
Les prisonniers politiques en Serbie : Macron n’a peut-être pas montré que sa cave à vin à Vučić, finalement.
Six jeunes derrière les barreaux, six autres en exil, tous accusés de complot contre l’ordre constitutionnel. Une affaire que juristes, opposition et société civile dénoncent unanimement comme une chasse aux sorcières politique.
Dans l’un de ses innombrables passages sur les chaînes nationales serbes, le président Aleksandar Vučić a publiquement désigné un groupe d’étudiants et de jeunes militants de Novi Sad comme « le groupe de Novi Sad ». Une expression qui, répétée à l’envi par les relais du pouvoir et les médias du régime, évoque davantage une cellule terroriste aguerrie qu’un cercle de jeunes engagés avec des ambitions politiques.
Mais la réalité est tout autre. Une partie de ces jeunes – six au total – croupit depuis un mois et demi dans des conditions dignes des pires dictatures dans un centre de détention à Klisa, une banlieue de Novi Sad. Les six autres, présents à l’étranger au moment des faits, ont décidé de ne pas rentrer, se voyant forcés à l’exil face à ce qu’ils perçoivent, avec beaucoup d’autres, comme un acharnement politique construit de toutes pièces.
De quoi s’agit il ?
Le 13 mars au soir, dans les locaux du Mouvement des citoyens libres (PSG) de Novi Sad, ces douze jeunes discutent des préparatifs d’une manifestation majeure prévue à Belgrade le 15 mars. Ce rassemblement pacifique réunira des centaines de milliers d’opposants. Lors de la discussion, enregistrée à leur insu, ils évoquent – dans des termes de café du commerce – la possibilité d’introduire un peu de « dynamisme » dans la manifestation : déjouer la vigilance de SO, prendre la parole sans que ça soit prévu et engager la manifestation vers le Parlement. Quelques bravades, quelques mots malheureux… typiques des jeunes hommes politiques qui essayent de récupérer un mouvement social et l’orienter selon leur agenda politique. On peut être d’accord ou pas avec le procédé en tant que militants, la bas comme ailleurs. D’ailleurs la condamnation de ces projets de la part du mouvement étudiant serbe ne s’est pas fait attendre et ce n’est pas seulement après plusieurs semaine de débats que les communiqués de soutien à ces activistes se sont enfin manifestés . Mais ce qui a suivi allait bien au delà d’une querelle des différents courants politiques au sein d’un mouvement social.
Le lendemain, des extraits de cet enregistrement sont diffusés en boucle à la télévision. Présenté comme une « exclusivité », le montage alimente la narration d’un coup d’État en gestation. Le pouvoir en profite pour justifier sa rhétorique alarmiste et renforcer sa propagande selon laquelle toute contestation équivaut à un acte de terrorisme. Tout ça suite à un enregistrement de toute évidence illégal et sans la moindre preuve concrète.
L’origine du fameux enregistrement reste floue. Officiellement, il aurait été remis aux médias par l’un des participants – une version peu crédible. Si tel était le cas, cette personne aurait commis un délit pénal : l’enregistrement non autorisé d’une conversation privée est interdit par la loi et ne saurait constituer une preuve recevable.
D’autres sources évoquent l’implication de l’Agence de sécurité et de renseignement (BIA), ce qui supposerait une surveillance illégale sans mandat judiciaire. Même si un tel mandat existait, le Code de procédure pénale encadre strictement l’usage de ces écoutes : durée, méthode, justification. Et en l’absence d’autres éléments incriminants, l’enregistrement ne suffit pas. C’est aussi l’avis des juristes indépendants.
Malgré tout, six jeunes sont arrêtés : Marija Vasić, Mladen Cvijetić, Srđan Đurić, Lado Jovović, Davor Stefanović (qui, ironie du sort, n’était même pas présent lors de la réunion) de PSG et Lazar Dinić, militant étudiant de l’organisation de jeunesse STAV. Ils sont placés en détention provisoire de 30 jours prolongée depuis.
Le chef d’accusation ? « Préparation d’un acte contre l’ordre constitutionnel et la sécurité de la République de Serbie », un crime lourd, assorti d’accusations d’incitation à la violence contre l’État. Pourtant, aucune perquisition – ni dans les locaux du PSG, ni dans les domiciles des suspects – n’a permis de trouver le moindre élément réellement incriminant.
Le parquet, embarrassé, a d’abord refusé aux avocats l’accès au dossier. Ce n’est qu’après deux semaines que certains documents ont été communiqués – ceux-ci ne contenant rien d’autre que ce qui a déjà été diffusé dans les médias. Le reste serait classé « strictement confidentiel ».
Mardi 8 avril, le tribunal de Novi Sad se prononçait sur une demande cruciale : l’exclusion de preuves jugées illégales. Si cette demande aboutissait, les avocats pouvaient s’attendre à une libération immédiate des détenus – faute de preuves. Car jusqu’ici, le dossier était vide.
L’ironie du sort et fait troublant, l’affaire est instruite par le procureur Slobodan Josimović, également en charge de l’enquête sur l’effondrement de l’auvent de la gare de Novi Sad, qui a causé 16 morts et a enclenché tout le mouvement social. Deux affaires à forte charge symbolique, confiées à un magistrat très proche du pouvoir.
Contre toute attente, la détention a été reconduite. Ces jeunes militants sont donc toujours en prison le jour où Macron invite Vučić à l’Elysée à un déjeuner et lui montre sa cave à vin.
Une répression bien ciblée et une mascarade judiciaires selon les juristes en Serbie
Pour les avocats et les experts juridiques l’affaire fait écho à l’expulsion controversée de treize militants étrangers en janvier dernier. Ces jeunes, venus participer à un séminaire à Belgrade, ont été arrêtés, détenus quelques heures, puis renvoyés chez eux – sans aucune justification. On peut aussi ajouter les accusations contre les jeunes militants de l’organisation ecolo de Karton Revolucija de Bosnie et Herzégovine suite à leur participation à un rassemblement en Serbie contre les projets d’UE liés à l’extraction des minerais.
Le schéma est le même : utiliser de jeunes activistes comme preuves vivantes d’une « révolution colorée » prétendument orchestrée de l’étranger. Les militants de Novi Sad ont offert, malgré eux, le prétexte parfait au régime pour justifier la militarisation de Belgrade le 15 mars et depuis : l’acheminement massif de forces de l’ordre, les barrières de tracteurs, les milices parallèles… et d’autres arrestations, des expulsions arbitraires des ressortissants étrangers, même ceux installés depuis des années en Serbie etc.
Et pendant que la justice serbe poursuit des jeunes sans passé judiciaire, dont la seule arme contre l’ordre constitutionnel n’est que leur grande gueule, les agresseurs physiques de manifestants, eux, restent libres. Deux poids, deux mesures, au service d’un pouvoir qui veut absolument faire tout pour amalgamer contestation et terrorisme.
Macron n’a peut-être pas montré que sa cave à vin à Vučić, finalement.
Arland Mehmetaj 26 avril 2025

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