
21 avril 2025
Lors de son élection en 2013, Jorge Bergoglio s’était présenté comme un étranger à Rome venant «du bout du monde». Introduisant un style populaire dans les palais de la Renaissance, il a échoué à faire bouger la Curie sans parvenir à terrasser le dragon du cléricalisme. Où va le catholicisme ? (Gilles Fumey)

Nous parlons d’un phénomène social et culturel porté par 1,2 milliard d’humains. Le catholicisme est très vivant, comme en témoigne cette histoire d’un ado italien, Carlo Acutis, geek repéré par le pape François, mort en 2006 âgé de 15 ans d’une leucémie foudroyante qui devait être canonisé ce dimanche 27 avril sur la théâtrale place Saint-Pierre à Rome.
Mais le catholicisme est «vérolé» comme l’avait déjà imaginé Ratzinger (futur Benoit XVI) à la radio bavaroise en 1969 : «De la crise d’aujourd’hui émergera une Église qui aura beaucoup perdu. Elle deviendra petite et devra recommencer plus ou moins depuis le début. Elle ne pourra plus habiter nombre des bâtiments qu’elle avait construits dans la prospérité. Le nombre de ses fidèles diminuant, elle perdra également la plupart de ses privilèges sociaux.» Étonnante interview qui anticipait ce qui se passe depuis cinquante ans et que le pontificat de François n’a pas enrayé. Car si l’Église ne se résume pas à ses clercs, ce sont bien eux qui posent problème aujourd’hui. Certes, François a été un pape populaire et a fait preuve de courage dans bien des domaines. Il reste des blocages sur la manière d’envisager la gouvernance de l’institution qui ne garantit pas que les abus et les crimes cesseront.

Dans une décapante Autopsie d’un système (2025), l’essayiste et directrice de Témoignage chrétien, Christine Pedotti «regarde le mal en face», et démonte les mécanismes qui font que le clergé est devenu hiérarchique (calqué sur le modèle de l’Empire romain), masculin, célibataire («des eunuques pour le Royaume»), et, plus grave, se pense dépositaire du sacré. Une démonstration imparable, tirée des textes évangéliques et de l’histoire. L’organisation de l’Eglise aujourd’hui est celle d’un «système d’une grande cohérence», en contradiction totale avec la question de l’autorité, telle qu’elle est traitée dans les évangiles où le message est bien de s’affranchir de la caste sacerdotale du Temple (Matthieu 23, 9). De fait, le «clergé concentre tous les pouvoirs : il sait, il commande, il consacre.» Avec comme clé de voûte, le célibat, présenté souvent sur un mode héroïque. Ainsi fonctionne le système où l’on voit jusqu’à des évêques commettre, selon les mots même du Vatican, «des abus spirituels à des fins sexuelles» (affaire Santier, p.150) où les victimes ont intériorisé la puissance du prêtre, protégée par l’autorité qui pratique le déni avant de se voir intimer par les tribunaux la gravité de leurs actes. François n’a pas mis en cause le système, mais ses excès dans un discours cinglant à la Curie en 2014 comme l’entre-soi, le goût du pouvoir, les signes extérieurs, les privilèges… Sur les femmes, François s’en tient à nommer des religieuses et fait un écart lors de sa visite en Belgique le 28 septembre 2024 : «Une femme qui veut faire l’homme, c’est moche» Une vision genrée qui ne passe plus, un tableau «sombre» pour Christine Pedotti, qui ne garantit rien de l’avenir, le système étant toujours en place. Le pape a beau définir l’Occident comme une région en perte de vitalité par rapport à la «vitalité» du catholicisme en Afrique, en Amérique latine et en Asie, mais ici, les révélations sur les abus n’ont pas encore eu lieu, tout comme en Italie et en Espagne. Il reste l’espoir que le centre de gravité de l’institution se déplaçant vers l’Asie, l’Église a encore un avenir.
Une deuxième mondialisation
Après la première mondialisation missionnaire qui a culminé au 19e siècle au cours duquel la France a été le pays le plus généreux en envoyés, les papes sont devenus gyrovagues depuis les années 1960 et prennent facilement l’avion. François s’est déplacé pour 46 voyages sur tous les continent et 71 pays, du Panama au Japon, en Ouganda et au Brésil…. Peu de déplacements en Europe, sinon Fatima au Portugal pour le centenaire des apparitions, plus récemment Marseille et Ajaccio en France et jusqu’en Estonie. Pour quels messages ? Son confrère jésuite Pierre de Charentenay en voit quatre.
Un intérêt pour les pays pauvres comme la Birmanie, le Bengladesh, Madagascar… Un souci de dialogue interreligieux en Égypte dans la mosquée al-Azhar, Turquie, Jordanie, Maroc… Un encouragement aux pays travaillant pour la paix lorsqu’il y a des menaces d’instabilité : la Bosnie-Herzégovine, la Palestine, l’Arménie et la Géorgie… Enfin, des grandes rencontres anniversaires comme les JMJ au Panama, les 500 ans de la Réforme en Suède, les 50 ans des institutions européennes à Strasbourg (sans visiter la cathédrale de la ville, qui fêtait son millénaire).
Premiers mondialisateurs depuis le 16e siècle, les Jésuites ont toujours promus l’universalité du catholicisme. François s’est détourné de l’Europe et parmi les 163 cardinaux qu’il a distingués dont 133 électeurs, il n’a pas lésiné sur des personnalités dans des diocèses très éloignés de Rome : Nouvelle-Zélande, Tonga, Papouasie, Mongolie, Cap-Vert, Maurice, Lesotho, Salvador… Des villes comme Paris, Venise, Lyon, Séville n’ont plus d’électeurs du pape et en Haïti, le chapeau a été donné à l’évêque de Les Clayes. Vision géopolitique ? Ou management personnel, comme les nominations de l’évêque d’Agrigente en Sicile accueillant des réfugiés ou encore celui de Bangui (né en 1967) militant pour la paix. Du coup, beaucoup se demandent pourquoi il a remarqué François-Xavier Bustillo, en Corse.
L’Europe dans tout ça ? Pour Charentenay, François la voyait de loin, depuis l’Argentine marquée par une dictature (Videla) et la corruption (Menem). «Grand-mère fatiguée», l’Europe est vue comme en déclin, menacée par l’Antéchrist, une idée qui l’obsède depuis sa jeunesse au cours de laquelle il avait apprécié le livre de Robert H. Benson, un ouvrage d’anticipation où des empires s’unissent pour persécuter les chrétiens. François a feint d’ignorer la paix apportée par la construction européenne. Mais pour ne pas décourager ceux qu’il visitait, il rêvait d’une Europe aidant les familles, les jeunes, les migrants, les sans droits.
Proche des pauvres des favelas latino-américaines, François ne se sentait à l’aise ni avec les riches, ni avec les classes moyennes dont il fustigeait l’individualisme «indifférent d’où naît, pour lui, le culte de l’opulence auquel correspond la culture du déchet» (discours au Conseil de l’Europe, 2014). Dénonçant comme ses prédécesseurs la finance qui a «liquéfié» l’économie, il a regretté la perte des nations. Argentin tiers-mondiste, le pape n’a pas bien reconnu le travail des groupes comme Sant’Egidio ou Taizé.
Et maintenant, que fait-on, se demande Christine Pedotti ? Elle indique des pistes: renoncer au pouvoir, ce qui ne signifie pas choisir l’anarchie, mais renoncer à un pouvoir sans contrôle tel qu’il avait été défini par l’infaillibilité au 19e siècle, renoncer au privilège masculin. Serait-ce la fin du catholicisme? Non pas, tant il est impensable d’imaginer que l’Église se résumerait à une cléricature. Mais sachons que ce sont les institutions qui ont coulé l’Empire romain, la monarchie française qui ne s’étaient pas réformé à temps.

Une somme remarquable
La monarchie ? Justement, un historien américain, John T. McGreevy nous livre un impressionnant travail de recherches, un pavé de plus de 600 pages qui se lit comme un roman et qui commence par… la décapitation de Louis XVI. Pourquoi cet épisode ? Non pas seulement pour rappeler le rôle des catholiques dans la Révolution française (on pense à l’abbé Grégoire abolitionniste, un des pères des droits de l’homme) mais pour relier l’échec des catholiques réformateurs au 18e siècle avec le séisme qu’ont été la fin de l’absolutisme et la naissance de la République.
L’historien étatsunien donne la mesure de l’implantation du catholicisme dans le monde, en Afrique où il a été en pointe pour l’indépendance politique avant d’être souvent réactionnaire comme aujourd’hui, en Amérique latine où les luttes entre pouvoirs militaires (souvent inféodés à l’Eglise) et les défenseurs des pauvres coûtent la vie à des centaines de militants, voire en Asie, tels les Coréens du Sud réclamant plus de justice et de démocratie.
John T. Mc Greevy raconte avec une grande aisance et un talent hors pair la manière avec laquelle le catholicisme se réforme, tout en crispant une frange non négligeable de ses fidèles. Les conflits entre dirigeants politiques et évêques montrent la lutte d’influence qui s’exerce jusqu’au sein des institutions nationales. Le traumatisme des abus de pouvoir du clergé qui n’a pas encore atteint l’Afrique reconfigure une partie du regard et des attentes du milliard de catholiques. Qu’on ne se fasse pas d’illusion sur les quelques centaines de jeunes baptisés à Pâques dont on feint de s’étonner de la croissance du nombre !

Dans son excellente préface, l’historien Florian Michel rappelle que «l’espace catholique est plurilinguistique avec des sous-ensembles culturels hispanophone, anglophone, etc. et ses modèles politiques, ses enjeux singuliers et, cependant, tous marqués par une circulation intense entre les aires». John T. Mc Greevy parvient à saisir le «phénomène catholique», repérant ici ou là des signaux sur la diffusion des idées, aussi bien l’encyclique «écologiste» de François en 2015 que la reproduction de milliers de grottes de Lourdes à partir des visions d’une jeune fille de quatorze ans en 1858.
Les mouvements de déclin et de renaissance affectent tous les lieux de l’Eglise et brassent les populations du monde entier. McGreevy aime citer ces milliers de migrants nigérians occupant présentement chaque dimanche la cathédrale néogothique de… Guangzhou édifiée par des missionnaires français et des ouvriers chinois dans les années 1880. L’historien spécialiste du passé a le dernier mot : «Le catholicisme du 21e siècle devra être réinventé, tout comme il l’a été au 19e siècle. Nous ne savons pas comment ». Mais ce n’est pas sans cette crise profonde qui redéfinira sa place dans une humanité toujours saisie par le vertige du sacré.
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Pour en savoir plus :
Les jésuites, premiers mondialisateurs (O. Milhaud)
Quand la Curie se prend une volée de bois vert par le pape François
Un cas de cléricalisme très vivant (à Lyon)
Le pape François est mort, ses contradictions demeurent au sein de l’Eglise (Médiapart)
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Les papes géographes
La force du catholicisme, c’est peut-être sa géographie. Quiconque visite la chapelle Sixtine au Vatican passe par la galerie des cartes. Cent-vingt mètres de fresques murales représentant l’Italie. On les doit à Grégoire XIII, professeur de droit à l’université de Bologne, élu pape en 1572 à l’âge de 70 ans après avoir participé activement au concile de Trente. Réformateur intrépide, à l’origine de notre calendrier, Grégoire aimait, selon l’historien Pinelli, se promener sans sortir de son palais, justement dans cette galerie à l’effet saisissant. Avec une grande précision, les lieux (paroisses, hameaux) peuvent être reconnus aujourd’hui. Les mers, frissonnant sous le souffle des vents, voient circuler felouques, gallons, bateaux de pêche, fustes et galères.
Le géographe et mathématicien Egnazio Danti, ancien collègue du pape à Bologne, avait fait dessiner ces quarante cartes des régions d’Italie et des îles à toutes les échelles. Avec mention des deux célèbres batailles gagnées contre les Turcs à Malte (1565) et Lépante (1671). Des cartouches racontent aussi les anciennes batailles (perdues) contre Hannibal et l’épisode du pape Léon le Grand arrêtant Attila. La ville de Rome y est montrée comme une cité orgueilleuse et l’Italie, regio totius orbis nobilissima, comme le jardin du pape, comme une province intellectuelle idéale de la chrétienté, protégée par les saints et les martyrs dont les vies sont racontées sur les plafonds avec celles des personnages bibliques.
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