Un nouveau jeu vidéo qui s’inspire des zad

Signalé par Jean-Mau

16 avril 2025 

« Caravan SandWitch » est un jeu vidéo inspiré des zad, qui arrive à mêler critique du capitalisme et de la technologie. L’entraide et l’inclusivité des genres sont omniprésentes.

C’est un jeu vidéo qui « a fait grincer des dents » les responsables politiques culturels et gérants de grands studios. Caravan SandWitch a de quoi, avec ses valeurs prônant « l’inclusivité, le droit des travailleureuses, le droit des peuples à l’autodétermination, le droit des LGBT, l’antiracisme et l’écologie », comme le dit Adrien Lucas, cocréateur de Caravan SandWitch. Un jeu engagé, qui a remporté en mars deux prix aux Pégases, l’équivalent des César des jeux vidéo. Sur scène pour recevoir les prix de l’équipe, Émi Lefèvre, l’autre créatrice, a lancé une ultime tirade à l’adresse de la fachosphère : « On est fiers de nos valeurs, de faire des jeux “wokes” et on emmerde ceux qui veulent nous voir disparaître. »

Le ton est donné dès le début de Caravan SandWitch, qui plonge les joueurs et joueuses dans un monde qui se relève du capitalisme colonial. En arrivant sur la planète appelée Cigalo, nous explorons en van un monde au parfum d’été et aux couleurs pastel, inspiré des paysages provençaux avec des plages de sable fin et une roche crayeuse et ocre. Pourtant, le Consortium, « une espèce de grand patronat technofasciste du futur qui a absorbé le gouvernement », selon Émi Lefèvre, a laissé les stigmates technologiques d’une industrialisation s’appropriant les ressources.

« Cigalo est une démonstration du pouvoir de destruction de la nature par une exploitation capitaliste sans limites. Mais aussi de la résilience de celle-ci qui, dans la durée, reprend toujours le dessus », explique Adrien Lucas. C’est un îlot de résistance où se forment des alternatives, poursuit sa consœur, « et qui, dans sa façon de fonctionner, serait une espèce d’élan, de renouveau. L’utopie est à ses débuts ».

L’univers post-apocalyptique de «  Caravan SandWitch  », qui se relève du capitalisme colonial. © Plane Toast / Dear Villagers

Ainsi, les habitants de Cigalo mettent en place une alternative au capitalisme du Consortium, en se garantissant une autonomie alimentaire par la permaculture et en reconstruisant du lien entre eux, ce qui est assez rare dans les jeux vidéo. « Nous essayons de montrer une communauté qui décide de s’adapter à son environnement naturel, plutôt que de chercher à l’adapter à elle », résume Adrien Lucas.

L’influence des zad

C’est notamment dans les zones à défendre (zad) écologistes qu’ils ont trouvé l’inspiration. « On a passé un peu de temps dans des zad, l’expérience nous a profondément changés, raconte Émi Lefèvre. J’ai été inspirée par la zad des Lentillères à Dijon, qui est installée sur une des dernières zones maraîchères proches de la ville, parce qu’il y avait une volonté de tout raser pour faire un écoquartier. »

Le marché de fruits et légumes de la zad a insufflé l’idée de la culture des villageoises et villageois de leur jeu vidéo. « On a découvert un monde où la communauté est remise au centre de la vie de tous les jours. On prend les décisions à plusieurs, on communique constamment. »

Les créateurs se sont notamment inspirés des zad écologistes. © Plane Toast / Dear Villagers

Le joueur est donc intégré au sein d’une communauté de cultivateurs basée sur l’entraide, comme lorsqu’il est invité à recueillir auprès des différents habitants les denrées nécessaires à la préparation d’un apéro festif. Pour l’aider dans cette tâche, le jeu intègre un outil de communication, qui sera tout du long « utilisé à bon escient, ce n’est pas un réseau social à la Elon Musk », rassure Émi Lefèvre.

La technologie est donc au service du lien, mais aussi de l’agriculture, comme autour de la maison du personnage de Rose, trop fatiguée pour cultiver elle-même ses tomates et qui est assistée par un système d’irrigation automatisé, qu’il nous faudra l’aider à réparer.

Du solarpunk technocritique

Caravan SandWitch aurait donc presque tout du solarpunk, mouvement artistique de science-fiction qui imagine des sociétés utopiques à la fois reconnectées à la nature et ouvertes sur des technologies low-tech, à la fois utiles, accessibles et durables. À ceci près que le mouvement n’est pas encore assez radical pour la cocréatrice : « Le solarpunk a tendance à se baser sur le technosolutionnisme de manière excessive et malsaine. Un des piliers du jeu est la technocritique, mais on n’est pas des anarcho-primitivistes », plaisante-t-elle.

La technologie de Cigalo ne s’achète pas dans des boutiques avec de l’argent virtuel, comme dans beaucoup de jeux. « On ne voulait pas que le joueur gagne des sous, ça faisait trop échange capitaliste. » C’est ainsi que la collecte de ressources devient ici celle de composants électroniques (déchets de la présence industrielle du Consortium), souvent obtenus en guise de récompense après avoir contribué à la communauté.

Dans le jeu, on récupère des déchets pour les recycler. © Plane Toast / Dear Villagers

Une fois recyclés, ils permettent d’améliorer le van et de partir à l’aventure : « On ne se balade pas dans cet environnement pour piller ses ressources, précise Émi Lefèvre. De base, le monde ouvert dans les jeux vidéo est très colonial, avec un héros blanc surpuissant qui s’approprie l’environnement. Là, on se balade et on récupère des déchets pour les recycler. C’est une de nos tentatives d’intégrer des valeurs au gameplay », les mécaniques et principes de jeu.

Un double combat d’inclusivité

Parmi ses valeurs, Caravan SandWitch fait également montre d’une inclusivité d’origines et de genres rare. Le genre des personnages est ainsi volontairement non identifié et le langage inclusif est généralisé dans tous leurs échanges. Cela s’explique par une mixité d’identités de genre au sein même de l’équipe de Plane Toast, le développeur, ce qui n’est pas toujours le cas dans le milieu.

« Il y a parfois des jeux inclusifs, mais l’équipe est majoritairement composée d’hommes blancs et ça sonne un peu faux, explique-t-elle. Il y a un double combat à mener : avoir des jeux qui parlent d’expériences de personnes marginalisées, et qui ont dans leurs équipes des travailleureuses marginalisées et des studios dirigés par des femmes, des personnes non-binaires, LGBT et de toutes origines. »

Le jeu vidéo, comme tous les médiums artistiques, « est un laboratoire parfait pour proposer des idées nouvelles, sans toutes les contraintes qui les rendraient difficilement réalisables dans notre monde actuel, et de leur donner vie, défend Adrien Lucas. Il donne à ses auteurs la capacité d’y représenter toutes sortes de futurs, de modes de vie ». Il permet aussi « d’interagir avec cet imaginaire, de lui donner un aspect plus concret, d’expérimenter soi-même ». De quoi faire vivre les univers dans l’esprit des joueurs et joueuses.

Et contrairement à beaucoup de productions pessimistes et alarmistes, Caravan SandWitch se distingue en adoptant l’optimisme et la douceur. « On a le devoir d’être optimistes, affirme la créatrice, de trouver des solutions et de se battre. Aujourd’hui, j’ai envie de faire des jeux “wokes”, progressistes pour influencer la superstructure, et faire à côté de l’activisme », selon la cocréatrice. Être dans des associations, des collectifs, des groupuscules d’action concrète pour « essayer de faire bouger les choses »« Je ne peux pas prendre au sérieux ceux qui disent faire de l’activisme à travers leur art. Il y a urgence, il faut aller plus loin. »

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