Black-out électrique en Espagne : que sait-on réellement après 3 jours de panne

01/05/2025
©Crédit Photographie : Emilio Morenatti

Ce qu’il faut retenir du black-out électrique en Espagne :

  • Ce lundi 28 avril, il y a eu un black-out électrique en Espagne et au Portugal. Près de 55 millions de personnes se sont retrouvées dans le noir. C’est une situation grave, même si le courant a pu être rétabli rapidement. Des personnes ont pu trouver la mort dans cet accident rarissime…
  • Plus de trois jours après, il est toujours trop tôt pour donner les causes de cet événement tragique. La priorité était en effet jusqu’ici au rétablissement du courant et il faut ensuite prendre le temps d’analyser les données, provenant de différents pays, avant de tirer des conclusions.
  • L’Espagne a une situation électrique particulière avec beaucoup de renouvelables et une faible interconnexion au continent européen. Pour autant, rien ne permet de conclure sur ce qu’il s’est produit à ce stade.
  • Les réseaux sociaux s’en sont donnés à cœur joie sur ce qui peut être le coupable tout désigné : l’Europe via les interconnexions ou les énergies renouvelables. Même certaines chaînes de télévision, pourtant d’ordinaire respectables, se sont faites piéger par la nécessité de meubler et d’apporter rapidement des éléments.
  • Dans ces moments-là, les experts font preuve de retenue alors que les charlatans saisissent leur opportunité d’exister. Il faut être prudent et accepter de devoir attendre pour connaître les vraies raisons plutôt que de risquer de véhiculer des messages politiques malheureux.

 

Un black-out c’est quoi?

Nous ne nous en rendons pas compte, mais avoir l’électricité à chaque instant chez soi relève de la prouesse technique. A chaque instant, il faut que la production soit égale à la consommation sans quoi, le réseau peut s’écrouler et des coupures d’électricité peuvent intervenir sur une zone plus ou moins grande.

C’est d’ailleurs arrivé plusieurs fois dans le passé. Sur toute la France en 1978 et en 1987 dans l’ouest de la France. Plus proche de nous, mais il y a tout de même 20 ans, l’Italie a connu une coupure électrique généralisée à la suite de la chute d’un arbre sur une ligne haute tension en Suisse en 2003. En Allemagne en 2006, à la suite d’une mauvaise coordination entre transporteurs d’électricité, 15 millions d’européens sont privés d’électricité. Les risques de black-out ne datent ainsi pas des renouvelables : ils ont toujours existé et se sont déjà produits.

C’est un incident qui peut être grave et il peut y avoir des morts à cause de respirateurs mal alimentés ou des accidents de la route. Ce n’est pas le genre d’événement qu’il faut prendre avec légèreté ou considérer comme une opportunité politique.

Ce lundi 28 avril, c’est ce qui est arrivé à l’Espagne et une partie du Portugal. Un événement exceptionnel dans son ampleur et qui a occupé, à juste titre, une grande place médiatique.

Dans l’urgence, les médias peuvent tenter de vouloir proposer des explications alors qu’il est trop tôt pour le savoir. Pire, alors que des experts préfèrent se mettre en retrait le temps de savoir ce qu’il s’est passé, des pseudo-experts peuvent en profiter pour prendre le créneau et passer des messages politiques. C’est ce que nous allons voir par la suite.

 

Ce que nous savons des causes du black-out électrique en Espagne

Ce sera le message principal de cet article : à l’heure où nous l’écrivons, nous savons très peu de choses, si ce n’est qu’il est urgent d’attendre. Toutes les hypothèses simples évoquées jusqu’ici ont été démenties peu de temps après.

  • La piste de l’incendie, la première évoquée, a été très vite écartée par RTE, le gestionnaire de transport d’électricité français.
  • Celle de la cyberattaque, bien que palpitante en ces temps de géopolitique troublée, est également écartée assez vite.
  • Alors qu’une information semble se propager en provenance du Portugal comme quoi une anomalie atmosphérique a tout déclenché, l’information est démentie et qualifiée de “fake news qui tourne sur les réseaux sociaux”, ce qui n’a pas empêché certaines personnes en plateau télévisé de l’avancer comme nous le verrons plus tard.

 

Plusieurs choses sont en revanche sûres

Un black-out généralisé, cela ne doit pas arriver. Il y a pour éviter cela des réserves de production, nationales et européennes, des redondances sur le réseau et des stratégies de parades. Si un phénomène sur le réseau fait qu’il peut y avoir un écroulement, il y a normalement un “îlotage”, c’est-à-dire un isolement de la partie qui pose problème pour éviter la contagion.

Si le black-out s’est produit, c’est qu’il y a un souci dans la résilience du réseau électrique qui doit être traité, comme cela a été le cas à chaque black-out qui apporte son lot d’enseignement pour améliorer l’exploitation du réseau.

La péninsule ibérique a une situation particulière : beaucoup d’éolien et de solaire, donc potentiellement moins d’inertie sur le réseau, et une très faible interconnexion au reste du continent. Contrairement à la France, les réacteurs nucléaires qui sont sur le réseau espagnol sont prévus pour se mettre à l’arrêt immédiatement quand il y a une perte d’alimentation sur le réseau.

Ce ne sont que des paramètres. Quels rôles ont-ils joué? Le mystère reste total et tout est envisagé. Le sujet est complexe et l’Espagne ayant une interconnexion avec la France, certaines données sont à recouper entre la France et l’Espagne pour avoir les bonnes interprétations.

A noter que contrairement à ce qui a été pointé sur les réseaux sociaux, le manque d’inertie du réseau dû à l’accroissement d’énergies renouvelables sur le réseau est largement soluble et RTE en a parlé dans une vidéo. Pour les aficionados, cela peut être géré avec le déploiement de compensateurs synchrones ou la mise en place du “grid forming”.

L’enquête sera complexe et les autorités espagnoles ont d’ores et déjà déclaré qu’elle pourrait durer 6 mois ! Vous comprenez notre scepticisme quand certains ont annoncé avoir des explications : cela relève au mieux de l’excès de confiance, au pire de l’intention politique pour incriminer une chose ou l’autre.

Les questions soulevées après le black-out

A ce stade les questions sont nombreuses et personne ne peut affirmer ce qu’il s’est passé.

Lors d’une conférence de presse, Red Electrica de Espana (REE, le transporteur d’électricité espagnol) s’est tout juste essayé à donner la chronologie des événements mais avec énormément d’hypothèses et de précautions oratoires, tant ils ne peuvent eux-mêmes pas être sûrs de ce qu’il s’est passé. Ainsi, dans l’ordre :

  • Une perte de production aurait pu être l’origine de tout le désordre et cela pourrait être du solaire (vous notez tous les conditionnels),
  • Toutefois suite à cela, le réseau se serait stabilisé en quelques millisecondes,
  • Ensuite, 1,5 seconde plus tard, une autre perte de production aurait été détectée, potentiellement en conséquence de la perte de la première (rien de sûr une fois de plus là-dedans),
  • Suite à cette déstabilisation, l’interconnexion France-Espagne se serait déconnectée pour éviter une propagation,
  • Immédiatement après, une nouvelle perte de production se serait produite entraînant en cascade la déconnexion de toutes les centrales à gaz, hydraulique et nucléaire, ce qui aurait eu pour conséquence directe l’effondrement du réseau.

Cette séquence reste à confirmer et est pleine d’hypothèses.

Le solaire est-il réellement la cause? Est-ce un problème sur certaines installations ou la totalité? Quel est le lien entre les deux pertes successives de production? Pourquoi les parades d’usage n’ont pas été activées pour circonscrire le problème? Quel rôle a joué la déconnexion de l’interconnexion France-Espagne et était-ce le fonctionnement attendu.

Toutes les hypothèses jusqu’ici écartées mais toujours relayées par les réseaux sociaux et certains faux experts…

 

La furie des réseaux sociaux… et certains médias piégés !

Malgré toutes ces incertitudes et ces précautions d’usage, l’immédiateté du moment impose d’avoir les réponses tout de suite. Des grandes erreurs de communication sont faites dans les institutions qui laissent entendre des premières hypothèses, comme celle d’un aléa météorologique rare relayé par Reuters et démenti peu de temps après.

Côté réseaux sociaux, la désinformation bat son plein et certains y voient là une belle opportunité pour attaquer les énergies renouvelables. Entendons-nous bien : peut-être que le solaire et l’éolien ont joué un rôle dans ce black-out… mais il est à signaler que la part d’éolien et de solaire dans le mix électrique espagnol était à ce moment certes élevée, mais dans la moyenne de ce que fait l’Espagne depuis 2024, comme l’a rappelé le président actuel de RTE Xavier Piechaczyk dans C à Vous.

 

Sélection de réactions sur les réseaux sociaux :

Rappelons au passage qu’il y a eu des morts : s’en réjouir pour voir là l’occasion de confirmer ses théories est totalement indécent.

Sur LinkedIn, les messages agrémentés de graphiques pullulent avec de nombreux engagements, y compris des personnes dont l’entreprise est clairement identifiée :

La désinformation ne se fait pas que sur les réseaux sociaux. CNews, coutumier du fait, à travers la voix de Pascal Praud a trouvé le même coupable que certains messages que l’on voit circuler sur les réseaux sociaux et il l’affirme devant un plateau abasourdi.

Le phénomène ne sera malheureusement pas circonscrit à CNews puisque France Info se met également à inviter à deux reprises sur deux émissions différentes des personnes qui tiennent le même discours, dont l’un marchand d’art et l’autre certes ancien président de RTE mais retraité depuis 20 ans. L’expertise n’aura pas duré longtemps puisqu’il aura repris la théorie de l’aléa climatique, déjà démentie dans la journée et sera repris par Florian Philippot sur le réseau X

C’est ensuite Le Figaro qui invite le même expert retraité pour dire la même chose, qui s’avère tout aussi prématuré et très certainement faux.

Dans tout cela, il faut saluer d’autres médias qui ont tout fait pour résister à l’immédiateté. Ils sont heureusement nombreux ! Nous partageons d’ailleurs ici l’émission de C à Vous et celle de la matinale de France Inter où les experts de RTE ont pu intervenir.

 

Se méfier des experts auto-proclamés

Que faire face à tout cela ? Dans l’urgence, même les organisations officielles et les médias réputés sûrs peuvent diffuser des informations non validées qui se retrouvent être démenties peu de temps après : mieux vaut laisser un temps s’écouler pour être sûrs de ce qu’on lit, y compris de sources sûres.

Inviter des personnes qui s’étalent sur les réseaux sociaux avec beaucoup d’engagements est une mauvaise idée : il faut vérifier le CV des invités. Qui sont-ils ? D’où parlent-ils ? Par qui sont-ils recommandés ? Force est de constater que certaines chaînes sont allées trop vite, soit par manque de moyens, soit pour servir un narratif qui leur convenait bien.

Alors que les sources officielles déclarent que cela prendra plusieurs mois pour être sûrs de ce qu’il s’est passé, soyez sûrs d’une chose : si une personne vous dit qu’elle sait ce qu’il s’est passé, elle vous raconte probablement n’importe quoi à ce stade. Il est possible qu’elle ait raison à la fin : une horloge cassée donne la bonne heure deux fois par jour. Mais rien ne permet d’affirmer quoi que ce soit avec certitude pour le moment.

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