Nous publions ci-dessous la traduction d’un article rédigé en anglais par un militant, enseignant et journaliste pakistanais, directeur éditorial d’un journal ourdou, Jeddohehad , La lutte , Farrok Sulehria , initialement paru sur le site Link’s International Journal of Socialist Renewal’s Vision .
Nous le publions en tant que contribution à la discussion sur les questions militaires dans la situation mondiale présente, du point de vue prolétarien révolutionnaire et démocratique, abordée dans nos colonnes depuis maintenant plusieurs années et qui s’intensifie car l’actualité l’exige.
Dans l’article de discussion A nouveau sur guerre et révolution : Gaza, Inde/Pakistan, méthode , de Vincent Présumey (10 mai dernier), celui-ci soulignait que « Dans les conflits armés, la recherche de la révolution – car c’est de cela qu’il s’agit, n’est-ce pas ? -peut passer par des positions variables, défensistes, pacifistes, défaitistes, bellicistes… »
Ces lignes étaient écrites en pleine escalade indo-pakistanaise et le cas indo-pakistanais était présenté, dans cet article, comme devant relever d’une démarche révolutionnaire pacifiste, c’est-à-dire également opposée à la guerre dans les Etats concernés, l’Inde et le Pakistan.
La raison principale de cette position tient au fait que cette guerre s’explique, de part et d’autre, par le besoin des deux régimes de réprimer leurs oppositions sociales et démocratiques internes. Elle n’implique pas une mise à égalité entre Inde et Pakistan : l’Inde indépendante est le fruit d’une longue lutte anticoloniale, le Pakistan résultant de la division de cette lutte au nom de l’idéologie opposant mortellement hindous et musulmans, exprimée au passage dans l’article de Farrok Sulehria. Il cite justement le poème d’une féministe marxiste pakistanaise s’adressant à ses sœurs et frères indiens, pour leur dire qu’avec l’hindutva, le BJP de Modi au pouvoir, ils connaissent le même discours, le même « enfer », dit-elle. Et Farrok Sulehria dénonce aussi le Congrès, au pouvoir avant le BJP, pour avoir commencé à faire de l’exclusivisme hindou avant même le BJP.
Pacifisme aujourd’hui en Inde et au Pakistan, donc, mais pas au sens de Gandhi, ni du pacifisme intégral, ni encore moins du « Mouvement de la Paix » infiltré jusqu’à la moelle par les poutinistes que nous avons en France , mais du point de vue internationaliste reposant sur l’unité mondiale de la lutte des classes, et pertinent donc tout autant de la politique militaire prolétarienne que toute autre méthode reposant locale sur la même orientation sérieusement révolutionnaire… ce dont nous avons une démonstration éclatante dans ce que dénonce Farrok Sulehria.
En effet, il déplore le fait que les principaux (pas tous) dirigeants d’organisations tant pakistanaises qu’indienne se réclamant du « marxisme » ont soutenu leurs gouvernements dans leurs guerres l’un contre l’autre. Au Pakistan, ils ont d’énoncé l’Inde comme agresseur, impérialiste, allié du « sionisme » (il se trouve d’ailleurs des envoyés du Hamas pour faire la propagande de l’armée pakistanaise en Azad-Cachemire et y favoriser la répression, comme vous le verrez en lisant cet article !) et ont développé l’alliance chinoise. En Inde, les deux PC ont tous deux soutenus Modi dans sa guerre, tout en dénonçant eux aussi l’impérialisme (occidental), le « sionisme », etc.
Bref, en Inde et au Pakistan, les campistes qui soutiennent Poutine contre l’Ukraine ont tous ensemble soutenus leurs gouvernements ultra-droitiers souveraineté contre le pays d’en face !
Leçon puissante à méditer !
Aplutsoc.
Cent heures de solitude : un pacifiste pakistanais raconte la guerre indo-pakistanaise.
Chaque mardi, je donne trois cours. Ce semestre, j’enseigne un module supplémentaire pour gagner un peu plus d’argent. Le mardi 6 mai était donc déjà un mardi très chargé, auquel s’ajoutait le travail quotidien de publication d’articles sur Jeddojehad ( La lutte ), que j’édite.
En arrivant chez moi ce mardi-là, je me suis endormi sur mon canapé vers 21 heures, en prenant soin de mettre mon téléphone en mode silencieux. Le lendemain matin, j’ai trouvé sur mon téléphone un déluge de messages WhatsApp me demandant : « Es-tu en sécurité ? « Es-tu en sécurité ? »
Les gens s’attendaient à ce que l’Inde attaque, mais pas à ce qu’elle attaque Lahore. Depuis 1971, la tendance avait toujours été de s’affronter sur la terre de mes malheureux ancêtres, le Jammu-et-Cachemire (J&K). J’ai consulté la BBC Urdu, qui a confirmé que Lahore était attaquée.
Ironiquement, le premier message vocal que j’ai entendu provenait de mon neveu, étudiant à l’université Quaid-e-Azam d’Islamabad : « Mon oncle, l’Inde a attaqué Lahore. Tout va bien pour toi ? ». J’ai ironisé : « J’ai embrassé le martyre. Salutations pour al-Jannah [ le paradis, NDR] . Ne fais pas confiance aux mollahs… al-Jannah n’est pas aussi belle qu’ils le disent ».
J’ai souri, pensant que ma réponse pourrait chatouiller sa fibre confessionnelle, sans réaliser que ce serait mon dernier sourire chaleureux pendant trois jours. En tant que pacifiste, mes cent heures de solitude avaient commencé.
Les fondamentalismes.
Après avoir répondu aux messages et aux courriels d’amis et de parents s’inquiétant pour moi, j’ai commencé à parcourir les médias sociaux. Leurs utilisateurs pakistanais crachaient du venin contre l’Inde. Les Indiens leur rendaient la pareille.
Je n’ai pas la télé à la maison pour éviter les chaînes d’information pakistanaises. Leur couverture de la guerre m’a convaincu de rester sur mes positions jusqu’à ce que ces chaînes soient abolies. Les clips Facebook des chaînes d’information indiennes m’ont convaincue que l’Inde dirigée par les Hindous-Talibans avait également dépouillé ses médias de toute décence.
Mes pensées se sont tournées vers la poétesse marxiste-féministe Fahmida Riaz (1946-2018), aujourd’hui décédée. Lorsqu’il est devenu impossible de vivre sous la dictature du général Zia-ul-Haq au Pakistan, Riaz s’est exilée à New Delhi dans les années 1980.
À l’époque, le Bharatiya Janata Party (BJP) gagnait du terrain en tant que projet fondamentaliste hindou (Hindutva). Mais le Congrès national indien (CNI) – réduit alors à la politique dynastique des clans Nehru-Gandhi – jouait déjà la carte d’une hindutva douce.
J’ai eu le privilège de rencontrer et d’écouter l’universitaire marxiste indien Aijaz Ahmad, dans le cadre de mon travail de doctorat à New Delhi. Lors d’un séminaire à l’université Jawaharlal Nehru (JNU), il a déclaré, à l’amusement des étudiants qui avaient rempli l’auditorium : « Le BJP est un fondamentaliste hindou programmatique, le Congrès est un fondamentaliste hindou pragmatique ».
Désillusionné par le sécularisme factice du Congrès et préoccupé par la montée de l’hindutva, Riaz a écrit un poème immortel, que les pacifistes pakistanais envoient à leurs homologues indiens chaque fois que le BJP inflige une nouvelle brutalité aux minorités religieuses du pays.
Voici un extrait :
Ainsi il s’avère que tu es comme nous !
Tu étais caché où tout ce temps, mon pote ?
Cette stupidité, cette ignorance
Où nous rampons depuis un siècle –
Regardez, la voilà près de toi ! …
Ouai, pour nous ça fait un bail,
Maintenant que vous y êtes,
Maintenant que vous êtes dans ce même enfer,
On reste en contact et vous nous dites comment ça se passe !
WhatsApp n’a pas été interdit. J’ai pu parler à mon ami Sushovan Dhar à Calcutta. Il m’a dit que l’hystérie de guerre s’était emparée de toute l’Inde. Nous avons convenu d’écrire ensemble un essai pour Jacobin, mais avons estimé que la guerre ne durerait pas longtemps.
Camarade ! Toi aussi ?
Je savais que tant que la guerre durerait, les pacifistes resteraient très isolés, marginalisés, trollés, éloignés. Ce à quoi je ne m’attendais pas, c’est que la gauche contribue à cette solitude.
Je m’attendais à une position floue de la part du Parti communiste indien (CPI) et du Parti communiste indien-marxiste (CPI-M). Étant donné que le CPI et le CPI-M ont été largement réduits à la politique électorale et manquent de militantisme, j’ai compris qu’ils ne craindraient de donner à l’Hindutva des bâtons pour battre la gauche dans la période précédant les élections. J’ai eu lamentablement tort : le courant principal de la gauche indienne était loin d’être flou – il a soutenu sans réserve la guerre de l’Inde contre le Pakistan, sous le prétexte ennuyeux et familier de mener une « guerre contre la terreur ».
Mais ce n’est pas le courant principal de la gauche indienne qui m’a fait me sentir personnellement trahi ; je m’attendais à sa position. C’est le fait que certains groupes pakistanais ont aussi commencé à battre les tambours de guerre. Les déclarations de la « gauche du hamburger » – terme satirique populaire faisant référence aux classes moyennes de gauche qui mangent des hamburgers – se multiplient, surpassant les bellicistes traditionnels qui encombraient les écrans de télévision.
Dégoûté, le 8 mai, au troisième jour de la guerre, j’ai publié sur Facebook une déclaration intitulée « Les escarmouches frontales mettent à nu les « révolutionnaires » ». J’ai écrit (à l’origine en ourdou) :
« Les guerres – même aussi longues et destructrices que les guerres mondiales – ont une fin. En tant que socialiste, on s’en tient au point de vue internationaliste de Lénine, Rosa, Liebknecht et Trotsky. C’est un impératif.
Il est possible que l’on soit bombardé à mort pendant une guerre. Cependant, la position que vous adoptez vous poursuit même dans la mort. L’Inde et le Pakistan n’iront probablement pas au-delà des escarmouches frontales.
Dommage ! Seuls quelques missiles ont été échangés et certains « révolutionnaires » ont déjà révélé la Seconde Internationale profondément ancrée en eux. »
J’ai arrêté de perdre mon temps sur les médias sociaux et j’ai préféré lire la biographie de Maxime Gorki. Cela faisait longtemps que je n’avais pas pu terminer ce chef-d’œuvre. À moitié lu, il reposait sur ma table de chevet. J’ai aussi exhumé quelques poèmes sur la paix.
Du déjà-vu ! J’avais déjà écrit un article sur le sujet de la guerre il y a 15 ans, « Hawks and Poets », que j’ai traduit en ourdou pour Jeddojehad et publié sur LINKS International Journal of Socialist Renewal . Écrit en 2010 après l’attaque terroriste de Mumbai, il décrit la situation de guerre qui avait émergé entre l’Inde et le Pakistan. À l’époque, la gauche s’était comportée décemment des deux côtés.
Il est vrai que la gauche pakistanaise est très petite ; c’est une force marginale en politique. Il est également vrai que la Pakistan Trade Union Defence Campaign (PTUDC) a adopté une position de principe au cours de la récente guerre de quatre jours [le PTUDC groupe des syndicats, à Lahore principalement, sur des orientations d’« extrême gauche »] . Mais ce sont certains des piliers de la gauche, capables d’écrire en anglais et de diffuser leurs travaux par le biais de réseaux internationaux constitués grâce à leurs origines urbaines de classe moyenne et aux diplômes obtenus dans des universités métropolitaines, qui ont fini par représenter la position de la gauche pakistanaise.
Plus visibles que le PTUDC et les innombrables individus qui ne sont membres d’aucun groupe, ces personnalités sont apparues partout dans les médias mondiaux de gauche. Sur le plan international, le « burger de gauche » a adopté une position prudente. Sur le plan intérieur, cependant, en particulier dans leurs publications en langue ourdou, ils ont apporté un soutien idéologique total au chauvinisme de l’État pakistanais. Les exemples sont trop nombreux pour être documentés.
Myopie de la gauche
Alors que des camarades indiens anti-guerres mieux informés sont mieux placés pour analyser le rôle de la gauche indienne au cours de la récente guerre entre l’Inde et le Pakistan, je décrirai quant à moi la position de ces « révolutionnaires » de ce côté-ci de la frontière. Leur soutien au Pakistan se justifie essentiellement pour les raisons suivantes.
d’abord, l’Inde est l’agresseur. Ironiquement, ces mêmes « révolutionnaires » ont apporté un soutien total au président russe Vladimir Poutine lorsque la Russie a envahi l’Ukraine !
Deuxièmement, l’Inde fasciste collabore avec l’Israël sioniste. La preuve ? Le fait que l’Inde a tiré des drones israéliens sur le Pakistan.
Ridiculement, une tournure impériale a été donnée à la position de ces « révolutionnaires ». L’Inde a été présentée comme un allié des États-Unis, tandis que le Pakistan était un David régional patronné par un Goliath mondial bienveillant, la Chine. Que la Chine ait 24 milliards de dollars de commerce avec Israël ou qu’elle l’aide à construire des colonies ne dérangeait pas ces « révolutionnaires » !
Pire, tous les crimes du régime pakistanais ont été passés sous silence. Oui, il est vrai que l’Inde a eu recours à l’agression au lieu de la diplomatie. Notamment, la gauche indienne est divisée sur la question de savoir s’il faut qualifier le BJP de « fasciste ». Mais même si le BJP est fasciste, le travail de la gauche pakistanaise est de demander des comptes à son État, avant de pointer le doigt sur New Delhi.
En l’occurrence, l’establishment pakistanais a donné une bande dans le dos aux groupes djihadistes, du moins à ceux du Jammu Cachemire administré par le Pakistan (PaJK). En outre, la réponse impétueuse de l’Inde aide objectivement le régime hybride pakistanais assiégé à l’intérieur, comme le montre clairement la manière dont l’armée a regagné sa popularité perdue.
Le djihad réactivé.
Exilée à Londres depuis la publication de son livre Military Inc , Ayesha Siddiqua est une spécialiste reconnue de l’armée pakistanaise. Dans un article publié sur le site web indien The Print (inaccessible au Pakistan sans VPN), elle écrivait en février :
« Une source bien informée à Islamabad a déclaré que Rawalpindi se préparait à relancer l’activisme – à une échelle similaire plus faible mais notable – pour forcer l’Inde à négocier sur le Baloutchistan. »
Le Pakistan est confronté à un mouvement séparatiste armé au Baloutchistan, qui est géographiquement la plus grande des quatre provinces et qui est limitrophe de l’Iran et de l’Afghanistan. La Chine a construit un énorme port à Gwadar, une ville côtière du Baloutchistan, faisant de la province un maillon important de l’initiative chinoise des « Nouvelles routes de la soie » [le port de Gwadar articulerait les « routes de la soie » continentales au « collier de perles » chinois dans l’océan Indien, encerclant l’Inde, NDR]
Le Pakistan a accusé à plusieurs reprises l’Inde d’armer et d’entraîner l’Armée de Libération du Baloutchistan (BLA), organisation responsable de plusieurs attaques de guérilla contre des installations de sécurité et contre des travailleurs chinois au Baloutchistan. Affirmant que l’actuel chef de l’armée pakistanaise, le général Asim Munir, revenait sur la politique d’apaisement avec l’Inde menée par son prédécesseur, le général Qamar Javed Bajwa, Ayesha Siddiqua a fait remarquer que « l’armée pakistanaise n’est pas la seule à être en conflit avec l’Inde » :
« Il ne s’agit seulement du fait que Munir est traditionnellement plus faucon envers l’Inde, mais aussi de ce qu’il a besoin de construire son image de fermeté et de devenir plus populaire parmi ses soldats et ses officiers, qui sont distraits par le facteur Imran Khan [ancien premier ministre en prison pour corruption, NDR]. Bien que Munir dispose du pays tout entier, son système judiciaire, sa bureaucratie civile, les médias et le système politique, rien de tout cela n’a pu lui apporter la popularité qu’il pensait possible. »
En l’absence de toute preuve empirique, il est difficile d’affirmer avec certitude que le Pakistan a commandité l’attaque terroriste de Pahalgam. De même, il est impossible d’étayer ou de vérifier les affirmations de Siddiqua. Cependant, une reprise de la propagande djihadiste, clairement parrainée par l’État, en Azad-Cachemire pakistanais, est visible de manière inquiétante depuis 2024.
Les organisations djihadistes et les groupes fondamentalistes ont été initialement déployés pour contrer le mouvement de masse contre les hausses de prix hyperinflationnistes, qui a secoué la province en 2023-24. Cette intifada anti-néolibérale a contraint l’État à réduire les prix de l’électricité.
Après une agitation initiale contre les nationalistes laïques et les marxistes à la tête du mouvement, les organisations djihadistes sont demeurées dans la sphère publique. Leur présence à partir de l’automne 2024 a été notable, surtout après une certaine mise en sommeil d’environ six ans. Leurs militants armés ont organisé des rassemblements publics, malgré l’interdiction de brandir des armes.
Anwar ul Haq [dirigeant de la province]] a suggéré à deux reprises la reprise du djihad : dans une interview accordée à une chaîne de télévision de second ordre et en compagnie du Premier ministre pakistanais Shehbaz Sharif et de Munir [chef de l’armée, NDR] , lorsqu’ils se sont réunis dans la capitale de l’Azad-Cachemire, Muzaffarabad, pour célébrer la « Journée de la solidarité avec le Cachemire » .
Cette journée est célébrée chaque année le 5 février sous la tutelle d’Islamabad. Elle se déroule généralement à Islamabad, la capitale du Pakistan, dans le mais d’attirer l’attention des ambassades étrangères. Cette année, un grand spectacle a été organisé à Muzaffarabad. Le plaidoyer d’Anwar pour le djihad n’a pas été retransmis sur les grandes chaînes pakistanaises.
La conférence « Solidarité avec le Cachemire et l’opération Déluge d’al-Aqsa du Hamas » , qui s’est également tenue le 5 février dans la ville pittoresque de Rawalakot [proche de la ligne de démarcation avec l’Inde, NDR] , a été tout aussi discrète. Organisé sous les auspices de Rawalakot Civil Society , inconnu jusqu’alors, l’événement a accueilli un délégué du Hamas. Rawalakot est une plaque tournante de la politique radicale ; les marxistes et les nationalistes laïques et dominent la rue et le monde étudiant.
Talha Saif, le frère cadet du fondateur du Jaish-e-Mohammed [groupe armé islamiste lié aux services secrets pakistanais] Masood Azhar, a été chargé de mobilisateur en faveur de la conférence. L’une des cibles des missiles indiens le 6 mai était un local du Jaish-e-Mohammed à Bahawalpur, qui a tué dix membres de la famille d’Azhar et quatre combattants. Les commandants du Lashkar-e-Tayyiba (rebaptisé Jamaat-ud-Dawa ) et du Sipah-e-Sahaba ont également apporté publiquement leur soutien à la conférence de Rawalakot, qui s’est tenue au stade Sabir Shaheed.
Pour couronner le tout, le général Munir a rappelé l’idiomatique « théorie des deux nations » dans son discours prononcé lors d’une convention d’expatriés pakistanais à Islamabad le 16 avril. Cette théorie repose sur l’idée implicite que les hindous et les musulmans sont des ennemis éternels. Elle a été utilisée par les classes dirigeantes pakistanaises pour justifier la création du Pakistan en 1947. Son discours, assurément venimeux et hautement problématique, a suscité l’ire des médias indiens.
En bref, des signes inquiétants d’escalade apparaissaient, même si c’était par inadvertance. Malheureusement, dans cette période de post-vérité, les faits n’ont guère d’importance, même pour certains « révolutionnaires ».
L’hystérie de guerre met temporairement fin à l’aliénation.
Le deuxième jour de la guerre, le 7 mai, j’ai parlé à un ouvrier que je connais depuis quelques années. Il se plaint souvent de ses problèmes économiques lorsque je me rends sur son lieu de travail. C’est un parangon de piété et de foi.
Comme tout le monde, il a commencé à parler de la guerre entre l’Inde et le Pakistan et à tenu quelques propos chauvins. J’ai contré ses arguments. L’instant d’après, il critiquait les « dirigeants » qui avaient imposé cette guerre au peuple pakistanais. Il savait que l’après-guerre aggraverait la situation économique.
Après avoir quitté son lieu de travail et réfléchi à ce qui s’était passé, j’ai écrit sur Facebook (légèrement modifié) :
« Si une vieille sagesse veut que le nationalisme « jingo » s’empare des gens au début d’une guerre, cette sagesse n’est que descriptive. Le nationalisme à ce stade aide les travailleurs et les gens sans pouvoir à surmonter leur aliénation et leur marginalisation causées par le capitalisme. Le capitalisme les atomise, en particulier dans un pays comme le Pakistan, où la syndicalisation est inexistante.
Les travailleurs créent et craignent simultanément les patrons capitalistes ; ces derniers apparaissent comme des compatriotes au début de la guerre et, pendant un certain temps, tous – travailleurs et patrons, généraux militaires et soldats – deviennent apparemment un tout uni.
Qu’il s’agisse d’une illusion est sans doute su des travailleurs et des soldats. Mais la colère refoulée contre leurs propres patrons est déversée contre « l’ennemi ». Une sorte de catharsis qui apaise encore davantage les sentiments d’aliénation et d’éloignement un temps suspendus. »
Une guerre sans fin.
Le matin du 9 mai, j’ai entendu un bruit sourd. Il venait de loin, mais assez près pour que mes fenêtres tremblent. Un missile ? Un drone ? J’ai frémi. Un autre à venir ? Je suis resté figé un moment, physiquement et mentalement.
J’ai décidé de me rendre à mon bureau, même si l’université n’était plus en ligne. Je me suis dit « advienne que pourra » et j’ai commencé à préparer mon café. Le fatalisme est la dernière échappatoire dans ce genre de situation.
En me rendant à mon bureau, j’ai pensé à Gaza et je me suis senti gêné par tous les messages du genre « êtes-vous en sécurité ? » tout en éprouvant mon propre engourdissement causé par un bruit sourd.
Le lendemain, après l’annonce d’un cessez-le-feu, j’ai demandé à mes étudiants ce qu’ils avaient pensé de ces cent heures de folie. Je voulais savoir si mes enseignements avaient eu un effet. Ils m’ont tous répondu qu’eux pensaient aussi à Gaza. Pour la deuxième fois, un engourdissement inexplicable m’a paralysé.
La guerre est apparemment terminée pour l’instant, mais elle ne s’est pas arrêtée pour autant pour les pacifistes.
Le mois prochain, le Pakistan augmentera son budget militaire de 13 %. Le service de la dette – le Pakistan reste au bord de la faillite – et les dépenses militaires se taillent déjà la part du lion dans le budget.
Les chaînes d’information et les utilisateurs des médias sociaux sont occupés à glorifier la victoire sur l’Inde. Pendant ce temps, mon collègue de Jeddojehad, Harris Qadeer, basé à Rawalakot, est victime de harcèlement policier.
Détenu à deux reprises par la police au cours des quatre longs jours de guerre, il a été rapidement relâché à chaque fois, lorsque la société civile locale et les journalistes sont intervenus. Son arrestation s’est faite en violation de la loi – des lois qui sont elles-mêmes injustes.
Harris est une voix de la paix et du socialisme, et l’un des meilleurs journalistes que nous avons en Azad-Cachemire. Il a joué un rôle déterminant dans le mouvement de masse anti-néolibéral qui a secoué la région l’année dernière. Il est bien connu en tant que journaliste et militant.
Le quotidien qu’il a fondé, Jadaliya (Dialectique), a été fermé par l’État il ya quelques années. Lors de son arrestation et de son harcèlement – et avec les souvenirs de Jadaliya encore très frais dans nos mémoires – nous nous sommes exposés sur l’avenir de Jeddojehad.
Les guerres entre l’Inde et le Pakistan ne durent pas longtemps. Cependant, les deux États n’ont jamais mis fin à leurs guerres contre leurs citoyens indépendants.
L’avenir de Jeddojehad ne sera pas déterminé par une guerre inévitable entre l’Inde et le Pakistan qui nous visitera à nouveau dans quelques années. Le destin de Jeddojehad, auquel Harris et moi-même sommes dévoués, sera décidé par la guerre sans fin contre la liberté d’expression au Pakistan.
Nous espérons que Jeddojehad survivra. Nous pensons également que Jeddojehad sera relancé par la prochaine génération de pacifistes, même si nous échouons cette fois-ci. Jeddojehad doit continuer !
Farrok Sulehria, 25 mai 2025.
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