Eur/usd : Pourquoi la spectaculaire chute du dollar toutes les chances de se poursuivre

Eur/usd : Pourquoi la spectaculaire chute du dollar face à l’euro (et aux autres devises) a toutes les chances de se poursuivre

dimanche 8 juin 2025

(BFM Bourse) – Plombée par les incertitudes causées par la politique de l’administration Trump, la devise américaine chute de 9% face à l’euro depuis le début de l’année, et plus largement de 8,9% face aux grandes devises. Plusieurs intermédiaires financiers voient l’euro continuer de malmener la devise américaine et passer largement au-dessus d’1,20 dollar.

Le « roi dollar » n’est plus que l’ombre de lui-même. Il y a encore quelques mois, la devise américaine était perçue comme une valeur refuge, et nombre de stratégistes s’attendaient à ce qu’elle continue de progresser. Certains d’entre eux voyaient même l’euro tomber sous la parité c’est-à-dire sous 1 euro pour 1 dollar.

Rien de tout cela ne s’est produit. Depuis le début de l’année, le dollar plonge de 9,1% face à l’euro, qui s’élève actuellement à 1,14 dollar. Plus largement, l’indice dollar DXY, qui mesure la performance du billet vert face à un panel de grandes devises, cède 8,5% sur l’ensemble de 2025.

Cette disgrâce du dollar est liée à de nombreuses raisons mais toutes sont directement ou indirectement liées à la politique de l’administration Trump. Les perspectives de croissance des États-Unis se sont dégradées. L’OCDE a abaissé, lundi, sa prévision de progression du PIB américain à 1,6% pour 2025, contre 2,2% précédemment, et 2,8% en 2024.

Sans surprise, cet abaissement est lié à l’impact des droits de douane annoncés par l’administration Trump depuis le début de l’année. « Si les nouveaux droits de douane peuvent inciter davantage à produire aux États-Unis, la hausse des prix à l’importation réduira les revenus réels des consommateurs et augmentera le prix des biens intermédiaires importés », a expliqué l’OCDE. « Les tarifs douaniers et l’incertitude politique perturbent les chaînes de valeur et affectent négativement les investissements », complète-t-elle.

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Le marché s’est détourné des actifs américains

La principale cause de la chute du dollar n’est pas tant économique que purement financière. Les atermoiements de Donald Trump sur sa politique commerciale et sa volonté d’utiliser les droits de douane comme une arme diplomatique n’ont pas braqué que ses partenaires commerciaux. Les investisseurs ont opéré une grande bascule, en se détournant des actif américains (actions, obligations, dollar) pour déplacer leurs fonds vers d’autres pays, l’Europe notamment.

Cette « rotation de portefeuille », comme on l’appelle dans le jargon boursier, revient à vendre des titres en dollars pour en acheter dans des monnaies autres que le billet vert. Ce qui exerce forcément une pression baissière sur la devise américaine.

« Au cours des dernières semaines, le thème dominant du marché a été le réexamen par les investisseurs mondiaux de leurs expositions importantes au dollar », écrivait mi-mai Bank of America. L’établissement évoquait alors un changement « collectif de pensée » des investisseurs étrangers sur leurs expositions aux actifs américains et à la monnaie américaine.

« Alors que le marché identifie de plus en plus les risques politiques (et de mise en œuvre des politiques) émanant des États-Unis, ainsi qu’une tendance plus large à l’isolationnisme en matière de politique économique et étrangère, de nombreux principes établis de longue date sont de plus en plus remis en question », assénait-elle.

Pas touche à Powell

Un simple paradoxe de marché atteste de la défiance des investisseurs. Depuis l’annonce des droits de douane réciproques, début avril, les taux obligataires américains ont grimpé. Le rendement du titre de dette des États-Unis à 10 ans est passé de 4% à plus de 4,6% en mai (et 4,5% actuellement). Dans le même temps, le dollar a chuté de plus de 5%. Normalement, une hausse des taux obligataires d’un pays s’accompagne d’une progression de la devise du même pays car il devient plus intéressant d’y placer son argent.

Cette contradiction avec les mécanismes traditionnels de marché est donc due à la fuite des investisseurs. La hausse des rendements obligataires n’a fait que les inciter à vendre davantage leurs actifs américains, et donc à pressuriser davantage le dollar.

Deutsche Bank redoutait en avril « une crise de confiance » sur la devise américaine. Lundi, dans ses prévisions économiques et de marché pour le second semestre, la banque allemande a estimé que, peu importe les futures décisions de l’administration Trump « le mal est fait » sur le dollar. « Seul l’avenir nous dira dans quelle mesure le dollar a été endommagé », insiste-t-elle.

UBS, de son côté, souligne que les menaces de Donald Trump à l’encontre du président de la Réserve fédérale américaine (Fed), Jerome Powell, n’ont fait qu’aggraver les choses.

« Bien qu’il soit peu probable que Jerome Powell soit démis de ses fonctions avant la fin de son mandat, en mai 2026, le simple fait de discuter de l’indépendance de la Fed a ajouté une nouvelle couche d’incertitude. Cette situation, combinée aux tensions commerciales persistantes, a augmenté les risques extrêmes pour les investisseurs et a accentué la pression sur le dollar », souligne-t-elle.

Un projet de budget américain qui passe mal

Pour la suite, les stratégistes voient encore le dollar dévisser, notamment face à l’euro. Goldman Sachs prévient que le projet de loi budgétaire de Donald Trump, son fameux « big, beautiful, bill » (« grand, beau, projet de loi ») se traduira « par des déficits budgétaires pendant une période prolongée, ce qui va de pair avec la persistance des déficits de la balance courante ».

Or la balance des transactions courants reflète, grosso modo, la différence entre les flux financiers entrants et sortants dans un pays. Un déficit de la balance courante américaine plombe donc le dollar.

Dans une note publiée lundi, Morgan Stanley voit la faiblesse du billet vert persister face à l’euro, au yen, et au franc suisse, et dans une moindre mesure face à la livre britannique. La banque pointe le fait que la Fed est réticente à baisser ses taux pour soutenir l’activité à moins qu’une baisse de l’inflation se constate réellement.

« Dans le même temps la volatilité et l’incertitude persistante de la politique commerciale américaine, ainsi que les perspectives floues du prochain projet de budget américain incitent les investisseurs à couvrir le risque de change de leurs actifs américains existants, ce qui pèse sur le dollar », écrit Morgan Stanley.

La banque américaine explique, par ailleurs, que la future loi américaine pour réduire l’immigration plombera la croissance des États-Unis. En conséquence, Morgan Stanley estime que toutes ces raisons propulseront l’euro au-delà de 1,20 dollar. Bloomberg rapporte que la banque table même sur un chiffre de 1,25 dollar pour l’an prochain, contre donc autour de 1,14 actuellement.

Morgan Stanley est loin de constituer un cas isolé. La banque japonaise Nomura prévoit elle aussi une hausse de l’euro. « Nous voyons maintenant l’eurodollar atteindre 1,20 d’ici la fin de l’année, l’euro étant un bénéficiaire majeur du changement de sentiment (du marché, NDLR) à l’égard du dollar », a-t-elle écrit le 30 mai.

Deutsche Bank est grosso modo sur la même ligne que Morgan Stanley. L’établissement allemand table sur un euro à 1,20 dollar fin décembre 2025, à 1,22 fin juin 2026 et à 1,25 en décembre 2026.

La banque allemande explique que le dollar pâtira du creusement des déficits américains (budgétaires, comptes courants) et de la baisse des investissements internationaux. « En dehors des États-Unis, l’évolution vers une politique budgétaire plus expansive au niveau mondial devrait soutenir la croissance sans les contraintes de financement auxquelles les États-Unis sont confrontés », expose également Deutsche Bank.

Toute hausse du dollar sera éphémère

Bank of America a également un biais pessimiste sur le dollar. « Malgré le sursis douanier temporaire accordé à la Chine, les vents contraires cycliques restent d’actualité (…) Même avec les nouveaux tarifs douaniers, les perspectives de croissance des États-Unis – un pilier de l’appréciation du dollar au fil des ans – seront toujours affectées », a-t-elle écrit mi-mai.

La banque américaine note aussi que la baisse structurelle de l’exposition des investisseurs au dollar et aux actifs américains n’est probablement « qu’en train de débuter ». Bank of America estime que l’eurodollar s’inscrira à 1,17 dollar fin 2025.

UBS s’avère aussi plus mesurée. Mais la banque suisse voit quand même le dollar baisser et donc l’euro grimper. Elle table sur un eurodollar à 1,16 en décembre puis 1,20 dollar en juin 2026.

« Une plus grande discipline budgétaire aux États-Unis est nécessaire, tandis que les politiques commerciales sont susceptibles d’entraîner un ralentissement de la croissance américaine, que la Fed devrait équilibrer par une politique monétaire plus souple », estime la banque suisse.

« Pendant ce temps, l’Europe s’oriente vers l’expansion budgétaire, en particulier avec l’Allemagne qui lève son frein à l’endettement et augmente ses dépenses de défense, soutenant ainsi une croissance de la zone euro supérieure à 1%. Lorsque la croissance européenne se stabilisera, l’assouplissement monétaire (de la part de la Banque centrale européenne, NDLR) prendra fin », ajoute-t-elle.

En clair, pas grand monde ne voit le dollar remonter la pente. « Nous nous attendons à ce que toute hausse du dollar à court terme soit finalement considérée comme une opportunité de vente, à moins de changements politiques et économiques majeurs », a même prévenu jeudi Bank of America.

Julien Marion – ©2025 BFM Bourse
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