
Accès à l’eau : une « transformation radicale des usages » indispensable « dès aujourd’hui » pour éviter « de graves tensions », estime le Haut-Commissariat au plan
Toujours plus de besoins et toujours moins de disponibilité. Dans une note, l’organisme de réflexion prospective met en évidence les conflits à venir entre les différents usages de l’eau en France, sous l’effet du réchauffement climatique, et recommande de revoir notamment les pratiques agricoles.
Par Léa Sanchez
L’été débute à peine mais l’état des ressources hydriques inquiète déjà : un quart de la France se situe sous le statut de « vigilance », qui incite à économiser l’eau. Les restrictions liées à des niveaux d’alerte supérieurs, qui concernent 3,5 % du territoire, se multiplient. Mardi 24 juin, les mesures en vigueur en Ardèche – comme la limitation de l’arrosage des jardins – ont été étendues à trois nouveaux bassins-versants. Le 20 juin, la préfecture du Morbihan a restreint l’irrigation dans le nord-est du département, à l’instar d’autres usages : ceux des particuliers mais aussi ceux des professionnels. Comment les concilier à l’avenir, alors que le changement climatique ébranle le cycle de l’eau ?
Dans une note publiée mercredi, le Haut-Commissariat à la stratégie et au plan pronostique « de graves tensions sur les écosystèmes et les usages » d’ici à 2050, résultant à la fois de la moindre disponibilité de la ressource en eau et de la hausse de la demande. Celle-ci sera portée par l’irrigation des cultures, dont les volumes consommés – non directement restitués au milieu car évaporés ou évapotranspirés par les plantes – devraient grimper, en particulier durant l’été. L’institution rattachée à Matignon ne mâche pas ses mots : il faut planifier « dès aujourd’hui » une « transformation radicale des usages », écrivent les deux experts auteurs de la note, Hélène Arambourou et Simon Ferrière.
Le message est d’autant plus fort que des conférences territoriales viennent d’être lancées par le gouvernement pour ouvrir un « débat structurant autour de la gestion de l’eau » jusqu’au mois d’octobre, dont l’enjeu du partage de la ressource, mis sur le devant de la scène lors de la sécheresse de 2022. Pour prévenir l’aggravation de la situation hydrique, il faudra une « sobriété dans tous les secteurs », a prévenu Hélène Arambourou, lors d’une conférence de presse. Elle impliquera entre autres « une diminution de l’élevage et donc de l’irrigation des cultures [qui lui sont] destinées » mais aussi le « développement des pratiques agroécologiques qui permettent de mieux stocker l’eau dans les sols » et une « sobriété énergétique très importante ».
Le document diffusé en cette fin de juin marque l’aboutissement d’une commande de l’ancienne première ministre Elisabeth Borne à la suite de l’annonce de la mise en place du plan eau par Emmanuel Macron, en 2023. De précédents travaux, axés sur les usages et sur la future demande en eau, avaient été publiés, en avril 2024 et en janvier. Il s’agissait, pour les auteurs, de les coupler aux ressources qui seront disponibles à l’avenir, en s’appuyant notamment sur les projections du programme de recherche Explore 2, rendues publiques en juin 2024.
Bassin Adour-Garonne vulnérable
Le constat dressé est alarmant. Pour une année « marquée par un printemps-été sec » à l’horizon 2050, « de fortes restrictions » seraient à prévoir, selon la note. En effet, « 88 % du territoire hexagonal pourrait être en situation de tension modérée ou sévère en été en matière de prélèvements » si les tendances actuelles se poursuivent. Seul un changement majeur des usages de l’eau pourrait abaisser cet indicateur, basé sur un ratio entre les prélèvements projetés et les ressources susceptibles d’être disponibles, à un niveau de 64 %, qui reste considérable.
Hélène Arambourou et Simon Ferrière présentent cinq indices pour évaluer les tensions à venir. Ils mettent en avant, en confrontant l’évolution des ressources disponibles à celle des prélèvements, une « aggravation de la situation hydrique dans plus de la moitié des bassins-versants, non seulement entre les mois de mai et septembre, mais également entre les mois d’octobre et de février ». Là aussi, seule une « rupture » avec les tendances actuelles permettrait des « périodes de tension moins longues et une amélioration de la situation sur plus de 25 % du territoire ». Le même bilan, concernant les volumes d’eau consommés, est encore « plus défavorable ». Il permet notamment d’identifier « une aggravation de la situation hydrique » dans des territoires comme la vallée du Rhône, en lien avec la production d’énergie.
Si la grande majorité de l’Hexagone risque d’être touchée par des conflits d’usages, certaines zones sont particulièrement exposées, notamment dans le Sud-Ouest et le Sud-Est. Même « indépendamment des prélèvements anthropiques », les écosystèmes risquent de s’y « trouver en situation de stress chronique, chaque année, à l’horizon 2050, ce qui pourrait durablement obérer leur fonctionnement ». Le bassin Adour-Garonne apparaît ainsi « particulièrement vulnérable », en lien avec l’irrigation agricole. Au mois de juillet, les tensions sur les consommations d’eau pourraient atteindre plus de 85 % du bassin, si les tendances passées se poursuivent.
Ces estimations restent des hypothèses, avec leurs limites. Les nappes ne sont pas incluses, et les conclusions présentées reposent sur une projection. Celle-ci, bien que basée sur le scénario le plus pessimiste du cinquième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), publié en 2013-2014, et correspondant à + 4 °C en fin de siècle dans l’Hexagone par rapport à la période 1976-2005, n’est pas la pire trajectoire possible. Malgré les incertitudes qui leur sont associées, les résultats présentés permettent toutefois « de donner à voir ce qui pourrait survenir de façon régulière en 2050 », fait valoir Mme Arambourou.
Anticiper les conflits d’usages est d’autant plus crucial qu’ils pourraient être exacerbés par la pollution, qui « de fait réduirait la quantité d’eau disponible pour les usages humains », relève la note du Haut-Commissariat à la stratégie et au plan, qui insiste sur l’importance des études locales pour « organiser un partage de l’eau le plus juste possible ». L’ancien ministre à la tête de l’institution, Clément Beaune, appelle à « prolonger et amplifier les mesures du plan eau » de 2023 et à un « débat parlementaire annuel ». La gouvernance de l’eau, qui doit s’adapter à ces défis à venir, pourrait être un point de discussion crucial.
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