La prochaine fois qu’un journaliste exprimera des doutes sur les bilans mortels

La prochaine fois qu’un journaliste exprimera des doutes sur les bilans mortels du ministère de la Santé de Gaza, on pourra lui répondre qu’il a raison d’être prudent — mais que ce n’est pas l’exagération qu’il faut craindre : ces chiffres sont probablement sous-estimés d’environ 40%.
La prochaine fois qu’un porte-voix d’Israël brandira l’argument de la proportion habituelle de civils tués dans un conflit, en affirmant fièrement qu’elle est ici inférieure à la moyenne puisque « l’armée la plus morale du monde » tient la gâchette, on pourra lui répondre que 4% de la population de l’enclave a probablement déjà été décimée — un niveau rarement atteint.
La prochaine fois que quiconque tentera de vous discréditer en insinuant que votre obsession des horreurs de cette « guerre » est sélective et suspecte de haines inavouables, vous pourrez lui rétorquer qu’elle est l’une des plus sanglantes du 21ème siècle. Il semblerait même qu’elle se place en tête du palmarès en termes de ratio combattants/non-combattants tués, et qu’elle pulvérise tous les records en proportion de femmes et d’enfants de moins de 18 ans décédés de mort violente — discipline dans laquelle les 56% à Gaza font plus que doubler la plupart des conflits depuis la Seconde Guerre mondiale : 23% au Soudan, 21% en Colombie, 20% en Syrie, 20% au Kosovo, 17% en Irak, 9% au nord de l’Éthiopie…
Ces données proviennent de deux rapports récemment publiés au Royaume Uni. Le premier, intitulé « Violent and Nonviolent Death Tolls for the Gaza War: New Primary Evidence », a été réalisé par l’équipe du professeur Michael Spagat du Holloway College (Université de Londres), expert en matière de mortalité dans les conflits violents. Il est actuellement en prépublication et doit encore faire l’objet d’un examen académique. Le second est le fruit du travail de Matthew Ghobrial Cockerill, doctorant à la London School of Economics, qui s’est penché plus particulièrement sur le sort des « enfants disparus » de Gaza pour le compte de l’organisation Action on Armed Violence.
Selon les chercheurs, plus de 75.000 personnes seraient décédées de mort violente à Gaza entre octobre 2023 et début janvier 2025. Une grande majorité de ces victimes auraient été tuées par des munitions israéliennes. Dont plusieurs centaines d’enfants âgés d’un jour à quelques mois.
Sur la même période, la mortalité excessive (pénurie de nourriture, attaques militaires contre le système de santé, maladies…) a été estimée à 8.540 décès. Ce qui porterait à plus de 84.000 le total de victimes gazaouies pendant les 15 premiers mois de la « guerre ».
Les liens vers ces deux rapports sont en commentaires. Ainsi que vers l’article du Haaretz qui les analyse, en regard notamment de la dernière liste de victimes publiée par le ministère de la Santé de Gaza.
Dans Haaretz, Michael Spagat précise que la différence entre les chiffres du ministère de la Santé de Gaza (basés sur les corps amenés à la morgue) et l’estimation des chercheurs, pourrait s’expliquer par les dépouilles encore ensevelies sous les décombres ou enterrées directement par leurs familles.
Bien sûr, il s’agit-là d’une spéculation. Tout comme il faut souligner que les chiffres avancés dans ces deux rapports n’ont rien de certain, ni de définitif. Mais ils sont le fruit d’estimations obtenues par deux méthodologies de recherche différentes, qui aboutissent à des résultats fort semblables.
Ces analyses de la mortalité dans l’enclave s’arrêtent toutefois au mois de janvier dernier. Or, depuis lors, les bombardements et les tirs de snipers ont continué (y compris dans les files d’attente vers les centres de distribution d’aide alimentaire). Davantage d’hôpitaux ont été détruits. Le travail des ONG et des agences de l’ONU a considérablement été affecté. La famine et les maladies ont pris de l’ampleur suite aux 78 jours de blocus alimentaire et aux déplacements répétés de la population. Le mois dernier, 5.452 enfants ont été hospitalisés en raison d’une malnutrition sévère. Les capacités de soin liées aux structures sociales, communautaires et familiales de Gaza se sont effondrées, ce qui entraînera selon les chercheurs une hausse de la mortalité excessive…
Tout cela fait dire au journaliste du Haaretz que « même si la guerre n’a pas encore franchi le cap des 100.000 morts, elle en est très proche ».
L’armée israélienne, elle, maintient uniquement le chiffre de 20.000 « terroristes » éliminés.
Et contrairement aux autres guerres dans lesquelles elle s’est impliquée, elle ne fournit aucune estimation du nombre de civils tués à Gaza.
(Photo : des soldats israéliens se mettent en scène devant une explosion qu’ils ont provoquée)
Ce champ est nécessaire.

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*