Dans les cortèges pro-Gaza : « La flottille a fait sauter les clivages »

Cinq jours après l’arrestation par les autorités israéliennes de l’équipage du bateau humanitaire, le mouvement de solidarité avec la Palestine a connu un regain de mobilisation, samedi 14 juin. Reportage auprès des manifestants, dans les cortèges de Paris, Rouen et Toulouse.

Des cortèges fournis à Paris, Toulouse (Haute-Garonne), Rennes (Ille-et-Vilaine), ou Rouen (Seine-Maritime). Cinq jours après l’arrestation dans les eaux internationales des douze membres de l’équipage du Madleen, le mouvement de solidarité avec le peuple palestinien a connu un pic de mobilisation, samedi 14 juin.

Tandis que trois membres de la flottille – dont deux Français – demeurent incarcérés dans des conditions opaques en Israël, l’action de désobéissance civile a signé un tournant, d’après de nombreux militant·es. « Ça a donné un coup d’énergie et diversifié les participants », se réjouit Catherine, 69 ans, habituée des rassemblements pro-Gaza, en arrivant sur la place de la République, point de départ de la manifestation parisienne.

Le cortège n’est pas encore formé, mais quelques milliers de personnes attendent déjà. Au milieu de la place, la statue est encore couverte de tags – « Free Gaza », « Free Palestine », « Free Madleen » –, vestiges des rassemblements qui ont émaillé la semaine de mobilisation, pour réclamer la libération des membres de la flottille. Jeudi 12 juin, c’est ici que l’eurodéputée La France insoumise (LFI) Rima Hassan (lire son entretien), tout juste expulsée d’Israël, a été accueillie sous les vivats.

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Des milliers de personnes attendent le départ de la manifestation, place de la République à Paris, samedi 14 juin. © Photo Antton Rouget / Mediapart

« Les manifestations pour Gaza de l’année dernière ne rassemblaient que des vieux militants historiques et des jeunes très politisés. Cette semaine, j’ai senti un changement, on a vu affluer des nouvelles personnes. Depuis le rassemblement du comité Adama [contre les violences policières en juin 2020 – ndlr], hormis pendant la réforme des retraites, je n’avais pas vu autant de monde sur la place de République », appuie Catherine, ancienne bibliothécaire syndiquée à la FSU, aujourd’hui militante de la Ligue des droits de l’homme (LDH).

La FSU, comme la CGT et Solidaires, sont engagées de longue date aux côtés des organisations pro-palestiniennes. Mais cette semaine, le front a été rallié par la CFDT et l’Unsa. Dans un communiqué commun, l’intersyndicale a dénoncé la « fuite en avant mortifère des autorités israéliennes et les exactions commises à Gaza », appelant à rejoindre le cortège parisien de samedi. « C’est le signe d’un élargissement et d’une réprobation totale des massacres en cours, la flottille a fait sauter les clivages », veut croire Catherine.

Un nouveau souffle

L’actualité de la semaine a visibilisé comme rarement la nécessité de se mobiliser, note aussi Nora, étudiante de 20 ans. « Le retour de Rima Hassan a créé un enjeu, sur les réseaux sociaux, on avait toutes les infos sur les rassemblements, plus que d’habitude, les artistes ont par exemple beaucoup relayé », précise la jeune femme, craignant que le soufflet ne « retombe » rapidement. « On est dans la rue, mais quel impact cela a au final ? Est-ce que ça sert vraiment ? On se sent un peu dans un cul-de-sac, même si on voit que ça bouge aussi au Magrheb », doute à haute voix, l’un de ses amis, Zak, cinéaste de 30 ans.

Ces questions, Cécile, psychomotricienne de 30 ans, se les est posées pendant de longs mois en 2024. Finalement, elle a « fait une petite pause », avant de revenir en manifestation samedi. « Je m’essoufflais, c’était difficile moralement de se dire qu’on était totalement impuissants », reconnaît-elle au milieu du cortège parisien. Depuis le départ de la flottille, « j’ai vu que des gens autour de moi réagissaient beaucoup plus qu’avant », dit-elle. L’action a selon elle permis à un public plus large de « s’identifier » à la mobilisation en cours.

« À Gaza, on a des chiffres, mais c’est parfois lointain. Là, il y a des visages. Rima Hassan, qui est LFI. Mais pour les gens qui ne sont pas LFI, il y avait Greta Thunberg, l’écologie, le médecin Baptiste André, la santé. C’est très rassembleur », se félicite Cécile.

La cause palestinienne n’a pas d’avions de chasse F35, mais elle a la culture et la diplomatie.

Laurent, étudiant libanais à Rouen

Avant le départ de la marche, Rima Hassan a justement insisté sur la « diversité » des membres de l’opération, ainsi que sur l’antériorité de ce mode d’action. Depuis l’instauration d’un blocus sur la bande de Gaza, pas moins de 36 expéditions internationales – rassemblant des élu·es, des activistes, des artistes, etc. – ont tenté de venir en aide au territoire palestinien par les eaux, pour cinq succès seulement.

« Nous nous sommes mis en action à notre échelle, nous ne sommes pas des héros, mais nous souhaitions montrer qu’il était possible d’agir et d’essayer de dévier la trajectoire dans laquelle les gouvernements nous engouffrent », a lancé l’eurodéputée devant les manifestant·es. La veille, fustigeant l’attitude du gouvernement français, la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet avait profité du 130e anniversaire du syndicat pour saluer l’action des dockers de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), qui ont refusé de charger des composants militaires en partance pour Israël.

Cet élan de solidarité a toutefois ses limites. « Où sont les médias français ? », a par exemple demandé au départ de la manifestation parisienne l’influenceur politique «Malek délégué ». Ce dernier a en effet rappelé la faiblesse de la mobilisation de la presse française pour protester contre l’incarcération, toujours en cours, du reporter de Blast Yanis Mhamdi – dont le statut de journaliste a même été occulté par plusieurs grandes rédactions occidentales.

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Manifestation en soutien à Gaza, à Rouen, le 14 juin 2025. © Photo Manuel Sanson / Mediapart

« Depuis quelques jours, l’intérêt pour la Palestine a pris une importance nouvelle », se réjouit Blandine Prime pour le collectif Palestine de Rouen, où quelques centaines de personnes ont manifesté samedi, en fin de cortège de la marche des fiertés – laquelle a attiré plusieurs milliers de participant·es.

« Je suis une habituée des manifestations, mais c’est la première fois depuis longtemps que je viens dans ces rassemblements en soutien à la Palestine. On sent un frémissement dans la mobilisation, j’espère que cela va continuer », abonde Dominique, septuagénaire retraitée qui considère qu’« il faut faire quelque chose face à une situation toujours plus dramatique. »

Guillaume Grima, professeur et militant écologiste associatif rouennais, observe lui aussi « un regain de préoccupation autour de la situation palestinienne dans la société civile ces dernières semaines ». « C’est sans doute lié à la durée du conflit, mais aussi à la rupture du cessez-le-feu par Israël en mars dernier et la reprise des actions violentes à son initiative », analyse-t-il, soulignant « les prises de position très claires de personnes de confession juive dans l’espace public pour critiquer les actions du gouvernement israélien ».

Drapeau palestinien en main, Laurent, un Libanais de 30 ans en doctorat en géographie physique à Rouen, participe à son premier rassemblement dans la ville. « Je viens pour la défense de la Palestine, contre les dernières guerres d’Israël au Liban ou le génocide en cours à Gaza », explique-t-il, « révolté par ce droit international qui ne fonctionne qu’à sens unique »« Le mouvement est en train de gagner la bataille de l’opinion publique, estime l’étudiant. La cause palestinienne n’a pas de F35 [avions de chasse utilisés par l’armée israélienne – ndlr] mais elle a la culture et la diplomatie. »

La peur de l’escalade

À Toulouse, une manifestation unitaire rassemblant entre 1 300 personnes et 3 000 personnes – à l’appel d’une vingtaine d’organisations syndicales, associatives et politiques – est aussi venue conclure une semaine de mobilisation intense. Lundi 9 juin, un rassemblement avait tourné à la manifestation sauvage jusqu’à la place du Capitole, où des manifestant·es étaient parvenu·es à accrocher des drapeaux palestiniens au balcon de l’hôtel de ville.

Samedi, Lamine, 23 ans, Romane et Barthélémy, 19 ans, tous trois étudiant·es à l’université Jean-Jaurès, défilent drapeau palestinien sur les épaules. « J’ai le sentiment qu’on assiste à une escalade là-bas, mais que rien ne bouge dans nos pays », regrette Lamine, précisant qu’il parle des « gouvernements » qu’il distingue de la population. « Nous, on est impliqués dans la rue depuis longtemps et c’est important parce que le jour où ça finira, on pourra dire qu’on n’a pas baissé les bras, qu’on n’a pas laissé faire, qu’on a utilisé le peu de moyens que nous avions pour soutenir les Palestiniens. »

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Barthélémy, Romane et Lamine dans le cortège toulousain du 14 juin 2025. © Photo Manu Riondé / Mediapart

« On ne peut pas réduire la France à son gouvernement, insiste Romane. Il faut prendre la parole c’est très important d’être là, mais là ce qui est en train de se passer depuis hier, ça fait très peur. » Pour Barthélémy, l’attaque de l’Iran par Israël crée une nouvelle donne : « On a passé un stade là. C’était un génocide d’un pays sur un peuple, là on arrive à un niveau de conflit international, et malheureusement la France n’est pas du bon côté… »

Dans les rangs de la manifestation toulousaine, les récents propos d’Emmanuel Macron arguant du « droit d’Israël à se défendre » pour justifier le déclenchement des offensives militaires sur Téhéran passe très mal. Lors de la prise de parole en fin de manifestation, le représentant de la LDH locale égrène en miroir les droits disparus du peuple palestinien : « Vivre en paix sur sa terre, se nourrir correctement, aller à l’école, le droit à l’eau potable, le droit d’aller à la plage… Le peuple palestinien, lui, n’a aucun de ces droits aujourd’hui, ils sont réduits en poussière. Macron n’a pas honte, il est la honte. Et ici, à Toulouse, avec une légèreté obscène, on se jumelle… »

L’allusion au jumelage liant Toulouse à Tel-Aviv depuis 1962 fait gronder la foule. À la tribune, le député LFI François Piquemal, candidat aux municipales de 2026, entouré de ses collègues insoumis Hadrien Clouet et Christophe Bex, demande la suspension de l’accord de jumelage et le renforcement de la coopération avec Ramallah, en Cisjordanie.

Dans le cortège flottent des drapeaux de la Palestine, mais aussi du mouvement des jeunesses communistes, du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), de Révolution permanente, d’Amnesty International, de syndicats et d’organisations étudiantes. Les slogans « Palestine vivra, Palestine vaincra ! », « Gaza, Gaza, Toulouse est avec toi ! » et « Nous sommes tous des enfants de Gaza ! » résonnent sur les boulevards. La demande de libération de Georges Ibrahim Abdallah, détenu à Lannemezan, dans le département voisin des Hautes-Pyrénées, est un autre fil rouge de la mobilisation.

Mado, 85 ans ,et sa copine Yvonne, « septuagénaire », sont venus de Foix (Ariège). Elles défilent derrière une banderole « Couserans-Palestine ». Des décennies de mobilisation au compteur à elles deux. « Le danger aujourd’hui, pour les Palestiniens, c’est de disparaître tout simplement. Ils peuvent, oui, disparaître de leur terre », s’alarme Mado, les bras ballants, avant d’entrevoir un peu d’espoir « Mais j’ai le sentiment que de plus en plus de gens perçoivent les explications des Israéliens comme fausses, leur discours ne passe plus, n’est plus cru, plus entendu. Et à Foix aussi, on voit une nouvelle génération qui nous demande des tracts, qui veut s’informer sur la réalité de la situation… »

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