
Mesdames et messieurs. Petit.es et grand.es. Approchez, approchez ! Les 24, 25 et 26 avril au Grand Palais à Paris se tient l’évènement ChangeNOW, « l’exposition universelle des solutions pour la planète » (rien que ça !). Venez vivre une expérience unique. Pour la modique somme de 490 EUR (hors taxes), vous aurez droit à trois jours de performances de haute volée !
Laurent Fabius, Paul Watson, Mary Robinson, François Gemenne, Laurence Tubiana, Luisa Neubauer et bien d’autres figures du débat climatique international partageront la scène avec des dizaines d’entrepreneurs, investisseurs, chief sustainability officers, ‘leaders du changement’, visionnaires, change makers, impact programmes facilitators, storytellers, ou encore facilitateurs d’imagination collective (oui, oui, ça existe !). Elles et ils vous feront vivre une expérience unique et mémorable !
Venez vous extasier devant plus de 1000 « solutions révolutionnaires » et « histoires à impact ». Rencontrez des « acteurs de l’impact » lors de workshops thématiques. Trouvez « un job qui a du sens » lors du « salon de recrutement dédié aux métiers à impact positif ». Pour les plus courageux d’entre vous, immergez-vous dans le climat du futur en expérimentant, durant quelques minutes, la vie à 50°C dans le camion Climate Sense. Frissons, ou plutôt sueurs, garanties ! Un petit creux ? Rendez-vous à « l’espace de restauration engagé » pour déguster des aliments de saison et faits maison. Et pour 500 EUR de plus (toujours hors taxes), offrez-vous une « expérience premium » à base de séances de networking exclusives et d’accès au salon des investisseurs.
Au cas où vous ne l’auriez pas encore compris, et comme le résume Santiago Lefebvre, « l’entrepreneur à mission » à l’origine de l’événement, les mots d’ordre de la 7ème édition de ChangeNOW sont « transition positive », « action » et « espoir ». Dix ans après la conférence de Paris sur le climat, il s’agit de renouveler l’esprit de la COP21 ; esprit qui a reçu un sérieux coup de plomb dans l’aile suite à la réélection de Donald Trump. Attaques en règle contre tout ce qui touche de près ou de loin au climat. Détricotage des politiques et réglementations climatiques et environnementales. Désengagement des Etats-Unis du processus climatique onusien. En 100 jours à peine, Trump a sérieusement refroidi les ardeurs de plusieurs entreprises, investisseurs et autres acteurs économiques majeurs qui, il y a quelques mois à peine et la main sur le cœur, s’engageaient à décarboner leurs activités.
Plusieurs géants du fossile (BP, TotalEnergies, Equinor, ExxonMobil, Chevron) ont ainsi décidé de réduire leurs investissements dans les renouvelables et/ou d’accroître leurs objectifs de production d’énergies fossiles. Certaines grosses banques (HSBC, Goldman Sachs…) et gestionnaires d’actifs (BlackRock en tête) se sont retirées d’initiatives climatiques. Kraft Heinz, Coca-Cola, Walmart et autres géants de l’agroalimentaire et de la grande distribution révisent leurs objectifs RSE à la baisse ou les effacent tout bonnement de leurs sites internet. Si prompts à revendiquer leur engagement écologique, Jeff Bezos, Mark Zuckerberg, Marc Benioff et les autres « tech bros » ralliés à Trump font désormais profil bas lorsqu’il s’agit du climat. Tel un château de cartes, les engagements s’écroulent les uns après les autres.
Au-delà de leurs conséquences sonnantes et trébuchantes en termes d’émissions de gaz à effet de serre (qui sont somme toute à relativiser compte tenu du caractère volontaire, difficilement mesurable, et à moyen/long terme des engagements pris), c’est surtout la dimension symbolique de ces rétropédalages qui inquiète les défenseurs de l’Accord de Paris et du régime climatique qu’il a créé.
En effet, l’Accord de Paris marque le passage vers un mode de gouvernance où les traités internationaux « apparaissent de plus en plus comme des outils stratégiques et performatifs dont la vocation n’est pas d’être appliqués à la lettre, mais d’influer sur les attentes et croyances des acteurs identifiés comme centraux ». En étant axées à la fois sur un objectif global de température – 2°C, voire 1,5°C – et sur un mécanisme de contributions volontaires par les États et les acteurs privés et sous-étatiques, la production et la diffusion de récits enchanteurs sont des éléments constitutifs de ce nouveau « régime incantatoire » de gouvernance du climat.
En insistant à la fois sur l’urgence de la situation, sur les opportunités et l’inéluctabilité de la transition bas carbone, les récits sont censés inciter les décideurs politiques, les chefs d’entreprises, les investisseurs et le grand public à « agir » pour le climat. A défaut d’obligations légales ou de mesures contraignantes, ils deviennent l’un des principaux outils (voire le principal outil) pour enclencher la décarbonation de nos économies. Comme le résume Laurence Tubiana, actuelle présidente de la Fondation européenne pour le climat, co-architecte de l’Accord de Paris et intervenante à ChangeNOW, l’accord « doit être une prophétie autoréalisatrice » où « la parole fait autant le changement que l’accord lui-même : c’est […] la convergence des anticipations rationnelles. »
Compte tenu de leur forte médiatisation, les évènements de type ChangeNOW sont des rouages essentiels du régime incantatoire post-COP21. Ils participent à un effort plus large de diffusion et de normalisation de récits enchanteurs – axés sur les opportunités, sur l’espoir, sur les solutions – autour de la transition bas carbone. En cette première moitié d’année 2025, les sommets et autres happenings climatiques s’enchaînent à un rythme effréné. Climate Week à San Francisco. Le Skoll World Forum à Oxford. Le Climate Impact Summit à Londres. Le sommet Climate Chance à Marseille. Ou encore le Latin America Climate Week au Panama constituent autant de tentatives de reprise en main du récit climatique.
Les organisateurs de ces évènements et les « leaders d’opinion » qui s’y produisent (chefs d’entreprises, scientifiques, stars du cinéma, milliardaires philanthropes, activistes, politiques…) s’imposent dès lors comme des acteurs incontournables du débat climatique. Le choix du décor, des lumières, des cadrages vidéo, des musiques de fond, des intervenants, des thèmes abordés, des récits, des partenaires médias… Tout est minutieusement préparé et scripté. La mise en scène et les interprétations doivent être parfaites. Et l’impact médiatique doit être optimal (Signalons, au passage, que Le Crayon, qui invitait le climatosceptique Charles Gave sur leur média il y a un mois, sera représenté à ChangeNOW cette année).
Une véritable industrie de l’évènementiel et de la communication verte a ainsi vu le jour. Avec pour partenaires et clients des gouvernements, des institutions internationales, des multinationales, des grandes ONG et des fondations philanthropiques, Freud’s, la Potential Energy Coalition, Kite Insights, Greenhouse Communications, Fenton Communications, Holdfast Communications, pour ne citer que ceux-là, s’activent en coulisse pour scénariser et diffuser des récits censés nous entraîner vers un monde bas carbone. Ce faisant, ils valorisent certains acteurs – leurs clients et partenaires – et « normalisent » leurs solutions. S’inspirant notamment du modèle « TED talk » et se réclamant d’une même expertise professionnelle, ils jouent un rôle central dans la normalisation d’un certain discours – pro-business, pro-marchés, pro-technologies – au détriment de visions alternatives de la transition.
Cela peut paraître contre-intuitif, mais à travers ChangeNOW et les autres grands-messes climatiques, ce qui compte, au fond, ce n’est pas tant l’action que le sentiment d’action. La parole est aussi – voir plus – importante que les actes. C’est grosso modo ce que nous explique François Gemenne (également présent à ChangeNOW cette année) dans une chronique sur France Info qu’il consacre aux bienfaits du greenwashing à l’ère de Trump 2.0 : « Si les entreprises ne communiquent plus sur leurs engagements, nous explique-t-il, eh bien ça donne l’impression qu’elles ne font rien. Et cela pousse d’autres, notamment celles qui sont un peu hésitantes en ce moment, à ne rien faire non plus. Et au final, il ne se passe rien, plus personne ne fait rien. Et ça plombe la transition. »
Plus tard dans sa chronique, et en réponse à un journaliste qui lui demande s’il faudrait donc que les entreprises communiquent sur leurs actions même si elles n’agissent pas (ou peu) sur le climat, Gemenne répond :
« Alors, c’est évidemment malhonnête de faire du greenwashing et je ne vais pas encourager ici les entreprises à en faire. Mais le greenwashing a quand même une vertu que nous n’avions pas perçu à l’époque : il donne l’impression que l’engagement écologique est un objectif recherché par les entreprises. Et ça, dans le contexte actuel, ce n’est pas rien. Parce que la transition c’est aussi une affaire de dynamiques collectives. »
Donner l’impression que les entreprises agissent alors qu’elles n’agissent pas dans l’espoir qu’elles finissent par le faire un jour. Et ce, quitte à s’associer à des entreprises (BNP Paribas, L’Oréal, Vinci, Bouygues…) aux bilans environnementaux discutables (un euphémisme)… mais disposées, le temps d’un sommet au Grand Palais ou ailleurs, à faire semblant. Voilà à quoi nous en sommes réduits pour garder la prophétie autoréalisatrice en vie (sans oublier les communicants, les storytellers, les change makers, et autres facilitateurs d’imagination collective dont la carrière en dépend).
Texte d’Edouard Morena, Maitre de Conférences en science politique à la University of London Institute à Paris et auteur de Fin du monde et petits fours
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