
Arguments pour la lutte sociale | Lire sur le blog ou le lecteur |
A nouveau sur guerre et révolution : Gaza, Inde/Pakistan, méthode, par Vincent Présumey.
![]() Dans mon article de l’autre jour, vendredi 2 mai , j’ai parcouru quatre zones clés – Europe, Proche et Moyen Orient, mer de Chine, Inde/Pakistan – et conclu sur la nécessité d’une stratégie révolutionnaire concrète visant la question du pouvoir politique partout, par la défensive humaine, sociale, écologique et militaire d’abord, conduisant, car c’est le mouvement réel des plus grandes masses humaines, à la révolution prolétarienne démocratique. Depuis le 2 mai, les affrontements que l’on craignait entre Inde et Pakistan ont commencé : bombardements indiens, avec des pertes significatives dans l’aviation indienne dont un Rafale vendu par la France et un Sukhoi par la Russie, abattus par des missiles vendus par la Chine, puis riposte pakistanaise, et, à l’heure où sont écrites ces lignes, nouvelle « riposte » indienne. Les soutiens ouverts ou honteux de Modi prétendaient que la « punition des terroristes » conduisait à la « désescalade », c’est pour l’instant le contraire qui a lieu. Depuis le 2 mai, il est de plus en plus ouvertement question, dans les milieux juifs pro-israéliens eux-mêmes, du fait qu’un génocide a commencé à Gaza. C’est en effet un génocide qui préconisent le ministre Ben Gvir et d’autres, partisans explicites de la famine à Gaza, des massacres et expulsions en vue de la réoccupation de Gaza, plan qui est évidemment et à peu près ouvertement préparé depuis le début des « opérations » en octobre 2023, et qui se contrefout totalement tant des otages du Hamas que des Palestiniens de Gaza manifestant contre le Hamas au péril de leur vie, qui sont des opérateurs. pour les génocidaires israéliens. Depuis le 2 mai, le défilé de Moscou le 9 mai a confirmé et renforcé l’Axe, non pas Trump/Poutine, mais Poutine/Xi, faisant de Poutine le pivot des deux axes (et soutenant Netanyahou : pas un mot sur Gaza chez les soi-disant « anti-impérialistes », dont Lula, rassemblés à Moscou). Trump a perdu sa première guerre avec la Chine et n’a pas séparé la Russie et la Chine, au contraire. En outre, Poutine n’est pas pressé d’accepter le cessez-le-feu en Ukraine que Trump lui a confectionné, ce qui oblige ce dernier à paraître « fâché ». Dans mon article du 2 mai était avancée l’idée qu’un arrêt des combats et tout ce qui pourrait mettre en avant une démobilisation représente un risque énorme pour Poutine, donc qu’un tel cessez-le-feu risque en fait de le pousser à ouvrir un nouveau front. Cette idée est exacte, mais elle explique aussi qu’il freine le cessez-le-feu actuellement proposé par Trump, avalisé par les puissances européennes, et tactiquement accepté par Zelensky. La tentative de concevoir une stratégie révolutionnaire intégrant pleinement la dimension militaire à pris forme, pour nous, surtout à propos de l’Europe, en raison bien sûr de l’expérience ukrainienne et en incluant la nouvelle centralité de l’Europe dans la lutte des classes à l’échelle mondiale, causée par la réaction impérialiste barbare qui vise à l’étouffer et l’asservir. La perspective d’une union non impérialiste des peuples européens, sauvant leurs conquêtes sociales, démocratiques et culturelles, doit être ouverte maintenant par le combat pour armer l’Ukraine tout de suite afin de battre Poutine, et pour sauver les Palestiniens. Sauver les Palestiniens : questions militaires et démocratiques au Proche-Orient. Sauver les Palestiniens est une question urgente immédiate. Le « mouvement pro-palestinien » tel que le campisme de la gauche et de l’extrême gauche l’ont façonné et relancé depuis le 7 octobre 2023, est de ce point de vue une arrière-garde barrant la voie à l’aide réelle aux Palestiniens, qui sont pour lui non un peuple combattant pour sa liberté, mais un fétiche « anti-impérialiste » et « antisioniste ». Ce mouvement a fait du « génocide » une formule fétiche brandie en fait dès avant le 7 octobre 2023, et n’a pas fait de différence entre Biden et Trump, au plein avantage de Trump. Malgré sa relative massivité dans la jeunesse étudiante, ces travers l’ont désarmé et isolé contre une répression bien réelle. Il est maintenant dans l’impuissance alors que le génocide arrive pour de bon, ce qu’il n’a empêché en rien. Sauver les Palestiniens demanderait une campagne concrète pour des convois humanitaires protégés militairement allant aider les Gazaouis, combinée à l’exigence de l’arrêt de toute aide militaire à Israël, alors que c’est l’Ukraine qui en a besoin. Les Israéliens mobilisables et une très grande proportion de soldats et d’officiers ne suivent plus Netanyahou, et une telle initiative finirait de faire éclater l’affrontement interne israélien. L’enjeu de cet affrontement est l’État de droit pour les Israéliens eux-mêmes, mais comme il conduit soit à la dictature de Netanyahou, soit à sa chute (et à son jugement), cette dernière issue est celle qui sauverait les Gazaouis. Elle serait aussi la plus dangereuse pour le Hamas car les Gazaouis sauvés le contesteront d’autant plus – et là se trouvent les dernières chances de sauver les otages survivants. La défense de la révolution syrienne est l’autre question clef de cette région, complètement étrangère au « mouvement propalestinien ». Question démocratique et question militaire sont étroitement liées en Syrie : processus électoral constituant et non pas renvoi des élections libres à plus tard, et formation d’une armée nationale populaire prenant la place des milices en absorbant la plupart d’entre elles, sont deux questions associées l’une à l’autre. La difficulté des courants de gauche syrienne à les poser est significative : ils parlent de la nécessité d’un État de droit, d’une centralisation des armes, d’une justice transitionnelle, toutes choses valables et justes, mais qui demandent un regroupement des forces pour une assemblée nationale syrienne et une armée nationale syrienne, maintenant. La situation au « Proche Orient » montre la connexion entre démocratie et armée, assemblées constituantes et armées nationales. Je viens d’employer le pluriel, car le raisonnement valable pour la Syrie l’est aussi pour le Liban, et, en fait, pour la Palestine : contre le Hamas et, par-delà le Hamas, contre la tradition des milices qui l’ont précédé et lui ont ouvert la voie, celles des organisations nationalistes arabes de forme stalinisante (Fatah, FPLP, FDPLP…), l’organisation directe du peuple donc son armement (alors que la confiscation toute de possibilité de combat direct du peuple est symbolisée par les souterrains du Hamas interdits aux civils voulant se protéger des bombes israéliennes), et l’élection de représentants, donc l’articulation entre l’exigence de reconnaissance d’un Etat palestinien, et celles d’une armée nationale et d’une assemblée constituante nationale, ne devraient-elles pas être mises en avant ? Remarquez que cette perspective, seule à même d’aller dans le sens de la mise en œuvre effective des droits nationaux des Palestiniens, implique l’existence à moyen terme de deux Etats, palestinien et israélien, avec garantie des droits démocratiques pour la totalité de leurs résidents. S’accrocher à la formule de l’Etat unique judéo-palestinien dans ces conditions conduit à s’opposer à tout pas en avant réel pour les Palestiniens. En Syrie, la construction d’une armée nationale et l’adhésion à un processus constituant national (élections libres) est dans l’immédiat aussi l’intérêt des habitants, kurdes et non kurdes, de la zone contrôlée par les FDS, qui est celle où la révolution renversant Bachar a connu le plus de résistance puisque l’appareil d’État dirigé par le PYD, malgré les fantasmes campistes sur une terre promise dans la « commune du Rojava », était et est en réalité le dernier morceau de l’ancien régime, certes bien secoué et déjà modifié. La question nationale kurde existe cependant bien au-delà de la Syrie, mais les forces politiques monopolisant la représentation des Kurdes – les deux partis bourgeois du Kurdistan irakien et le PKK-PYD – ont toutes renvoyées à la saint-glin-glin une unité éventuelle du Kurdistan (cette renonciation ayant pris la forme, dans le cas du PKK, du ralliement au supposé « confédéralisme démocratique »). Nul doute que cette question se reposera, et que pour en discuter, une sorte de congrès ou de convention nationale kurde, par-delà les frontières, sera à un moment donné nécessaire, et que tous ces appareils politico-militaires n’en voudront pas. Mais au moment actuel l’intérêt des Kurdes passe par leur pleine participation au possible processus démocratique syrien, faisant suite à la victoire populaire formidable qu’a été et que reste la chute de Bachar el Assad. Israël tente de manipuler, en se serviteur y compris d’anciens hommes de Bachar, les druzes du Sud de la Syrie se sentant menacés par les milices sunnites. En fait, la fuite en avant génocidaire israélien aurait tout à craindre d’une participation effective des druzes de Syrie au processus national, constituant et militaire, souhaitable et possible en Syrie. Les druzes ne forment pas, dans leur conscience, une nationalité, mais un groupe religieux et culturel. Leur participation à la démocratie en Syrie rayonnerait sur ceux du Liban, du Golan et d’Israël, et c’est bien la question de la restitution du Golan à la Syrie, occupé depuis 1967, qui pourrait alors s’imposer. La réalisation d’espaces démocratiques, et donc militaires, nationaux, syriens, libanais et palestiniens, les relations entre druzes à travers la Syrie, le Liban et Israël, la libre discussion de l’avenir des Kurdes par-dessus les frontières, sont compatibles avec l’existence d’un Israël laïque et démocratique, reconnaissant le tort fait aux expulsés palestiniens de son territoire tout en s’assumant comme refuge juif contre l’antisémitisme, dont la population majoritairement (mais non exclusivement) judéo-israélienne ne serait plus alors un groupe colonial et colonialiste, mais l’un des peuples de cette région riche en cultures humaines. C’est là la seule possibilité de survie d’Israël. Contre la guerre indo-pakistanaise. Un autre cas de figure est celui de l’Inde et du Pakistan. Dans les conflits armés, la recherche de la révolution – car c’est de cela qu’il s’agit, n’est-ce pas ? – peut passer par des positions variables, défensistes, pacifistes, défaitistes, bellicistes… Le cas indo-pakistanais, à première vue, est un cas où s’impose une position « pacifiste », à condition de préciser, tant ce mot, comme bien d’autres, est galvaudé, que l’on entend par là l’opposition sociale, ne reculant pas devant les moyens y compris armés, si le rapport des forces le permet, à la politique des gouvernants. En effet, de part et d’autre, les gouvernements ont enclenché le processus susceptible de leur échapper en glissant, pour étouffer les situations intérieures : un Modi à la légitimité entamé en Inde, depuis les dernières élections, qui menace les fondements laïcistes (le terme est plus approprié que laïque) de l’Inde en s’en prenant aux musulmans, et un pouvoir pakistanais confronté notamment à des mouvements de masse des peuples baloutches et pachtounes, sans oublier, en outre, la situation postrévolutionnaire au Bangladesh, et l’effritement inexorable du pouvoir militaire au Myanmar devant les guérillas populaires. Il faut ajouter à ce tableau le fait que l’existence même du Pakistan – il a été créé pour ça – est défini par son opposition à l’Inde (l’inverse n’est pas vrai) et par la division artificielle des peuples cachemiri, pendjabi et sindhi. Une perspective démocratique porte aussi, dans cette région, une révision des formes étatiques et des frontières existantes, mais elle ne passe pas par la guerre entre les Etats, mais par l’affrontement social et politique dans chacun d’entre eux – à cet égard, les manifestations au Pakistan contre les bombardements indiens ne doivent pas tromper, elles peuvent se retourner contre le pouvoir. Modi, en Inde, menace les fondements démocratiques du pays conquis par sa lutte pour l’indépendance contre le colonialisme britannique. Les deux pouvoirs sont de plus en plus instables – instabilité de l’État lui-même au Pakistan, du gouvernement central en Inde. C’est pourquoi le risque est réel que leurs dirigeants persistent dans une voie qui peut mener à des explosions nucléaires, alors que la majorité des peuples rejette cette fuite en avant. La voie de la paix pourrait donc passer ici par la révolution renversant les deux pouvoirs – ce qui n’est pas, on le voit, purement et simplement « pacifiste » comme issue ! Question de méthode. On pourrait continuer en discutant de l’Asie orientale et d’autres régions, mais il me semble à ce stade plus important d’insister sur la méthode. Prenons le cas proche-oriental : j’ai notamment tenté ici de dessiner des perspectives stratégiques concrètes valant la peine que l’on se mobilise pour elles, car elles sont réalisables – la chute de Bachar a bien été réalisée, non ? – pour une région réputée la plus difficile, la plus inextricable (« l’Orient compliqué », comme dire les experts… occidental !). Tentative sans aucun doute trop « algébrique », offerte à la critique et à la discussion. Mais n’est-il pas nécessaire et urgent de raisonner ainsi, globalement ? La manière « transitoire » de dessiner des perspectives politiques stratégiques adoptées ici, tente de reproduire pour le Proche Orient la méthode que nous avons déjà, plus nettement, dessinée pour l’Europe (mais incomplètement là aussi, soyons modestes, il faut poursuivre ce travail). Elle se situe à mi-chemin des deux écueils, qui, eux, sont très répandus. L’un de ces écueils est la perspective théorique ultra-révolutionnaire en or massif ou en béton armé : « Etats-Unis socialistes du Proche et du Moyen Orient ! », « une seule Palestine juive et arabe, laïque et démocratique » ! – bref, révolution mondiale tout de suite et on rase gratis (en fait, on aura à s’occuper de l’effondrement de la biosphère…). L’autre écueil est, inversement, le pragmatisme de l’immédiat, proposant des réformes et des initiatives, souvent locales, fort louables, sur le terrain de l’organisation immédiate de la survie. Cela, c’est nécessaire, c’est la base, mais en faisant l’unique horizon, c’est se priver des possibilités d’en sortir. Le point commun aux deux écueils est que l’un comme l’autre éviter d’aborder la question du pouvoir politique, alors même que quand l’existence des peuples est en cause – et c’est le cas pour les Palestiniens de la manière la plus urgente, mais aussi pour les Syriens, les Libanais, les Kurdes, les Israéliens – c’est LA question (cela l’est déjà dans toutes les sociétés capitalistes en crise !). Question qui, il faut le préciser, ne se limite pas à celle du gouvernement mais contient celle de la forme politique globale, donc de la démocratie et de l’armée, voies concrètes de tout « contenu de classe ». J’ai la faiblesse de penser que nous avons besoin de débats stratégiques plutôt que de débats académiques . Il faut certes prendre le temps de la discussion, mais en se hâtant. Procéder en ayant peur des réflexions stratégiques, en les traitant de « thèses », en soupçonnant ce qui émane déjà d’un débat collectif de constituer sur ne sait quelle menace sectaire, en fixant des étapes c’est-à-dire en les imposant, donc en imposant le surplace préservant les quant-à-soi, c’est courir le risque, dans le meilleur des cas, de réaliser une sorte de Monde Diplomatique non campiste, ce qui ne servirait en fait à rien car les échanges et traductions de textes théoriques existants déjà, même s’il faut les multiplicateurs et les diffuseurs. VP, le 10/05/25. |
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