Un phénomène nuisible à la bonne marche de la solidarité nationale

La France a établi une solide tradition de protection et d’aide sociale de l’état. La constitution de la Vème république prévoit notamment que : “Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence“.

Or il existe aujourd’hui un phénomène nuisible à la bonne marche de la solidarité nationale : le non-recours aux droits. Bien qu’il soit difficile de le mesurer précisément, sachez qu’en France certaines prestations majeures frisent le taux de 40% de personnes qui ne la perçoivent pas alors qu’elles y sont éligibles. Plusieurs facteurs expliquent ce chiffre si élevé, mais à l’évidence, les personnes qui ne recourent pas à leurs droits manquent d’informations et sont découragées par les démarches administratives trop complexes.

Les pouvoirs publics semblent peu à peu se préoccuper de cette question du non-recours qui représente un enjeu de taille pour les années à venir. En effet, il s’agit d’une part d’endiguer les difficultés croissantes des personnes en situation de pauvreté et le creusement des inégalités sociales, et d’autre part de contenir le coût de l’aide sociale dans des limites raisonnables.

Alors, vers où se dirige-t-on ? On continue de stigmatiser les personnes les plus fragiles en les taxant d’assistés ou doit-on reconsidérer la solidarité comme l’un des piliers de la république et exiger que chacun puisse en bénéficier ?

 

Qu’est-ce que le phénomène de non recours ? Explications

Le non-recours concerne les prestations sociales versées ou attribuées par différents organismes, comme la CAFla Caisse Primaire d’Assurance Maladie ou Pôle EmploiAinsi, il est caractérisé lorsqu’une personne, en tout état de cause éligible à une prestation sociale, ne la perçoit pas. Le phénomène concerne à la fois les aides financières, comme les allocations et les aides non financières dans le cadre par exemple de service à la personne.

 

Par exemple, une personne dont les revenus sont modestes souscrit un contrat de mutuelle santé et paie chaque mois sa cotisation à taux plein. Elle pourrait percevoir la CSS (Complémentaire Santé Solidaire), mais n’en a pas fait la demande. Elle est donc en situation de non-recours.

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Totalement absent du débat public il y a encore quelques années, le phénomène de non-recours suscite désormais de plus en plus d’intérêt. Bien que les médias ne se soient pas encore emparés réellement de la question pour en faire le grand sujet de société qu’il devrait être, les pouvoirs publics multiplient aujourd’hui les travaux pour mieux comprendre le phénomène.

D’ailleurs, il existe un observatoire du non recours dont les travaux permettent de prendre conscience de la réalité du phénomène. Ainsi, l’ODENORE (Observatoire de non-recours aux droits et aux services) publie depuis Mars 2003 de nombreuses études sous la houlette de Philippe Warin, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de la question.

 

Quels sont les chiffres non-recours ? des taux étonnamment hauts

Jusqu’à 40% de non-recours sur certaines aides sociales en France

Avant toute chose, sachez qu’il n’existe aujourd’hui aucun outil capable de mesurer avec précision le phénomène. Toutefois, de  nombreuses études permettent de l’évaluer à prés de 40%.

Le non-recours possède un caractère multifactoriel et demeure difficile à évaluer, car le nombre de personnes éligibles aux différentes aides est aujourd’hui une inconnue.

Par conséquent les chiffres que nous avançons dans cet article proviennent d’études et de rapports officiels, sur certains dispositifs sociaux précis et valables à la date donnée. Toutes les sources sont disponibles et indiquées pour chacun d’entre eux.

 

Non recours RSA

Ces premiers chiffres émanent des constatations de MME Gisèle BIÉMOURET et M. Jean-Louis COSTES : députés auteurs du RAPPORT D’INFORMATION sur l’évaluation des politiques publiques en faveur de l’accès aux droits sociaux du 26 octobre 2016. Les taux de non-recours sont estimés sur 3 aides qui figurent parmi les plus notoires pour la population.

Le rapport évalue le non-recours pour :

 

 

      • Le Revenu de Solidarité Active, 36% de non-recours en 2016 et 34% à partir de 2018 : Le RSA est un minima social conçu pour assurer à chacun un moyen de subsistance.
      • L’Aide Complémentaire à la Santé entre 57 et 70%  de non-recours : L’ACS est une aide pour souscrire à une mutuelle à prix réduit, accessible aux personnes possédant de faibles ressources.
      • La Couverture Maladie Universelle Complémentaire entre 21 et 34% de non-recours : La CMU-C est une mutuelle totalement gratuite réservée aux plus démunis afin de garantir l’accès aux soins.

 

 

La CMU-C et l’ACS n’existent plus aujourd’hui sous cette appellation. Elles sont désormais regroupées par la nouvelle Complémentaire Santé Solidaire

Par ailleurs, il existe des données officielles sur le non-recours à la prime d’activité, prestation qui permet aux travailleurs à ressources modestes d’obtenir une prime mensuelle pour améliorer leurs revenus.

La Direction Générale de la Cohésion Sociale a publié en 2017 un rapport d’évaluation de la prime d’activité. Cette étude, disponible ici, fait apparaître le taux de non-recours estimé (dans les pages 18 et 19) :

 

 

      • Prime activité :  27% de non-recours

 

 

Bien qu’il ne soit pas aujourd’hui possible d’évaluer le non-recours sur les plus de 300 dispositifs d’aide sociale existants, les quelques estimations ci-dessous glanées à l’aide d’études réalisées par des organismes compétents permettent de se faire une idée de l’ampleur du phénomène.

 

 

      • APA-D (allocation personnalisée à l’Autonomie à domicile) entre 20 et 28% de non-recours en 2016, selon le rapport de la DREES.
      • Chèque énergie 20% de non recours lors des années d’expérimentation entre 2015 et 2017, essentiellement dans le département du Pas de Calais (lire l’article). Depuis le 01 janvier 2018, cette nouvelle tarification sociale de l’énergie s’est généralisée. Le non-recours au chèque énergie peut paraître étonnant compte tenu de son attribution automatique. Néanmoins il existe des problèmes de réception et de bonne compréhension de son fonctionnement qui génère un taux de non-recours important.
      • Allocations familiales :  le dernier rapport du Secours Catholique pour l’année 2018 (p42) constate une baisse de l’accès aux allocations familiales. Pour le démontrer, le rapport s’appuie sur une comparaison entre les années 2010 et 2017 et concernant les familles avec 2 enfants accueillies par le Secours Catholique. Celle-ci  fait apparaître une baisse de 5% (83% de ces familles percevaient les allocations familiales en 2010 et seulement 78% en 2017).

 

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Une donnée supplémentaire intéressante permet de se rendre compte de l’importance du phénomène de non-recours. Il s’agit des résultats du dispositif mis en place par la CAF : “Les rendez-vous des droits“.

La CAF invite les personnes en situation de précarité et celles en dehors des dispositifs sociaux à faire le point sur leur situation auprès d’un conseiller. Le point est effectué de manière globale et ne concerne pas uniquement les aides de la CAF. Lors de l’année 2016, plus de 250.000 entretiens ont été réalisés. L’étude menée par la DREES sur ce dispositif fait apparaître que 63% des personnes en situation d’accéder à une prestation y parviennent après un entretien ” rendez-vous des droits”.

Malheureusement et bien qu’il faille saluer cette initiative de la CNAF, les rendez-vous des droits demeurent un arbre qui cache la forêt du non recours aux aides de la CAF. Pour bien comprendre, consultez le rapport  vivre en situation de non recours de P.Mazet et H.Revil (chercheurs à l’Odenore). Cette étude se penche sur le non recours dit frictionnel, c’est à dire l’arrêt des versements alors même que la personne reste éligible à l’aide. Cette forme de non recours est très fréquente et se produit notamment en cas d’erreurs ou de retards de déclarations à la CAF.

des milliards d'euros d'aides sociales ne sont pas réclamés

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