
Le tribunal correctionnel de Paris a jugé à la chaîne, mardi 3 juin, de jeunes majeurs poursuivis au terme d’enquêtes sommaires pour des violences contre des policiers le soir de la finale de la Ligue des champions.
C’est sur leur dos que se joue une surenchère politique malsaine entre le ministre de l’intérieur, qui les a traités de « barbares », et le ministre de la justice, qui veut les enfermer à double tour.
Parmi les vingt personnes jugées en urgence mardi 3 juin pour divers délits commis dans la foulée de la victoire du PSG (voir encadré), Diego S., 18 ans tout juste, exauce le souhait de Gérald Darmanin : il dort en prison pour quatre mois. Le tribunal qui l’a condamné pour des violences sur un policier a décerné un mandat de dépôt à son endroit pour la partie ferme de sa peine. Les huit mois restants sont assortis d’un sursis probatoire assez contraignant.
Un coup de poing au visage d’un policier
Venu de l’Ain pour voir le match et fêter la victoire, Diego S. traîne avec ses copains dans le XVIe arrondissement de Paris, à 4 h 50 du matin, quand sa route croise celle de la brigade de recherche et d’intervention (BRI), envoyée en renfort pour sécuriser les rues bien que ce ne soit pas vraiment son cœur de métier.
Informés du pillage d’un commerce, les policiers d’élite fondent sur ce groupe suspect, finalement sans rapport avec les faits. Mais d’après le policier de la BRI qui s’est retrouvé face à Diego S., celui-ci s’est mis en garde avant de lui asséner un coup de poing au visage qui lui a valu sept jours d’incapacité totale de travail (ITT). Le fonctionnaire a de son côté reconnu l’avoir ceinturé et mis au sol « sans ménagement » pour le maîtriser : trois jours d’ITT pour Diego S., visage juvénile et œil droit au beurre noir.
Face au tribunal comme en garde à vue, le prévenu aux cheveux blonds répète avoir eu « peur pour sa vie » quand il a vu « un homme en noir avec un cache-cou », qu’il a pris pour « un casseur », descendre d’une Volkswagen pour le courser. « Il a rien revendiqué, j’ai reçu des coups », assure le jeune homme, qui rapporte aussi des injures. S’il reconnaît avoir frappé le policier au visage, c’est « involontairement », parce qu’il se débattait.
Une peine « énorme » aux yeux de l’avocate de la défense, Stéphanie Le Breton. Elle doute que Diego S., de corpulence fluette, soit capable de « mettre KO » un « policier aguerri de la BRI » en lui lançant « un énorme coup de poing avant que celui-ci ne réagisse ». « Aujourd’hui, on a envie de ne faire aucun cadeau, évidemment qu’il faut rappeler les règles », poursuit l’avocate, qui appelle toutefois le tribunal à « tenir compte de la réalité ».
Jusqu’ici, Diego S. n’avait à son actif qu’une condamnation à une mesure éducative, lorsqu’il était mineur, pour avoir lancé une fausse alerte attentat dans son lycée. En recherche d’emploi, il vivait encore chez sa mère et son beau-père, avec sa sœur, quand le tribunal l’a expédié en prison.
Casier vierge et prison ferme
Au-delà de cette affaire, plusieurs dossiers jugés mardi reposaient en grande partie sur la parole des policiers qui se sont déclarés victimes. Même lorsque les fonctionnaires étaient équipés de caméras-piéton, et indiquaient les avoir déclenchées, les images n’ont pas été exploitées à temps dans la procédure.
C’est ainsi que Steve T., 19 ans, a été condamné à dix mois de prison, dont cinq mois ferme sous bracelet électronique, pour une « rébellion » initialement qualifiée de violences sur un policier auquel il devra verser 300 euros de dommages-intérêts, ainsi que pour le délit de détention d’engins incendiaires (deux feux d’artifice qui dépassaient de son sac à dos et ont motivé son interpellation).
Avant cette affaire, le casier judiciaire de cet étudiant en deuxième année d’IUT, originaire de Seine-et-Marne, était vierge. Il entraîne une équipe de basket et rêve de « faire un master » pour devenir « directeur financier ». « Qu’est-ce que vous faites là ? », s’est étonnée la présidente, provoquant une réponse sincère : « Je me demande aussi. »
Steve T. reconnaît la rébellion, puisqu’il dit avoir « fait un grand geste de la main » lorsqu’il a été saisi par le bras, et avoir « senti qu[’il] touchai[t] quelqu’un » sans comprendre immédiatement qu’il s’agissait d’un policier. « J’aurais jamais dû venir à Paris », en conclut le jeune homme.
Contrairement à l’agent de la BRI, le policier qui a déposé plainte contre Steve T. – il l’accuse de deux coups de poing au visage – ne s’est pas rendu à l’unité médico-judiciaire et n’a fourni aucun certificat médical. Son avocate invoque des « circonstances exceptionnelles » et indique qu’il a saigné du nez. Pour cette « atteinte à l’intégrité d’un policier », le procureur requiert une « peine dissuasive » avec une partie ferme et un stage de citoyenneté pour rappeler à Steve T. « que les policiers sont intouchables dans notre société ».
« La journée commence fort », commente l’avocat de la défense, Abdelmadjid Benamara, face à ces réquisitions « exagérées ». « Je ne sais pas si c’est pour faire plaisir au public, on a du monde », ajoute-t-il dans l’une des plus grandes salles du tribunal, presque pleine.
Une table de café lancée sur les CRS
« Il n’y a aucune raison de remettre en cause les déclarations des fonctionnaires de police », ont répété en chœur, au fil de l’après-midi, le procureur et l’avocate de plusieurs agents.
Hugo M., 24 ans, était jugé pour avoir lancé une table de bistrot en direction des CRS, sur les Champs-Élysées, vers minuit, avec le visage dissimulé par un foulard. Le meuble aurait même heurté le genou d’un fonctionnaire, qui n’a pas déposé plainte.
Le jeune homme aux cheveux bouclés et au casier vierge, qui travaille comme saisonnier dans un camping, raconte qu’il n’a passé que « trente minutes sur les Champs » avant les premiers tirs de gaz lacrymogène. Il reconnaît avoir « jeté la table entre [lui] et eux » lors d’une charge, « pour essayer de gagner du temps », et s’être ensuite débattu lors de son interpellation. « Les policiers étaient à cinq sur moi, ils m’ont jeté au sol », se défend-il. Des contusions aux poignets et au visage lui ont valu trois jours d’ITT.
Le jeune homme regrette que les caméras-piéton des CRS n’aient pas été exploitées. « Si je peux me permettre, moi j’attendais de voir ça pour qu’on voie ce qui s’est vraiment passé. » Après avoir exprimé sa surprise de se retrouver en comparution immédiate, il s’attire une petite leçon du procureur : « S’attaquer aux forces de l’ordre c’est grave, ça mérite une sanction immédiate. »
Pour les violences et la rébellion, Hugo M. est condamné à dix mois de prison dont cinq mois ferme, aménageables auprès d’un·e juge de l’application des peines. Il est relaxé pour deux délits uniquement rapportés par les policiers, un outrage et la tentative de vol de l’arme d’un agent, sur laquelle sa main se serait posée dans la bagarre.
Des enquêtes bien légères
Deux dossiers brinquebalants, symptômes de la confusion qui a suivi cette soirée chaotique, se sont conclus par des relaxes après être arrivés par miracle jusqu’à l’audience.
Un jeune homme de 24 ans était ainsi poursuivi pour avoir mis un coup de tête à un policier, blessé à la lèvre. Mais les différents documents remplis par les policiers se contredisent entre eux et semblent même, par moments, décrire plusieurs scènes différentes. Au point que la présidente « ne sai[t] pas trop quoi poser comme questions ». Dans cette procédure qui ne tient pas debout, le tribunal prononce une relaxe.
Le jeune homme indique, de son côté, qu’il a seulement « fait tourner une bouteille d’eau » puis une bouteille de Schweppes (en plastique) au-dessus de sa tête pour asperger la foule après les deux premiers buts de Paris. « Au regard du peu d’éléments et de certitudes », le procureur requiert la relaxe et l’obtient.
Il n’en a pourtant pas fallu davantage pour condamner Hassan B., un Algérien en situation irrégulière sous OQTF qui travaille au noir dans la restauration et ne parle pas français. Alors qu’il était très alcoolisé place de la République, à 4 heures du matin, un policier l’accuse de lui avoir mis un coup de pied dans le mollet gauche quand il lui a demandé de quitter les lieux. Pas d’images, pas de certificat médical, pas de déposition des autres policiers, pas de confrontation, mais l’éthylotest semble suffire : Hassan B., qui nie les faits et avait un casier vierge jusqu’ici, écope de sept mois de prison avec sursis et doit verser 300 euros de dommages-intérêts au policier.
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