
Trump II : l’autoritarisme à la Maison-Blanche
Pour ses 79 ans, Donald Trump s’offre samedi 14 juin un défilé militaire à Washington. Une première depuis 34 ans, alors que le président vient d’envoyer l’armée à Los Angeles pour réprimer des manifestants opposés à sa politique migratoire.
Tout a commencé à Paris en 2017. Tout juste élu, Emmanuel Macron avait convié Donald Trump, alors dans son premier mandat, à assister au traditionnel défilé du 14-Juillet en qualité d’« invité d’honneur ». Comme un enfant fasciné par un nouveau jouet, le président des États-Unis était reparti avec l’idée d’en organiser un plus grand encore – bien évidemment – à Washington. Il en avait confié la mission au Pentagone. « C’était l’un des plus beaux défilés que j’aie jamais vus, avait-il expliqué au sujet de son expérience française. Nous allons devoir essayer de faire mieux. »
Le président Bush père, George H. W. Bush, avait été le dernier à le faire dans la capitale en 1991. Les troupes de son pays venaient de remporter une victoire en Irak, face à celles de Saddam Hussein. Quelques 8 000 militaires de retour du Proche-Orient y avaient participé. Des avions et des hélicoptères avaient aussi été déployés, ainsi que des missiles Patriot. Mais si New York, la cité de Donald Trump, est une ville de parades, Washington l’est moins. Et un tel événement reste exceptionnel.
Il aura fallu huit ans, et un second mandat, pour que Trump puisse enfin réaliser son rêve. Pendant le premier, les autorités militaires avaient été réticentes, notamment en raison du coût et des éventuels dommages causés à la chaussée par les chars… Cette fois, Donald Trump a pu profiter de la célébration du 250e anniversaire de l’armée états-unienne, le samedi 14 juin, prélude aux festivités nationales pour les 250 ans de la Déclaration d’indépendance en 2026.

Pendant deux heures, en début de soirée – de 18 h 30 à 20 h 00, compter six heures de plus en France –, les « 6 700 militaires, 28 chars Abrams, 28 véhicules de combat Bradley, 28 véhicules Stryker, 4 obusiers automoteurs Paladin, 8 fanfares, 24 chevaux, 2 mules et 1 chien nommé Doc Holliday », selon l’armée, emprunteront l’avenue de la Constitution, une artère qui traverse la ville d’ouest en est.
Le défilé s’achèvera près de la Maison-Blanche, où des parachutistes sauteront sur l’Ellipse, le grand espace vert situé au sud du bâtiment, et offriront au président un drapeau plié. Le 14 juin est aussi le « jour du drapeau », qui célèbre l’adoption en 1777 du drapeau étoilé. Coïncidence ? Donald Trump fêtera le même jour son 79e anniversaire.
Un contexte volatil
Pour ses adversaires, c’est une preuve supplémentaire de la volonté du président d’instaurer un régime personnel. En ce sens, le défilé de samedi sera plus influencé par les démonstrations de force des pays autoritaires, comme la Chine, la Russie ou la Corée du Nord, que par la célébration de la République, comme en France.
De plus, il aura lieu quelques jours après l’envoi des militaires à Los Angeles en raison des manifestations contre les raids opérés par la police de l’immigration (United States Immigration and Customs Enforcement, ICE) dans des quartiers latinos de la ville californienne. Le déploiement a été effectué sans l’aval du gouverneur, le démocrate Gavin Newsom.
Dans une déclaration télévisée, ce dernier a dénoncé le déploiement de « plus de 700 marines américains actifs ». « Il s’agit d’hommes et de femmes formé·es au combat à l’étranger, et non au maintien de l’ordre au niveau national. Nous honorons leur service. Nous honorons leur bravoure. Mais nous ne voulons pas que nos rues soient militarisées par nos propres forces armées. Pas à Los Angeles, pas en Californie, ni ailleurs », a-t-il déclaré, ajoutant : « Les régimes autoritaires commencent par cibler les personnes les moins à même de se défendre. Mais ils ne s’arrêtent pas là. »
Cette escalade militaire ne fait que confirmer ce que nous savions déjà : ce gouvernement veut gouverner par la force, et non servir le peuple.
Celui qui se positionne comme l’un des principaux opposants à Donald Trump, dans la perspective de la présidentielle de 2028, a également dit que « la démocratie est attaquée sous nos yeux » : « Le moment que nous redoutions est arrivé. Il s’attaque au projet historique de nos pères fondateurs : trois branches égales d’un gouvernement indépendant. »
Les opposants ont d’ailleurs appelé à une vaste mobilisation, samedi 14 juin, pour dénoncer la dérive autoritaire de Trump avec le slogan « Pas de rois » (« No Kings »). « Ils ont défié nos tribunaux, expulsé des Américains, fait disparaître des gens dans les rues, attaqué nos droits civiques et réduit nos services. La corruption est allée trop loin. Pas de trônes. Pas de couronnes. Pas de rois », a écrit le comité d’organisation.
Après le déploiement de soldats en Californie, le comité a dénoncé une tentative « de faire taire l’opposition ». « Il s’agit d’un abus de pouvoir flagrant destiné à intimider les familles, à alimenter la peur et à écraser la dissidence, poursuit le texte. Des grandes villes aux petites localités, nous nous lèverons ensemble et dirons : nous rejetons la violence politique. Nous rejetons la peur comme mode de gouvernance. Nous rejetons le mythe selon lequel seuls certains méritent la liberté. »
Environ 1 800 rassemblements sont prévus dans tout le pays, sauf à Washington, justement pour éviter toute violence qui pourrait être instrumentalisée par Trump. Mardi 10 juin, dans le bureau Ovale, il avait affirmé que s’il y avait des manifestations contre le défilé, « elles seraient réprimées avec beaucoup de force ». Ces menaces ne peuvent qu’alimenter les doutes et renforcer les inquiétudes.
Dans un article d’opinion publié par le New York Times, le spécialiste des questions militaires W.J. Hennigan souligne à quel point la situation est hors du commun. Aucun autre président, soutient-il, n’avait instrumentalisé les forces armées à ce point à des fins politiques. Donald Trump est même allé jusqu’à faire huer son prédécesseur, Joe Biden, et ses opposant·es politiques par les militaires devant lesquels il s’est exprimé mardi 10 juin à Fort-Bragg (Caroline du Nord), la plus grande base militaire du pays.

« Le discours qu’il a prononcé à Fort-Bragg n’est que le dernier d’une série d’efforts très médiatisés visant à remodeler l’armée à son image », souligne le journaliste. Dès son retour à la Maison-Blanche, le 47e président avait limogé plusieurs hauts gradés, pour la plupart des Africains-Américains et des femmes, dans une volonté affichée de mettre à bas les politiques de diversité et d’inclusion présentées comme le mal absolu. Puis il a envoyé la troupe à la frontière avec le Mexique, au nom de la lutte contre l’immigration et une supposée et fantasmée invasion des États-Unis par des gangs venus d’Amérique latine.
Trump et les « ennemis de l’intérieur »
Celui qui a accordé sa grâce à celles et ceux qui avaient attaqué le Capitole en janvier 2021 a désigné celles et ceux qui manifestent leur opposition comme des « insurgés », justifiant, si nécessaire, d’invoquer une loi de 1807, l’Insurrection Act, pour mobiliser l’armée – ce qu’il n’a pas fait en Californie. « Ces militaires défendent les honnêtes citoyens de Californie, ils défendent aussi notre République elle-même. Ce sont des héros. Ils se battent pour nous. Ils empêchent une invasion, tout comme vous empêcheriez une invasion. »
Cette rhétorique s’inscrit dans ses discours pour désigner les réfractaires à sa politique comme des « ennemis de l’intérieur » susceptibles de poursuites judiciaires.
« Peu d’anciens présidents, voire aucun, n’auraient osé tracer ces lignes de front avec autant de netteté en déclarant qu’un groupe d’Américains était fondamentalement différent de l’autre, souligne W.J. Hennigan. Républicains comme démocrates ont compris depuis longtemps que l’armée américaine doit se tenir à l’écart de toute activité politique partisane. On doit compter sur les militaires pour exécuter les ordres légaux, qu’ils soient d’accord ou non avec la perspicacité de leurs dirigeants politiques. Cette notion est au cœur de la démocratie américaine et du contrôle civil sur l’armée. »
Vous êtes du mauvais côté de l’histoire !
Mais Donald Trump s’en fiche. La vidéo d’un manifestant apostrophant des membres de la Garde nationale à Los Angeles a été très partagée et commentée sur les réseaux sociaux. « Vous devriez être ici avec nous ! », leur lance le manifestant. « Vous êtes du mauvais côté de l’histoire, poursuit-il avec fougue. Nous savons que vous avez un travail à faire. Mais vous avez prêté serment à la Constitution, pas aux fascistes de la Maison-Blanche ! Pensez à ce que vous faites maintenant, pensez à ce que cela signifie, d’arriver dans notre communauté. Une communauté paisible, des gens qui travaillent. […] J’en ai marre. Vous devriez en avoir marre. »
En parlant d’histoire, Donald Trump est bien décidé à en faire un nouveau champ de bataille pour imposer son roman national. Alors que l’armée célèbre samedi ses 250 ans et que les États-Unis s’apprêtent à fêter la Déclaration d’indépendance de 1776 l’année prochaine, il a décidé d’appliquer des méthodes chères à Vladimir Poutine en Russie et Xi Jinping en Chine, que George Orwell avait si bien résumé dans son roman 1984 : « Celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé. »
Dans un décret présidentiel de mars intitulé « Restaurer la vérité et la santé mentale dans l’histoire américaine », il a sonné la charge contre le Smithsonian, une institution de recherche scientifique et un musée, accusant les historien·nes de « saper les réalisations remarquables des États-Unis en mettant ses principes fondateurs et ses jalons historiques sous un jour négatif ».
L’heure, a-t-il dit, n’est plus à l’« idéologie qui provoque la division, centrée sur la race », « promouvant des récits qui dépeignent l’Amérique et les valeurs occidentales comme intrinsèquement nocives et oppressives ». Désormais, il faut vanter « l’unité », la « perfection » et la « prospérité » du pays. Première étape prévue samedi, donc, avec un défilé militaire censé « célébrer notre grandeur et nos réalisations ».
Et si les militaires défilent, le pays, lui, doit marcher au pas. C’est en tout cas ce qu’espère Donald Trump, commandant en chef de l’armée américaine et possible fossoyeur de la démocratie états-unienne.
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