De la fête et des barbares

Un PSG devenu populaire

Quelques réflexions sur la victoire du PSG

paru dans lundimatin#478, le 3 juin 2025

« Les vrais supporters du PSG sont en train de s’enthousiasmer devant le magnifique match de leur équipe. Pendant ce temps-là, des barbares sont venus dans les rues de Paris pour commettre des délits et provoquer les forces de l’ordre. (…) Il est insupportable qu’il ne soit pas envisageable de faire la fête sans craindre la sauvagerie d’une minorité de voyous qui ne respectent rien. »

Bruno Retailleau

1. Les barbares sont montés sur les champs.

1.1 Pour Bruno Retailleau, le supporter « barbare » et « sauvage » est étranger à la cité et en sous-titre, étranger tout court. Il doit en tout cas se distinguer du supporter civilisé et domestiqué qui sirote sagement sa pinte en terrasse. Le « barbare » est un mythe nécessaire, il permet au pouvoir de produire et imposer en retour une idée aseptisée et marchande de la fête. Il s’agit de disjoindre fête et révolte, joie et chaos.

1.2 La victoire du Paris Saint-Germain s’annonçait comme un évènement. Pour le conjurer ou à tout le moins le catalyser, il a d’abord fallu le recouvrir de discours idéologiques : le peuple derrière son équipe, la célébration du vivre-ensemble et la bonne humeur républicaine. Mais le pouvoir le sait, les fêtes populaires sont toujours émeutières : 5400 forces de l’ordre sont dépêchées. On ne pourra célébrer qu’à la condition de réprimer. Bipolarité du pouvoir.

1.3 Dans le moment de la fête, est barbare la foule qui refuse sciemment d’adhérer aux dispositifs : militarisation de l’espace public, restriction de la joie. Si le barbare est populaire, c’est qu’il est étranger au pouvoir.

« La Commune représente jusqu’à nous la seule réalisation d’un urbanisme révolutionnaire, s’attaquant sur le terrain aux signes pétrifiés de l’organisation dominante de la vie, reconnaissant l’espace social en termes politiques, ne croyant pas qu’un monument puisse être innocent. Ceux qui ramènent ceci à un nihilisme de lumpenprolétaire, à l’irresponsabilité des pétroleuses, doivent avouer en contrepartie tout ce qu’ils considèrent comme positif, à conserver, dans la société dominante (on verra que c’est presque tout). »
14 thèses de L’Internationale Situationniste sur la Commune

2. La fête est un moment du rapport de force entre classes

2.1 Le barbare se rend étranger par sa pratique de la fête. Il n’est pas étranger en soi mais par soi.

2.2 Le barbare profane le rituel de la fête marchande : il préfère voler qu’acheter, occuper le Trocadéro plutôt que s’enfermer dans une fan-zone, affronter la police plutôt que l’acclamer. Et c’est parce les espaces de révolte manquent cruellement, que tout évènement, tout rassemblement, agrégeant du peuple se transforment nécessairement en moments de soulèvements. La fête est le lieu évident de la révolte amusante. On y profane les monuments les plus sacrés (le XVIe arrondissement, le champagne du carrefour et la Porsche), les engins de construction se transforment en engins de destruction. Toute la sacro-sainte réalité matérielle qui nous entoure, habituellement immuable et inappropriable, se révèle si violemment accessible qu’on rit de la facilité avec laquelle on s’en saisit.

2.3 Le barbare ne distingue pas fête et émeute. Il déritualise la pratique de l’affrontement telle qu’elle est communément admise par les hooligans et les black blocs. Par la force du nombre et dans l’euphorie collective, ce sont des quartiers entiers qui échappent au contrôle de la police quand les manifestations peinent à dépasser leurs marges. L’émeute n’est pas sérieuse, elle est toujours ludique ; elle transforme la ville en un terrain de jeu.

« On peut aimer une ville, on peut reconnaître ses maisons et ses rues dans nos souvenirs les plus chers et les plus lointains. Mais c’est seulement dans le moment de la révolte que la ville devient notre ville. Notre ville, car elle est à la fois la mienne et des “autres” ; notre ville, car elle est le champ d’une bataille qu’on a choisie et que la collectivité a choisie ; notre ville, car elle est l’espace circonscrit où le temps historique est suspendu et où chaque acte a de l’importance en lui-même, dans ses conséquences immédiates. On s’approprie une ville moins en y jouant dans notre enfance ou en s’y promenant plus tard avec une fille qu’en fuyant ou en avançant dans l’alternance des charges de la police. Dans le moment de la révolte on n’est plus seul en ville. »
Furio Jesi

3. « L’événement ouvre la possibilité qu’une vérité inédite surgisse dans un monde donné. » [1]

3.1 La police n’est pas responsable des émeutes. La fête en est l’unique origine.

3.2 Les dispositifs spectaculaires et policiers ne trompent plus personne. Les barbares s’en prennent à ces mythes : ils attaquent la police autant que les symboles de leur humiliation quotidienne. Il ne s’agit plus d’autodéfense populaire mais d’un assaut en bonne et due forme.

3.3 Le lieu de la fête -les Champs-Élysées- était plus que symbolique. Il ne s’agissait pas de piller un Lidl mais de tenir le cœur de la République bourgeoise. Ce sont les barbares en puissance qui traversent et produisent la ville. Ils l’animent maintenant. Le déplacement géographique de la révolte provoque la panique de l’ennemi. Dans la lumière de la confrontation, les camps se dessinent : “on ne se pose qu’en s’opposant”. La droite riposte, la gauche minimise. Il nous faut reconnaître la valeur d’un tel évènement.


Illustration : Tulyppe

Ce champ est nécessaire.

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*