Lundimatin #477 | 26 mai

Indéfendables ?
À propos de la vague d’attaques contre le système pénitentiaire signée DDPF
Un lundisoir avec Anne Coppel, Alessandro Stella et Fabrice OlivertEn avril dernier, une vague d’actions ciblait le système carcéral français. A chaque fois, le sigle DDPF pour Défense des Droits des Prisonniers Français était retrouvé sur les lieux. En parallèle, un canal Telegram revendiquait cette campagne et en explicitait les revendications, soit le respect des droits des prisonniers décrits comme systématiquement bafoués. Dans un brillant article récemment publié dans lundimatin ( lire ici ), l’historien Alessandro Stella revenait sur cette « affaire » pour la recontextualiser à la fois dans le moment politique présent mais aussi plus généralement dans l’histoire du « narcotrafic » et de la politique pénale qui prétend réprimer la vente et la consommation de stupéfiants. Dans ce lundisoir, nous accueillons Anne Coppel, sociologue et pionnière en France de l’étude du prohibitionnisme des drogues, Fabrice Olivert, militant historique pour la défense des consommateurs de drogue et fondateur d’ASUD (Auto support des usagers de drogues) ainsi qu’Alessandro Stella.
On verra comment une pratique millénaire et anthropologiquement banale, -l’usage des psychotropes-, est devenu en quelques décennies le prétexte à une criminalisation et une répression de masse des populations pauvres et plus particulièrement racistes. Comment les figures du « drogué », du « dealer » et maintenant du « narcotrafiquant » ont été construites politiquement et se sont tellement bien ancrées dans nos représentations que lorsqu’une campagne d’actions en solidarité avec les personnes incarcérées se diffuse aux quatre coins de la France, personne dans les champs publics n’entreprend de la soutenir ou à tout le moins de la comprendre.
Sabotages sur la Croisette
« Coupez ! Ce n’est pas un simple accident »

Ce week-end, en plein 78e Festival de Cannes, trois installations électriques ont été sabotées dans les Alpes-maritimes. Un poste électrique incendié à Tanneron, un pylône scié près de Villeneuve-Loubet, et un transformateur incendié à l’ouest de Nice provocant « une panne d’électricité géante » (Le parisien). Pendant ce temps, Un simple accident , le film de Jafar Panahi sur les conditions des prisonniers politiques, tourné clandestinement à Téhéran, obtenait la Palme d’or. « Et soudain le Festival de Cannes dans le noir, une atmosphère irréelle dans la ville. » (Sud-ouest)

Ceux qui ne sont rien
Humilier – opprimer – néantiser

Le 29 juin 2017, le Président de la République française, Emmanuel Macron, récemment élu, inaugure la Station F, ainsi que le grand campus de start-up d’Europe à Paris. Il y avait prononcé un discours improvisé devant un public d’entrepreneurs. Il avait déclaré : « Une gare, c’est un lieu où on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien. Parce que c’est un lieu où on passe. Parce que c’est un lieu qu’on partage ». L’évocation de la gare se rapportait à l’implantation du campus start-up près de la Gare d’Austerlitz.

Conduites en état d’ivresse
« Dans le judaïsme, la justice ne peut consister qu’en un rapport indéfini de l’exécution d’une sentence rendue. »
Benjamin Lévy

La tentation messianique a donc très tôt été identifiée par [Gershom] Scholem comme ce qu’il fallait à tout prix comprendre, le cœur même du judaïsme le plus vivant, la clef de sa problématique de survie, et à la fois comme ce à quoi il fallait décidément résister. Plus le regard de Scholem débusque les convulsions les plus irrationnelles de la spiritualité juive […] et plus il se fait froid, lucide, acéré ; plus sa critique est sans complaisance, et plus ses explications sont claires et rationnelles.

Marc de Launay, préface à Gershom Scholem, Sur Jonas. La Lamentation et le judaïsme

Désastre
Notes autour du cinéma de Belà Tarr

L’objet de ce texte est l’humanité qui ruine et prend les hommes pour des bêtes. L’humanité dont les intérêts coïncident avec la déshumanisation, la destruction de l’empathie, le pillage et le massacre. Le cinéma de Belà Tarr offre une esthétique du malheur et de l’inaudible, mais aussi de la révolution, dont une des tâches est de rendre audible le malheur.
Palestine libre.

Un dôme de poésie
Puisque plus rien ne rentre à Gaza, à part les balles, les bombes, les chars…
Mathieu YonPuisque plus rien ne rentre à Gaza, à part les balles, les bombes, les chars. J’organise une attaque à mots armées, un djihad de syllabes, une rafale de phrases. Je plonge les lettres en périmètre d’insécurité, en territoire incendié. J’affole les renseignements généraux, j’active les mots-clés. J’envoie une écriture lourde par-dessus les silences, des colis de pensées, des palettes de rage.
« Soyons eau »
À propos de Futur ancestral d’Ailton Krenak

Je ne suis pas sûr qu’Ailton Krenak ait été influencé par le Be water de Bruce Lee. Difficile pourtant de ne pas penser à ce dernier en lisant les derniers mots de « Salutations aux fleuves », le premier des cinq textes qui composent Futur ancestral : « Soyons eau, dans la matière et dans l’esprit, dans notre façon de nous mouvoir et dans notre capacité à changer de direction, ou nous serons perdus. » Comme les deux autres livres du même auteur [ 1 ] dont je traite dans cette petite trilogie – Idées pour retarder la fin du monde [ 2 ] et Le Réveil des peuples de la Terre [ 3 ] – ce recueil a été composé à partir de transcriptions d’entretiens et de conférences, ici de 2020 et 2021 et rassemblées par Rita Carelli.

Constitution d’Eugénie Mérieau
« Est souverain celui qui décide de l’exception »

Alors que depuis la dissolution de juin 2024, la Constitution (ré)apparaît comme un enjeu central dans une bataille interprétative, Eugénie Mérieau, juriste constitutionnaliste, revient sur ce texte supposé normatif et ses (mes)usages. « Le droit constitutionnel, c’est l’ensemble des liens qui retiennent Ulysse attaché à son mât, au moment où emporté par l’hubris il ne répond plus de rien, ni de lui ni de son vaisseau ni de ses hommes, et succombe en médiocre mortel à la tentation du tragique. »

Regarder un animal se retourner dans sa tombe
« Omettre l’agentivité meurtrière de l’humain, c’est sans doute commode pour apprécier la « beauté » de la scène mais ce n’est pas très honnête. »

La semaine dernière, nous publions les réflexions post-corrida de Louise Chennevière, intitulées Regarder un animal mourir . Sans grande surprise, l’article a suscité de nombreuses réactions, parfois extrêmes, -un lecteur est allé jusqu’à prendre la décision radicale de suspendre sur les champs son abonnement pourtant gratuit au journal. Celle que nous publions ici n’est pas aussi cruelle mais reste néanmoins particulièrement affûtée.

L’achèvement du temps historique
Jacques Wajnsztejn

La domination du Capital et l’échec des assauts prolétariens des 200 dernières années appellent-ils à repenser le rapport au temps et à l’Histoire dont nous avons hérité ? Dans son développement triomphal et apocalyptique, le capitalisme est-il parvenu à absorber jusqu’à la révolution elle-même ?
C’est ce que développe Jacques Wajnsztejn de la revue Temps Critiques dans un essai à paraître en juin et intitulé L’achèvement du temps historique (L’Harmattan). Le texte qui suit en est un extrait librement remié.

Plutôt morts que vifs
SDF, de l’invisibilisation à l’élimination

Macron, candidat, s’était engagé à ce que plus une seule personne ne dorme dans la rue à la fin de l’année 2017. Estimé aujourd’hui à 350 000 [ 4 ] le nombre de sans-abri a plus que doublé en dix ans : un bug sans doute dans l’algorithme du ruissellement de la start-up nation. Conséquence : le nombre de morts dans la rue augmente lui aussi sans cesse passant de 510 en 2017 au chiffre tristement record de 855 en 2024. Le Collectif les Morts de la Rue [ 5 ] leur rendait un hommage national le 20 mai dernier, à Paris, en haut du Parc de Belleville. Nous nous y sommes rendus. Témoignage de ce moment fort et, au-delà, quelques réflexions et analyses sur fond un brin vénère.

La romance du télescope et autres impossibilités inachevées
Frédéric Bisson

La romance du télescope

Il était une fois un télescope amoureux d’une étoile. Si loin qu’elle fût, c’était bien elle qui se reflétait à son miroir. L’étoile mourut. Le télescope n’en sut rien, et continue de l’admirer longtemps, longtemps encore.

Paul Valet (1905-1987), la fulgurance au sortir de l’abîme
« Nous sommes loin, avec Valet, des beautés généralement réputées comme poétiques. Alors que plusieurs se sont vantés de faire de l’anti-poésie ou de l’apoésie, la voix à l’état pur, serrée au plus près des images, réduites aux matériaux essentiels du langage. » Maurice Nadeau
Il est réapparu en 2020 à l’occasion de deux livres qui chacun compilait plusieurs recueils épuisés depuis longtemps. Quoique disparu depuis une trentaine d’années, un poète de premier plan, c’est-à-dire bien (…)

« Nous sommes loin, avec Valet, des beautés généralement réputées comme poétiques. Alors que plusieurs se sont vantés de faire de l’anti-poésie ou de l’apoésie, la voix à l’état pur, serrée au plus près des images, réduites aux matériaux essentiels du langage. »
Maurice Nadeau [ 6 ]

Il est réapparu en 2020 à l’occasion de deux livres qui chacun compilait plusieurs recueils épuisés depuis longtemps. Quoique disparu depuis une trentaine d’années, un poète de premier plan, c’est-à-dire bien davantage qu’un simple auteur de poèmes, revenait se signaler à l’attention de lecteurs fatigués peut-être du maniérisme des modes littéraires.

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