
Signalé par Jean-Mau
Par Simon Verdiere 6 août 2025
Dans la bouche de plus en plus de citoyens, mais aussi de certains politiciens, on entend fréquemment que le clivage gauche/droite n’aurait aucune valeur et qu’il servirait simplement à diviser le peuple (contrairement à eux qui chercheraient l’unité). Or, dans les faits, ces concepts correspondent à des réalités aux différences fondamentales, voire indépassables.
Analyse.
S’il y a sans aucun doute plusieurs degrés et courants de gauche et de droite, les deux bords ne défendent pas les mêmes idées. Et bien que certains mouvements sèment
volontairement la confusion au niveau sémantique, penser qu’il ne subsiste aucune nuance entre eux et que notre société ne serait scindée qu’en une classe sociale homogène d’un côté, liguée contre la population d’un seul bloc de l’autre, relèverait d’un véritable contresens historique.
Qu’est-ce que la gauche et la droite ?
Bien sûr, aucun curseur précis ne définit la gauche et la droite et certaines opinions seront perçues différemment selon les positions et les contextes. Pour autant, il existe tout de même de grandes lignes conductrices qui ont forgé l’Histoire de ces idéologies.
« Au commencement, la gauche était donc celle qui s’insurgeait contre les privilèges du Roi alors que la droite voulait les maintenir ».
À l’origine, les concepts sont nés en France au moment de la révolution. Durant une
assemblée constituante, ceux qui souhaitaient attribuer un droit de veto au Roi s’étaient placés à droite du président tandis que ceux qui s’y opposaient s’étaient mis à gauche. Ce positionnement se poursuivra pendant tous ces événements. Au commencement, la gauche était donc celle qui s’insurgeait contre les privilèges du Roi alors que la droite voulait les maintenir.
Et fondamentalement, même si de nombreuses idéologies ont modelé ces courants, le point de vue n’a guère évolué ; d’un côté, la gauche défend la répartition des richesses et lutte contre les inégalités, quand, de l’autre, la droite prend part avant tout pour l’individu et l’ordre établi, consacrant les plus puissants dans leurs statuts actuels.Des valeurs extrêmement différentes
En outre, si la gauche et la droite ont une vision économique radicalement divergente qui structure leurs différences les plus profondes, ce sont pourtant d’autres sujets qui occupent la plupart des débats et de la scène médiatique.
Il faut dire que d’un point de vue social, les idées défendues par la gauche ont de quoi faire consensus au sein de l’immense majorité de la population puisqu’elles représentent des avancées comme la diminution du temps de labeur ; l’augmentation des salaires ou les droits des travailleurs.
Et dans ce domaine, l’argument massue que la droite tente d’imposer dans le débat public est celui de la « voie unique ». Ainsi, laisser l’ordre économique tel qu’il est (et même l’empirer davantage) serait la seule solution possible pour garantir un équilibre et conforter les classes moyennes hautes dans ce statut quo ; et ce que proposerait la gauche ne serait que pure utopie irresponsable, un horizon trop inconnu risquant de mener aux abus et à l’assistanat.
Défendre des intérêts économiques coûte que coûte
Ces dogmes économiques maintenant notre modèle en l’état sont en réalité les garants de la défense de puissants intérêts et de ceux qui les représentent, de Raphaël Glucksmann à Éric Zemmour, en passant par Emmanuel Macron et Marine Le Pen.
Et pour ne pas avoir à évoquer ces questions, la droite dispose de bien d’autres sujets de diversions susceptibles de réellement diviser les Français puisqu’ils concernent une minorité : immigration, racisme, wokisme, islam, délinquance, « assistés », etc.
Là sont les véritables thématiques de discorde, en permanence instrumentalisées pour monter les classes populaires entre elles. En parallèle, ceux qui détiennent l’immense majorité des ressources et des pouvoirs ne sont pas inquiétés.
Des avancées sociales dues à la gauche En outre, il faut noter que les avancées sociales marquantes en France n’ont été possibles que grâce aux mobilisations populaires menées par des mouvements et syndicats de gauche (dans la rue ou dans les urnes).
On peut bien sûr penser à la sécurité sociale, aux congés payés, aux 35 h, ou la retraite à 60 ans. Dans l’autre sens, on doit aux gouvernements de droite des attaques constante contre notre système d’assurance santé, l’augmentation de l’âge de départ à la retraite ou encore des coupes permanentes dans nos services publics.
Un discours simpliste et qui a de quoi séduire
Évidemment, se placer « au-dessus des partis », tel un esprit libre qui ne serait soumis à aucune idéologie, a de quoi séduire un certain nombre d’entre nous. Le Rassemblement National, par exemple, l’a d’ailleurs bien compris en s’extrayant de ce clivage et en utilisant le « bon sens » comme argument.
Et pourtant, comme tous les autres, il défend bel et bien des idées qui peuvent s’identifier sur le champ politique. Ainsi, sur toutes les thématiques, le mouvement est inévitablement situé très à droite. Un positionnement qui concerne aussi les questions économiques, malgré des promesses ambiguës sur le sujet, comme Mr Mondialisation l’expliquait dans un précédent article.
Ainsi, promettre des engagements sociaux pour attirer les électeurs a toujours fait partie des habitudes de l’extrême droite, déjà à l’époque d’Hitler ou Mussolini. Des stratégies qui ont permis à beaucoup d’individus perdus ou malhonnêtes de créer des ponts incongrus entre la gauche et le fascisme.
Tous pourris ?
Ces comportements touchent du doigt l’une des principales clefs du confusionnisme ; le mélange entre les personnes (avec leurs possibles mensonges et trahisons) et les véritables idées politiques.
« Quel meilleur moyen de ne rien changer à notre société que de faire croire que tous les politiciens seraient « tous pourris » ? »
Et ces mélanges sémantiques sont d’ailleurs entretenus depuis longtemps par les partisans de l’ordre établi. Quel meilleur moyen de ne rien changer à notre société que de faire croire à un maximum de gens que tous les politiciens pensent et font la même chose et seraient « tous pourris » ?
De faux clivages
De ce fait, en France, le clivage très fin entre le Parti Socialiste et Les Républicains a
longtemps représenté l’opposition gauche/droite dans l’esprit des gens, bien aidés par les médias de masse. Or, les différences réelles entre ces deux mouvements ont semblé se réduire d’année en année, en particulier d’un point de vue économique, avec le quinquennat Hollande comme point d’orgue du phénomène.
Ce « bipartisme » et cette opposition d’apparat qui existent d’ailleurs également aux États-Unis entre Démocrates et Républicains ou au Royaume-Uni entre travaillistes et conservateurs ont pu créer un sentiment légitime de désespoir et d’inutilité. Quel que soit le vainqueur des élections, la politique exercée par l’État restait alors sensiblement la même. La grande trahison
Or, en réalité, si rien ne change vraiment au sein de la sphère politique, ce n’est pas parce que tous les partis sont identiques, mais bien parce que ceux qui arrivent au pouvoir défendent toujours des lignes extrêmement proches, en particulier au niveau social.
Pour le dire autrement, le fait que des individus qui se prétendent de gauche mettent en place des mesures de droite ne démontre pas que cette opposition est fondamentalement factice, mais simplement que ces derniers ne sont pas réellement de gauche en pratique.
Quand François Hollande casse le Code du travail, il ne déroule pas un programme de gauche, il trahit la gauche. Par conséquent, ce n’est pas le clivage qui est défaillant, mais bien nos institutions et leurs représentants.
En effet, sous une 5 e république anti-démocratique, mais également dans de nombreux États du monde, il n’existe aucun moyen d’imposer l’application des idées promises par un candidat. Si quelqu’un qui se prétend de gauche s’engage à taxer les plus riches et ne le fait pas, ce n’est pas une démonstration que gauche et droite sont identiques, mais seulement que cet élu a leurré son électorat.
Le jeu de l’élite
Une sortie de secours dans le hall 6 du parc des expositions de Villepinte lors du meeting de Nicolas Sarkozy. 11 mars 2012.
@Thomas Bartherot et_bartherote/Flickr
De fait, lorsque l’on assure que le clivage gauche/droite ne correspond à rien du tout
et qu’il existe pour diviser les gens, on sert en réalité le discours de la droite elle-même, et en particulier de l’extrême droite populiste. Tous les partis qui ont un jour tenu ce discours défendaient d’ailleurs clairement une politique de droite.
C’était par exemple le cas d’Emmanuel Macron et son « en même temps » prétendant être « ni de gauche ni de droite » ou de Marine Le Pen qui sauvegarde bien les avantages économiques des plus riches et distille des théories extrêmement conservatrices et réactionnaires tout en vantant sa considération des classes les plus pauvres (françaises) ou en temporisant l’image « extrêmiste » de son parti comme de son entourage.
Ce jeu très dangereux brouille les repères et mène certains individus peu éduqués
politiquement à mélanger de nombreux concepts pourtant radicalement opposés.
Dans ce cadre, confondre les idées et ceux qui s’en réclament peut s’avérer très
problématique. Tout comme vouloir absolument faire cohabiter de façon simpliste une vision de l’avenir égalitaire, solidaire et sociale, écologique, voire anticapitaliste, avec un horizon sécuritaire, anti-immigration, méritocrate, voire de privilèges.
Ces processus de nivellement arbitraire ou d’amalgame entre message et messager
font exploser l’abstention, dépolitisent les gens et les conduisent tout simplement à se désintéresser de la vie publique. Un terreau propice à la perpétuation de l’ordre établi puisque pendant ce temps, les classes bourgeoises se mobilisent toujours pour
l’immobilisme.
– Simon Verdière
Photo d’entête : Meeting de François Hollande, Bourget, janvier 2012 ©Benjamin
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