Derrière Fleur Breteau, l’émergence d’un mouvement qui politise le cancer

REPORTERRE

23 juillet 2025

Fleur Breteau est devenue la figure de la résistance contre la loi Duplomb, dévastatrice pour la santé. Grâce à son collectif et à la mobilisation de milliers de citoyens, le cancer est devenu une question politique.

La colère des malades a trouvé un exutoire. Depuis que Fleur Breteau a pris la parole dans Reporterre fin juin contre la loi Duplomb, la quinquagénaire au crâne nu et au rouge à lèvre vif est devenue le visage de la lutte contre les pesticides. La créatrice du collectif Cancer colère a donné un nouveau souffle à la mobilisation contre le texte dévastateur pour la santé et l’environnement.

Lire aussi : « Voter la loi Duplomb, c’est voter pour le cancer » : Fleur Breteau, malade et en colère

Après le vote de cette loi qui réintroduit trois pesticides interdits dont l’acétamipride, la Parisienne atteinte d’un cancer du sein pour la seconde fois a réussi un tour de force : politiser la maladie en la plaçant au cœur du combat contre les pesticides. « Vous êtes les alliés du cancer et nous le ferons savoir ! », a-t-elle crié à l’issue de l’adoption de la loi Duplomb, mardi 8 juillet dans l’hémicycle.

« J’étais la seule à pouvoir le faire avec ma tête, j’ai incarné quelqu’un qui est en traitement mais qui peut encore gueuler, dit Fleur Breteau. La lutte a une vertu thérapeutique, j’ai l’impression de vivre une deuxième chimio qui est train de défoncer toutes les métastases, mais sans les effets secondaires. »

Son alerte a eu un retentissement massif. La preuve avec le succès historique de la pétition exigeant le retrait de la loi qui a recueilli plus de 1,7 million de signatures. Jamais une requête lancée sur la plateforme de pétition citoyenne sur le site de l’Assemblée nationale n’avait reçu autant de soutiens.

« On est débordé par les demandes »

Fleur Breteau veut aller plus loin que l’abrogation de la loi Duplomb. Elle a lancé une autre pétition avec quatre autres figures de la lutte contre les pesticides comme Sabine Grataloup pour exiger l’interdiction des pesticides de synthèse, et une bifurcation vers une agriculture réellement respectueuse de la santé et du vivant. Plus de 33 000 personnes ont signé le manifeste.

Au-delà de toutes ces signatures, le collectif Cancer colère a reçu des centaines de témoignages par mail et sur Instagram de malades, d’anciens malades, de leurs proches et de gens simplement choqués par la loi Duplomb.

« Les gens nous racontent l’histoire de toute leur famille atteinte d’un cancer, des femmes de 50 ans nous expliquent qu’elles en sont à leur troisième, d’autres nous parlent de leur voisin agriculteur… », énumère Fleur Breteau. « Beaucoup nous disent que la loi Duplomb est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, d’autres nous expliquent qu’ils savaient que les pesticides étaient dangereux mais n’avaient pas réalisé l’ampleur du problème ».

Sabine et Théo Grataloup. L’adolescent de 16 ans est né avec des malformations attribuées au glyphosate. © Moran Kerinec / Reporterre

À côté de ces messages, de plus en plus de gens souhaitent rejoindre le collectif ou bien créer des antennes à Nantes, en Bretagne, dans le Jura, le Var… « On est débordé par les demandes, nous en étions à 500 personnes [le 19 juillet] et ça continue d’affluer. Pour un collectif né en février, composé à la base de 150 membres dont 30 très actifs, c’est énorme ! »

Juliette [*], ancienne malade depuis guérie, a adhéré au collectif dès qu’elle en a appris l’existence. « Lorsque j’ai vu la vidéo de Fleur Breteau sur Instagram, je me suis tout de suite identifiée, raconte la jeune femme qui souhaite rester anonyme. Son témoignage est venu réveiller ma colère. »

« Le témoignage de Fleur Breteau a réveillé ma colère »

Lorsque l’on lui a diagnostiqué un cancer il y a quelques années, « il n’y avait pas d’antécédents dans ma famille et j’avais par ailleurs une bonne hygiène de vie ». Alors « pourquoi moi ? », s’interroge celle qui a grandi à la campagne, entourée de champs.

Si on ne peut pas affirmer de manière formelle le lien entre les pesticides et sa maladie, celui-ci est de plus en plus documenté par la science. « Ma médecin n’avait pas exclu la possibilité de causes environnementales liées à l’exposition aux pesticides », se rappelle-t-elle, s’interrogeant également sur le rôle que peuvent avoir l’alimentation et l’eau.

Juliette n’aura probablement jamais de réponses à ces questions qui la hantent mais désormais, elle se sent le pouvoir d’agir. « Ça fait des années que l’on banalise le cancer, comme si on ne pouvait rien y faire. En réalité, c’est une question de choix de société, estime la jeune femme. Si on politisait davantage cette maladie, on pourrait éviter de nombreux cas, c’est pour ça que j’ai décidé de rejoindre Cancer colère, j’ai besoin de prendre ma part dans ce combat. »

Pour la première fois, « je ne me sens plus passive de mon ancienne maladie, dans un corps faible pris en charge par les soignants, lutter, c’est une manière d’être active à nouveau ».

Elle s’engage car « on ne peut pas compter sur nos élus »

Annie non plus ne saura sans doute jamais pourquoi c’est tombé sur elle. À 52 ans, l’agricultrice bio en Meurthe-et-Moselle a appris être atteinte d’un cancer du sein l’été dernier. « Mon médecin m’a dit que je ne cochais aucune case, ni antécédents familiaux ni alcool ou tabac », explique-t-elle.

En 2015, la maman de trois enfants a quitté son travail d’institutrice pour travailler avec son mari dans leur exploitation. La même année, le couple s’est converti en bio pour produire de l’huile de tournesol, de colza, de chanvre et de cameline qu’ils vendent directement dans une épicerie avec d’autres producteurs.

« Dans notre département, le nombre de cancers n’est pas répertorié donc c’est difficile de faire un lien avec le territoire », dit-elle. Lorsque la quinquagénaire est tombé par hasard sur la vidéo de Fleur Breteau, « je me suis dit qu’il fallait que je fasse ma part. Si on veut améliorer la situation, c’est à nous de bouger, on ne peut pas compter sur nos élus ».

Annie ne sait pas encore si elle va créer une antenne de Cancer colère en Meurthe-et-Moselle, « l’idée est pour l’heure de rassembler toutes les personnes qui peuvent se sentir concernées près de chez moi pour montrer que l’on n’est pas seul, et de répertorier le plus de données sur les cas de cancers dans le territoire ».

« La honte a changé de camp »

Sa maladie n’est pas taboue, « je parle de mon cancer avec les autres agriculteurs et les clients sur les marchés, en ce moment mes cheveux repoussent, lorsque l’on me complimente sur mon nouveau look, j’explique à quoi c’est dû ».

Comme Annie, de plus en plus de personnes ne cachent plus leur maladie, notamment sur les réseaux sociaux. Ces dernières semaines, nombre de femmes ont retiré leur perruque pour afficher leur crâne nu. « La honte a changé de camp, constate Fleur Breteau, ce n’est pas à nous ni aux agriculteurs de la porter mais aux politiques qui ont voté la loi Duplomb ».

Il y a aussi les messages de personnes qui luttent contre le « crabe » — parfois en plus d’une autre pathologie comme Parkinson — ou de proches de malades qui veulent aider mais qui pour l’heure n’en ont pas la force à cause de leur traitement ou de leur quotidien d’aidant surchargé. « Ces témoignages-là sont bouleversants, dans ces cas-là on leur demande de nous donner de leurs nouvelles », précise-t-elle après une pause, très émue.

Pour gérer l’afflux, le collectif s’organise. « Nous ne sommes pas des professionnels de la lutte mais grâce à l’intelligence collective, on avance plus vite qu’avec ChatGPT. Après avoir recensé toutes les demandes en région, nous enverrons à ces personnes des kits de mobilisation, elles seront accompagnées dans un premier temps par un membre du collectif présent depuis sa création. Cela va prendre un peu de temps. » La militante peut déjà annoncer que des opérations de tractage seront organisées devant des hôpitaux en septembre.

Les médecins mobilisés

Chiffres sur l’épidémie de cancers en cours, études qui font le lien entre cancer et pesticides, schémas sur le mécanisme d’autorisation de mises sur le marché des pesticides, exemples récents de renoncements du gouvernement sur la filière bio… « Pour élaborer ces kits, beaucoup de professionnels comme des oncologues, des ingénieurs agronomes et des graphistes nous ont proposé de mettre leurs ressources à notre disposition. C’est très précieux car c’est par l’information que l’on gagnera la lutte contre les pesticides », assure la quinquagénaire.

Notamment grâce à la médecine. Après que le professeur Fabrice Barlesi, à la tête de l’institut Gustave Roussy, ait alerté du « tsunami » à venir de cancers chez les jeunes adultes début février, le premier centre de lutte contre le cancer en Europe a lancé le programme « Un cancer à 30 ans »« Cette initiative va tenter de mieux comprendre l’influence des expositions environnementales comme les pesticides sur le développement de cancers chez les jeunes adultes, c’est complètement inédit », se réjouit Fleur Breteau. Par ailleurs, « pour la première fois depuis sa création, la Ligue contre le cancer a pris une position contre une loi, ça montre à quel point le corps médical a décidé de s’engager dans la bataille ».

Dans cette bataille, la créatrice de Cancer colère n’oublie pas les agriculteurs en bio. « En protégeant le vivant, ils ont un rôle de guérisseurs et de réparateurs, maintenant, c’est à nous de les soutenir. »

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