
Il faut prendre toute la mesure de ce que signifie la guerre que Netanyahou vient de déclencher contre l’Iran pour comprendre la dynamique de la situation actuelle mondiale.
En attaquant l’Iran, Netanyahou et son gouvernement d’extrême-droite – je précise « extrême-droite, car ne parler que « d’Israël »dans ce cas dissimule la véritable dimension internationale actuelle du phénomène général auquel appartient cette guerre – ne bombardent pas seulement dramatiquement les populations iraniennes en menaçant de mettre le feu à Téhéran, mais ils mettent aussi un arrêt à la vague de grèves en cours en Iran dont celle des camionneurs et sauvent ainsi le régime dictatorial des ayatollahs. Ils s’attaquent aussi au peuple israélien pas seulement parce que lui aussi est sous les bombes de l’Iran mais parce que Netanyahou et sa bande essaient de détruire par ce biais guerrier ce qui reste de démocratie en Israël. La veille encore de la guerre, sous la pression des mobilisations populaires israéliennes incessantes, ils n’ont échappé à la dissolution du Parlement et à la destitution de Netanyahou que par 6 voix de députés. Et ce problème n’était remis que d’une semaine. Cette extension de la guerre, dans laquelle Netanyahou essaie d’entraîner Trump, leur permet encore de continuer en toute discrétion leur génocide du peuple palestinien, et puis enfin, d’invisibiliser et d’attaquer – avec le soutien du G7 qui a reconnu le droit d’Israël à se défendre (!)-, les peuples du monde témoins de ce génocide commis sous les yeux de tous dont les manifestations montaient en puissance et en détermination partout sur la planète. La marche internationale pour Gaza, marquait cette apparition forte d’une opinion publique internationale -voire société civile mondiale – où s’unissaient notamment contre ce génocide dans une colère commune des citoyens du monde, y compris du Maghreb ou de l’Egypte de Sissi, où de premières manifestations dénonçaient sa répression des manifestants et sa complicité de fait avec Netanyahou, comme la passivité des autres régimes arabes.
Si Netanyahou et sa bande de criminels d’extrême-droite ont jeté Israël dans cette guerre pour échapper à la prison qui les menacent si la paix revient, ils n’ont obtenu le soutien du G7 que parce que leur guerre, soi-disant « préventive », va bien au-delà de leur destin personnel. C’est en effet aussi une défense « préventive » du capitalisme actuel en pleine décomposition qui dégénère dans le monde entier dans des régimes de plus en plus dictatoriaux qui veulent tous réduire les revenus populaires, jusqu’à pousser le salariat vers l’esclavage. Ces régimes sont entrés en lutte partout contre leurs propres sociétés civiles construites autour de la démocratie représentative parce qu’elles résistent à cette dégénérescence dont les artisans cherchent à les détruire. Entre la guerre interne contre ses propres peuples et la guerre externe contre des peuples étrangers, il n’y a qu’un pas. La guerre a toujours été la continuation de la politique et de l’économie par d’autres moyens. Elle a toujours été en même temps une technique pour détourner les colères populaires des gouvernements en les dressant contre les étrangers, en passant du racisme aux couplets guerriers nationalistes et aux bombes.
Il suffit de voir comment la guerre douanière que mène actuellement Trump contre le monde – pas loin de la guerre militaire au Panama ou au Groenland – est liée à sa guerre contre le peuple américain et contre sa démocratie, qui a été elle-même déclenchée par le biais d’une lutte raciste contre l’immigration. Mais justement, cette guerre contre une démocratie qui est incrustée dans les sociétés occidentales, malgré ses défauts, depuis plus de 80 ans et qui ne se résume pas au régime parlementaire représentatif, mais à mille autres démocraties dans le domaine social, éducation, santé, retraites pour tous, Sécurité Sociale, droits sociaux et ouvriers, etc., ne passe pas comme une lettre à la poste. On l’a vu brutalement en Corée du sud où la tentative de coup d’Etat du président a entraîné un soulèvement populaire et s’est terminée en fiasco. Et si la mobilisation contre le putsch de Macron contre la victoire du NFP aux législatives, était moins importante au vu des enjeux moindres, elle part du même esprit. Il en va de même aux USA, où en cinq mois de régime de Trump et de ses attaques tous azimuts, le pays à connu 15 000 manifestations, 100 par jour, cinq fois plus que les cinq premiers mois du précédent gouvernement Trump en 2017, avec un record historique de manifestants le 14 juin 2025 pour la journée « No kings » (pas de rois) avec 13,1 millions de manifestants et 2 300 manifestations le même jour dans le prolongement de nombreuses manifestations contre les attaques de Trump à l’encontre des migrants. Ces manifestations l’ont fait reculer, puisqu’il a suspendu les raids de l’ICE (sa police de l’immigration) tandis que les juges le faisaient reculer sur de nombreux points comme ses attaques pour limiter le droit de vote des jeunes, des femmes et des noirs, de même qu’il reculait encore devant Harvard, les avocats ou la Chine.
Ces résistances de la société civile mondiale se sont encore illustrées par une série d’élections depuis l’intronisation de Trump en janvier 2025 où les votes – de droite ou de gauche car dans bien des pays la gauche n’existe plus mais la société civile reste de gauche – étaient clairement anti Trump ou contre toute velléité de dictature, contre Poutine dans sa sphère d’influence et l’axe Trump-Poutine-Netanyahou en général. Cela a été ainsi le cas au Canada, en Australie, à Singapour, au Groenland, en Corée du Sud, en Roumanie, en Croatie, en Albanie, en Macédoine du Nord, dans les élections partielles aux USA et en Serbie, dans le refus d’une alliance de la droite avec l’extrême-droite en Allemagne, dans les sondages pour 2026 en Israël, en Turquie, en Hongrie et dans des élections peut-être moins significatives du point de vue démocratique au Surinam ou au Kossovo mais qui font sens dans l’ensemble. On ne trouve des votes en sens inverse qu’en Pologne (et d’extrême justesse), au Portugal, en Grèce et en Equateur avec un vote aux qualités démocratiques douteuses aux Philippines tandis qu’en Argentine, les sondages pour les élections de l’automne sont incertains mais donnent le parti de Milei et ses alliés plutôt battus, alors qu’en République tchèque le parti pro-Trump serait toujours en tête mais baisse fortement. Enfin au Panama, contre la volonté de Trump de prendre le contrôle du canal et la soumission de son président, on assiste à une grève générale, en Géorgie contre des élections truquées au profit du parti pro-Poutine, le peuple est en soulèvement depuis plus de six mois et dans le sillage de l’insurrection du peuple serbe contre son dictateur Vucic, c’est toute l’Europe centrale et orientale qui est entraînée dans un tourbillon de manifestations et révoltes contre leurs régimes, en Slovaquie, Hongrie, Macédoine, Grèce, Croatie, Albanie, Bosnie-Herzégovine… jusqu’à la Turquie, et/ou en soutien à la Palestine comme moyen indirect de mobiliser plus largement toujours contre le régime.
Face à ça, Orban, Trump, Vucic reculent, partiellement en tous cas, mais recommenceront c’est sûr. Ils iront jusqu’à employer des moyens plus violents comme Erdogan qui fait arrêter son concurrent électoral direct qui le menace dans les sondages, ou bien sûr Netanyahou qui s’est lancé dans le génocide du peuple palestinien, déjà parce qu’il était menacé par un soulèvement populaire en 2023 et maintenant dans la guerre contre l’Iran parce qu’il est menacé d’un autre soulèvement. Trump a envisagé de mettre en prison le gouverneur démocrate de Californie, candidat pressenti pour les présidentielles de 2028 et de faire appel ces derniers jours à « l’état d’urgence », suspendant tous les droits constitutionnels, contre les soi-disant menaces d’envahissement du pays par des « étrangers » comme il l’a fait pour justifier l’envoi de la Garde nationale et des Marine’s à Los Angeles. C’est ainsi certain qu’il annulera, totalement ou partiellement, les élections de mi-mandat en 2026 qu’il est sûr de perdre, mais que les Démocrates jusqu’à Bernie Sanders, ne proposent que comme seule issue.
C’est que les dirigeants du monde capitaliste pourrissant s’inquiètent, parce qu’en même temps que les vieilles puissances occidentales perdent du terrain face à la Chine et aux Brics, et que les démocraties glissent de plus en plus vers l’autoritarisme, les mouvements populaires commencent à tirer des leçons de cette situation, se mobilisent et se radicalisent, y compris dans les Brics
Ainsi en Israël, en même temps que les sondages promettaient une percée énorme à une nouvelle gauche reconstituée dans un pays où la gauche n’existe plus depuis longtemps, dans la manifestation à Tel Aviv la veille de l’attaque d’Israël contre l’Iran, une voix d’une autorité morale qui compte beaucoup dans le pays, appelait publiquement à fonder un nouveau parti de la rue pour renverser Netanyahou, c’est-à-dire à donner une expression politique directe par la révolution aux manifestations de rue qui jusque-là n’avaient pas d’autres issues que les élections parlementaire. Aux USA, les manifestations du 14 juin, cernaient bien le problème du moment, « No kings», pas de rois, pas de tyrans, pas de dictateurs et bien que les appels aux manifestations du 14 juin aient été encore pacifiques, ils plaçaient aussi cette journée sous les auspices du 14 juin 1775, une des dates marquantes du départ de la révolution américaine tandis que bien des pancartes étaient encore plus explicites, en appelant à « l’impeachment » (destitution) de Trump par la rue, faisant alors référence à la façon dont la révolution française de 1789 avait régler cet « impeachment » du roi.
Il faut aussi replacer la formidable résistance du peuple palestinien dans ce contexte, parce que c’est la réoccupation de Gaza par des dizaines et des dizaines de milliers de palestiniens malgré les bombardements qui a mis en difficulté les soldats israéliens qui ont commencé à refuser de combattre, et pas les combattants du Hamas cachés dans leurs souterrains, d’autant que cette résistance du peuple s’est accompagnée elle-aussi de manifestations contre la dictature réactionnaire du Hamas.
Et puis, plus significatif encore de cette évolution des consciences populaires, c’est ce qui se passe en Serbie, qui fait fonction de laboratoire, montrant où en sont les tendances révolutionnaires aujourd’hui. En mars 2025, après cinq mois du soulèvement populaire, les étudiants qui sont à la tête de ce mouvement général ont appelé à la constitution d’Assemblées citoyennes élues au suffrage direct, qui ont alors couvert tout le pays, des zbor, des sortes de soviets, pour prendre le pouvoir. Puis, en même temps que ces zbor se constituaient partout, le mouvement étudiant qui n’est pas homogène, changeait de position en mai/juin et appelait à des élections dans le cadre du système mais avec des listes qu’il soutiendrait composées uniquement de membres des citoyens en lutte, en grève, en manifestation, ni du parti au pouvoir, ni de l’opposition, que des sondages créditaient de plus de 70% des votes. Aussitôt, plus de 40 villes parmi les plus grandes reprenaient cette orientation début juin, constituaient leurs listes et réclamaient ces élections, par des blocages, occupations et manifestations. C’est alors que les partis traditionnels d’opposition, de gauche ou écologistes, qui jusque-là suivaient les étudiants en étant plus ou moins largués, ont dénoncé le mouvement étudiant (que le pouvoir qualifie de « nazis ») en le qualifiant de « bolcheviks » prêts à saccager le pays. Ils ont expliqué que le mouvement étudiant était sous la coupe de quelques facultés du pays qualifiées de « bolcheviques » , dont celle de philosophie de Belgrade, qui était apparemment favorable au slogan des bolcheviks russes « tout le pouvoir aux soviets ». Dans ces conditions, les élections qu’ils proposaient dans le cadre du système mais avec des listes de participants au mouvement, auraient été un compromis, ou plus exactement un pas vers la révolution. Ce qui est bien possible, puisque Vucic ne veut pas d’élections, quelles qu’elles soient, et que ce refus dans ces circonstances pourrait bien conduire à des élections organisées par le peuple lui-même : « tout le pouvoir aux zbor ».
C’est une évolution des consciences très importante puisque, lors des deux révolutions récentes où les étudiants – la pointe avancée de la société civile – ont été portés au pouvoir par un soulèvement populaire, au Sri Lanka et au Bangladesh, les étudiants ont soit abandonné le pouvoir, soit l’ont donné à une opposition officielle qui, peu de temps après, remettait en place le même système d’oppression. L’exemple de la Serbie montre que la tendance actuelle des mouvements qui se battent pour la démocratie, comme déjà les Gilets Jaunes, veulent une autre démocratie que celle qui a mené aux désastres actuels. Ils ne veulent pas de celle qui a amené le retour au pouvoir de Donald Trump en 2024 ou le triomphe de Narendra Modi en 2014, ou l’arrivée au pouvoir de Viktor Orban en Hongrie en 2010, l’emprise de Benjamin Netanyahu sur Israël après 2009, le contrôle de la famille Rajapaksa au Sri Lanka après 2004, le début du règne de Recep Tayyip Erdogan en Turquie en 2003, ou la victoire de Thaksin Shinawatra en Thaïlande en 2001 – la liste est sans fin. Cette démocratie représentative a fait son temps ainsi que tous ceux qui s’y accrochent parce que les Trump, Netanyahou, Vucic, ou Erdogan n’en jouent plus le jeu. C’est pourquoi aux USA, en Arizona, les militants du Parti démocrate ont fait un pas dans ce sens, en refusant que les candidats du Parti démocrate soient des milliardaires et appellent tous les autres Etats à faire de même. C’est une tendance générale, plus ou moins avancée, plus ou moins consciente suivant les lieux et les situations, mais une tendance qui terrorise les possédants et les défenseurs du monde capitaliste parce qu’elle menace leur jeu de représentation politique traditionnel et qu’ils veulent l’écraser avant qu’elle ne grossisse trop.
Les sociétés civiles, viscéralement anti-guerre, sont autrement fortes et enracinées aujourd’hui qu’hier malgré l’affaiblissement de la plupart des partis d’opposition et elles sont déjà en résistance partout, les manifestations pour la Palestine en sont une des vitrines mondiales et ce qui se passe aux USA, en Israël, en Palestine ou en Serbie en mesure la maturité. Les capitalistes et leurs serviteurs voudraient détruire ces sociétés civiles en se préparant partout à la guerre, mais les révolutions de 1917 en Russie puis dans d’autres pays ensuite ont germé de ces guerres. Or aujourd’hui, jamais les mobilisations ou les consciences n’ont été aussi avancées contre les désastres qu’ils nous préparent avant même les guerres, et quand elles ont eu lieu, comme en Ukraine, c’est la résistance populaire qui a fait reculer une des armées les plus importantes au monde. La présence de Greta Thunberg, une écologiste pour la défense mondiale de l’environnement, dans le bateau frété pour briser le blocus de Gaza en même temps que ses affirmations de la nécessité d’une révolution, sont l’illustration que plus que jamais, si l’humanité des résistances agit le plus souvent localement, elle pense de plus en plus globalement, tire des leçons de ce qui se passe dans le monde, comprend les interactions, succombe moins aux sirènes des guerres nationalistes et mûrit partout dans ses manifestations dès qu’elles prennent une certaine ampleur, la nécessité de se préparer à la révolution contre la guerre, contre le capitalisme pourrissant.
Jacques Chastaing, 17 juin 2025

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