
La France est en « complet décalage » avec les objectifs climatiques, alerte le Haut Conseil pour le climat

L’action climatique de la France en 2024 a été mauvaise, juge le Haut Conseil pour le climat dans un rapport sévère. En cause : des reculs dans les transports et l’agriculture, et une procrastination du gouvernement.
« Appel au sursaut collectif », « préoccupation très forte » : l’alerte du Haut Conseil pour le climat (HCC) est claire. La politique climatique de la France est en train de dérailler complètement. Dans leur rapport annuel de 2025, publié le 3 juillet, les experts scientifiques de l’organisme indépendant dressent un sévère bilan de la politique climatique française pour l’année 2024.
Le rythme auquel le pays réduit ses émissions de gaz à effet de serre a décroché l’an dernier. La baisse a été, hors puits de carbone, de 1,8 % par rapport à 2023. Bien loin des -6,7 % enregistrés entre 2022 et 2023. Il faudrait doubler le rythme pour respecter notre objectif de réduire de 55 % les émissions entre 1990 et 2030, prévient le HCC.
Plus inquiétant encore, la maigre baisse réalisée en 2024 est majoritairement le fait de facteurs conjoncturels, comme la douceur de l’hiver qui a limité les émissions liées au chauffage des bâtiments ; et les fortes pluies qui ont favorisé le recours à l’hydroélectricité, une énergie bas carbone. Au total, à peine 30 % de la baisse des émissions, au maximum, serait attribuable aux politiques publiques climatiques.
Une politique à rebours des enjeux climatiques
Dans le détail, deux secteurs sont responsables à eux seuls de plus de la moitié de nos émissions : les transports (34 % des émissions nationales en 2024) et l’agriculture (21 %). Tous deux incarnent l’absence de politiques de transition sérieuses en France.
Concernant le transport routier, le HCC note que les émissions n’ont pas diminué, alors même que le rythme d’électrification des véhicules s’est poursuivi au même rythme que 2023. Cela pourrait s’expliquer par « une hausse des kilomètres parcourus en voiture en 2024 », selon le HCC.
Le rythme de baisse des émissions dans le secteur devrait être multiplié par 4 pour tenir notre objectif pour 2030, estime le Haut Conseil, qui formule en conséquence une série de recommandations fortes. Entre autres : renforcer la fiscalité sur les poids lourds et leur carburant, et sur les billets d’avion intra et extra européens ; garantir des financements conséquents dans le ferroviaire ; soutenir le maintien de l’objectif de 100 % de ventes de véhicules zéro émission en 2035 ; limiter les extensions urbaines ou encore proposer un moratoire sur tous les projets routiers existants.
Soit l’exact inverse de la politique menée actuellement, que l’on pense au passage en force de la construction de l’autoroute A69, au refus d’avaliser la fin des moteurs thermiques en 2035, au refus de taxer sérieusement l’aviation, aux sous-investissements catastrophiques dans le réseau ferroviaire ou encore à l’affaiblissement fin 2024 du bonus écologique à l’achat d’un véhicule électrique.
Tous les secteurs dans le rouge
Le constat est tout autant accablant sur l’agriculture : la baisse des émissions du secteur n’a été que de 0,5 % en 2024 et devrait être multipliée par près de trois pour tenir nos objectifs climatiques. Or, là aussi, aucune réelle transition vers une agroécologie compatible avec le maintien d’un climat viable n’a été enclenchée par le gouvernement.
Tout au contraire : la loi d’orientation agricole récemment adoptée et la proposition de loi Duplomb en cours d’adoption marquent de profonds reculs sur l’écologie, que le HCC déplore explicitement : « [Ces politiques] contribueront à verrouiller sur le long terme la production agricole dans des modèles intensifs en émissions, plutôt qu’à l’orienter vers des modèles bas carbone, plus résilients, donc moins vulnérables. »
« La trajectoire actuelle nous inquiète »
Pour les autres secteurs, les retards en 2024 sont aussi problématiques : dans l’industrie, le rythme de baisse des émissions devrait être multiplié par plus de 3 ; dans le bâtiment, par plus de 9 ; dans le secteur des déchets… par 29. Seule la décarbonation de l’énergie est pour l’instant sur la bonne trajectoire. Et encore : « La gouvernance et la planification du secteur se sont nettement détériorées ces deux dernières années », alerte le HCC.
Concernant les puits de carbone, c’est-à-dire la captation du carbone par les terres, notamment les forêts et les prairies, les chiffres sont à peu près stables depuis 2018, mais cette stabilité est en trompe-l’œil. Une forte quantité de carbone est en effet stockée dans le bois mort, produit par la forte mortalité des forêts françaises soumises à de nombreuses pressions. Or, d’une part, ce stockage dans le bois mort cache la hausse des émissions liées à l’agriculture et l’artificialisation des terres. Et d’autre part, ce bois, qui représente plus de 40 % de puits de carbone, finira par se décomposer et relâcher son carbone dans l’atmosphère.
Le HCC appelle en réponse au déploiement « en urgence » d’un plan d’investissement pour renouveler les écosystèmes forestiers.
Faillite de la classe politique
Dans leur analyse globale des politiques publiques climatiques, les experts distinguent deux types de failles délétères : les retards et les reculs.
Les retards concernent la procrastination des gouvernements successifs sur les textes et stratégies clés. La stratégie nationale bas carbone (SNBC) et la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) ont cumulé les retards. De même, le troisième plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC 3) a été présenté — et fortement critiqué — en mars avec près de deux ans de retard. Une loi de programmation énergie et climat annoncée pour juillet 2023 et censée consolider ces différents textes n’a, quant à elle, jamais vu le jour.
Les reculs, de leur côté, se sont enchaînés en 2024 et 2025, et « paradoxalement […] ont souvent concerné des mesures rencontrant un succès important auprès des particuliers », écrit le HCC. Outre les reculs déjà évoqués dans les transports et l’agriculture, la suspension catastrophique pour les ménages modestes de MaPrimeRénov’, l’aide à la rénovation énergétique des bâtiments, est emblématique de cette politique erratique, sous-financée, source d’instabilité et d’inaction climatique, pointe le rapport.
« La polarisation croissante de la société, la gouvernance fragilisée et le travail de lobbying de puissants secteurs économiques liés aux énergies fossiles sont des freins à la transition. La trajectoire actuelle nous inquiète », dit Jean-François Soussana, président du HCC.
« Les enjeux climatiques sont instrumentalisés dans le débat politique. On assiste à une démobilisation très forte de la classe politique, ajoute la sociologue Sophie Dubuisson-Quellier, membre du HCC. C’est en complet décalage avec la société française, qui reste très préoccupée par l’enjeu climatique. » Selon une enquête de février dernier, 83 % des Français estimeraient urgent ou important de se préoccuper du changement climatique.
La canicule mortelle qui vient de plomber la France ne devrait pas les faire changer d’avis. Selon les projections des climatologues, si l’on poursuit sur la tendance actuelle, le nombre annuel moyen de jours de vagues de chaleur sera 3 fois supérieur en 2030 à celui de la période de référence (1976-2005) et 10 fois supérieur en 2100. Avec des vagues de chaleur pouvant survenir de mi-mai à début octobre, et pouvant dépasser des durées de deux mois.
En attendant, l’action climatique de la France en 2025 s’annonce encore plus mauvaise qu’en 2024. Selon les estimations, publiées par l’Insee en juin et encore soumises à de nombreux aléas, les émissions de gaz à effet de serre du pays devraient baisser d’à peine 1,3 %.
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