avec Volodymyr Zelensky, responsable de sa défaite en 2019, a lui-même lancé un appel solennel à « l’unité » : « Beaucoup de gens s’attendaient à ce que Porochenko [l’ancien président parle souvent de lui à la troisième personne – ndlr] critique Zelensky maintenant. Il ne l’a pas fait. Ce n’est pas ce dont l’Ukraine a besoin aujourd’hui. » Le mot d’ordre le place au-dessus de la mêlée politique, lui qui se rêve en alternative à son ancien adversaire.
La députée de son parti Iryna Herashchenko s’est faite plus critique, reprochant à l’équipe présidentielle de ne pas s’être suffisamment préparée à cette rencontre, alors que l’hostilité de l’administration Trump était connue. L’élue veut croire qu’il est encore possible d’y remédier. « L’Ukraine et les États-Unis, ce n’est pas Zelensky et Trump, c’est bien plus que cela. Ce sont deux pays : des partenaires stratégiques et deux peuples amis. […] La tâche essentielle de tous ceux qui peuvent y contribuer est de rétablir le dialogue entre l’Ukraine et les États-Unis. »
Le sentiment d’une rupture définitive domine cependant. Et les regards se tournent vers l’Europe. Dima, un soldat de passage à Kyiv à la faveur d’une permission, s’interroge sur l’aptitude de l’Europe à remplacer les États-Unis, s’ils mettaient leur menace à exécution.
Dans un long texte plein d’emphase, qui a été abondamment partagé, la militante Maria Berlinska, très engagée dans le soutien à l’armée, juge qu’il sera « très difficile » de tenir sans le soutien militaire de Donald Trump. « Si l’Union européenne et l’ensemble de notre société s’engagent, c’est encore possible », considère-t-elle, avant de conclure : « Ce que je sais, c’est que nous avons besoin d’être ensemble, de nous aimer et de nous soutenir les uns les autres plus que jamais dans notre histoire. Nous ne devons pas humilier les autres, mais nous ne devons pas non plus nous laisser humilier. Nous devons tenir bon et tenir bon avec dignité. »
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