
En mettant en scène de manière spectaculaire tout ce qu’il fait comme un bonimenteur sur un marché et en se présentant comme le maître du deal, Trump a donc déclaré que l’accord avec l’UE était une grande victoire pour les USA. Une victoire politique certainement parce que l’Europe a cédé – sur la forme, illustrant une fois de plus que l’Europe n’existe pas en tant que force politique -, aux exigences
de Trump, mais en rien une victoire économique – l’UE montrant qu’elle est une association de défense des intérêts économiques des riches – ni un succès pour sa politique de hausse des taxes douanières. Si l’on regarde de près l’accord, il n’y a rien de réalisable dans ce qu’a présenté Trump comme un succès. C’est lui qui s’est fait enfumé. Les seuls perdants seront les consommateurs et travailleurs américains et européens. Trump n’est pas la maître du deal, mais le maître du baratin pour faire passer le néant pour quelque chose, le maître du faux-deal. C’était déjà la même chose déjà avec les accords avec la Grande-Bretagne, du néant présenté en victoire.
ARTICLE DE JEAN-LOUIS VULLIERME, philosophe du droit et universitaire français
« Politique d’Apaisement : comment l’Europe gère Trump
L’addiction de Trump à la fumée et aux miroirs est bien connue. Lorsque la réalité ne correspond pas à ses ambitions, c’est-à-dire la plupart du temps, il se contente d’éloges et d’adulation. Entre deux parties de golf sur son parcours privé, l’UE lui a offert une capitulation solennelle sur les accords douaniers. Il était bien sûr ravi de renforcer ainsi sa réputation de négociateur. Les effets toutefois, seront sans doute moindres qu’il n’y paraît à première vue, hormis de rappeler au monde la faiblesse actuelle de l’Europe et de ses dirigeants.
L’accord verbal comporte trois volets : des engagements d’achat, une déréglementation et des droits tarifaires unilatéraux que les négociateurs européens n’ont ni la capacité juridique ni la capacité matérielle de faire respecter dans aucun des trois cas.
L’achat de 750 milliards de dollars d’énergie est irréalisable. Cela obligerait l’Europe à acquérir la quasi-totalité du pétrole et du gaz naturel actuellement exportés par les États-Unis, qui ont déjà atteint leur pic de production. La capacité portuaire devrait être triplée, tandis que la pression sur les prix serait prohibitive. La Commission européenne n’a pas le pouvoir d’imposer un choix de fournisseur aux acheteurs privés. De même, l’UE n’a aucune autorité sur les équipements militaires et ne peut contraindre aucun État membre à augmenter la part des États-Unis parmi ses fournisseurs, dans un contexte où l’attitude des États-Unis au sein de l’OTAN suscite au contraire une méfiance à l’égard des équipements sous contrôle américain.
De même, en ce qui concerne les engagements d’investissements directs aux États-Unis, la Commission ne peut les exécuter que si elle les cofinance, mais elle ne dispose d’aucun instrument pour le faire.
La déréglementation directement demandée ou rendue nécessaire par la nature des engagements, en particulier dans le domaine environnemental, ne peut être réalisée sans violer les traités et sans d’improbables majorités absolues tant au Parlement qu’au Conseil. Cela vaut pour les importations de véhicules à moteur, qui sont soumises aux normes EURO8, qui ont force de loi dans chaque pays et même un statut constitutionnel en Allemagne (arrêt de 2021).
L’aspect le plus simple, si l’on peut dire, est celui des droits de douane eux-mêmes. Cependant, leur caractère unilatéral contredit la clause de la nation la plus favorisée rendue obligatoire par les articles du GATT. La violation de ces règles par le principe même de l’accord garantit de nombreux litiges de longue durée devant l’OMC.
Ces droits, qui feront l’objet de négociations futures pour des exceptions, seront vraisemblablement appliqués d’autorité aux frontières américaines. Toutefois, selon Goldman Sachs, en juillet 2025, 49 % de leur coût est répercuté sur les consommateurs américains, 29 % sur les entreprises importatrices américaines et seulement 12 % est supporté par les exportateurs.
La question principale est donc de savoir si les États-Unis seront en mesure de remplacer les importations européennes par une production locale. L’élasticité est faible pour les services (5 à 8 %), mais plus importante pour les biens (15 à 20 %), en particulier dans les secteurs automobile et chimique. Cela suffit pour avoir un impact sur le PIB européen moyen de 0,6 à 0,8 %, compte tenu notamment de la perte de visibilité pour les entreprises des deux continents.
La perte, même si elle est limitée en termes de parts de marché, entraînera un affaiblissement relatif de l’euro, ce qui, il faut le souligner, est exactement contraire aux objectifs monétaires de Trump.
Le coût principal est politique. La Commission s’est discréditée en acceptant l’humiliation comme moyen de négociation avec un partenaire particulièrement brutal, même si elle parvient à faire valoir que les dommages économiques seront finalement moins importants qu’il n’y paraît.
Il est imaginable que la Commission von der Leyen pourrait soit censurée. On peut espérer, en tout état de cause, que la majorité des gouvernements comprennent enfin l’urgence de se ressaisir en matière d’investissements et de technologie, afin de souffrir à l’avenir de moins de faiblesses. Il convient pour cela de reconstruire l’avenir sur la base du plan Draghi. »
Poster un Commentaire