
Le tribunal administratif de Lille avait par deux fois, en 2024, confirmé la suspension du contrat en référé, mais la décision rendue mercredi après-midi est la première sur le fond du dossier.
Le tribunal administratif de Lille a décidé, mercredi 23 avril, d’annuler la décision de la préfecture du Nord qui privait le lycée musulman lillois Averroès de contrat d’association liant l’établissement à l’Etat. La préfecture lui reprochait des « manquements graves aux principes fondamentaux de la République », une condition qui n’est « pas remplie » selon le communiqué du tribunal qui a aussi jugé que la procédure suivie était entachée d’irrégularités.
Le tribunal administratif avait par deux fois, en 2024, confirmé la suspension du contrat en référé, mais la décision rendue mercredi après-midi est la première sur le fond du dossier.
Lors de l’audience du 18 mars, le rapporteur public, magistrat chargé d’éclairer les juridictions administratives, avait préconisé de rétablir ce contrat liant l’établissement musulman à l’État. Il avait, pendant plus d’une heure, contesté point par point la plupart des griefs avancés par la préfecture. « Aucun élément probant » n’a démontré l’utilisation d’ouvrages contraires aux valeurs de la République, avait-il assuré. Il a reconnu que des manquements existaient, tout en soulignant qu’ils ne justifiaient pas une résiliation du contrat.
Averroès était jusqu’à cette suspension le principal lycée musulman sous contrat de France, souvent loué pour l’excellence de ses résultats scolaires.
Entendu le 9 avril par la commission d’enquête parlementaire sur le contrôle des établissements scolaires par l’Etat, Georges-François Leclerc, ancien préfet du Nord qui avait décidé de résilier le contrat, a assuré qu’il disposait alors d’éléments « suffisamment tangibles pour considérer que les élèves étaient en danger » au sein d’Averroès. « Des éléments documentaires » et « certains enseignements (…) relevaient clairement du salafo-frérisme », a-t-il assuré, en référence au salafisme, courant fondamentaliste de l’islam, et à l’idéologie politico-religieuse née du mouvement égyptien des Frères musulmans.
« Une attaque en règle »
Sa décision, prise le 7 décembre 2023, reposait notamment sur la mention, dans la bibliographie d’un cours d’éthique musulmane, d’un recueil de textes religieux contenant des commentaires prônant la peine de mort en cas d’apostasie ainsi que la ségrégation des sexes. Ce recueil, « on ne l’a jamais eu entre les mains, il n’a jamais été au CDI d’Averroès », souligne auprès de l’Agence France-Presse (AFP) Eric Dufour, directeur du groupe scolaire Averroès, qui compte également un collège hors-contrat.
L’éducation nationale avait mené plusieurs inspections, sans trouver matière à remettre en cause le contrat d’association.
« Je n’en veux pas à l’enseignement privé catholique (…) mais quand on voit toutes les affaires qui sont sorties et quand j’entends dire encore une fois par le préfet que les enfants sont en danger à Averroès, je suis désolé, les enfants sont en sécurité chez moi », répondait, avant la décision du tribunal administratif, Eric Dufour. La commission d’enquête a été lancée après des scandales de violences physiques et sexuelles touchant des établissements notamment catholiques, à commencer par Notre-Dame de Bétharram (Pyrénées-Atlantiques).
Pour M. Dufour, la résiliation du contrat d’Averroès et celle décidée en janvier contre le groupe scolaire Al-Kindi, près de Lyon, sont « une attaque en règle contre l’enseignement privé musulman ».
« Deux poids deux mesures »
Paul Vannier, corapporteur LFI de la commission d’enquête parlementaire, a qualifié de « deux poids deux mesures absolument choquant » le traitement par l’Etat du lycée Averroès et de l’établissement catholique parisien Stanislas, qui a conservé son contrat malgré « des témoignages abondants de violences homophobes » ou « racistes ».
Après la perte des subventions publiques à la rentrée 2024, Averroès a doublé ses frais de scolarité et lancé une cagnotte en ligne. Il a perdu de nombreux élèves, passant de 470 lycéens à 290. « Beaucoup reviendront » en cas de rétablissement du contrat, espérait M. Dufour, avant la décision du tribunal administratif. En revanche, l’association gérant l’établissement « ne pourra pas se substituer à l’éducation nationale » pendant une deuxième année scolaire, prévient-il. « Les salaires devront être réduits, (…) des élèves partiront et des enseignants inévitablement, aussi. »
Pour Averroès, le feuilleton judiciaire pourrait quoi qu’il arrive se poursuivre. Les avocats du groupe scolaire ont saisi la justice concernant le refus par la préfecture d’accorder un contrat au collège, alors que l’établissement remplit « toutes les conditions », selon Éric Dufour. Le collège, qui compte 340 élèves, a demandé à passer sous contrat dès 2017, cinq ans après son ouverture. Averroès attend également l’autorisation d’ouvrir une école primaire. Si l’académie de Lille donne son accord, le groupe scolaire accueillera dès la rentrée prochaine une ou deux classes de cours préparatoire.
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