
La reconstitution du Nouveau Front populaire, les Insoumis en moins, s’est esquissée ce week-end avec l’espoir de créer un rapport de force pour accéder à Matignon après le départ annoncé de François Bayrou. Mais l’attelage reste fragile.
Blois (Loir-et-Cher) et Châteaudun (Eure-et-Loir).– « Nous voulons aller à Matignon. La seule chose que nous disons à Emmanuel Macron est la suivante : nommez l’un d’entre nous et nous nous plierons à ce choix. » Samedi 30 août à Blois, où s’achèvent les universités d’été du Parti socialiste (PS), Olivier Faure ne veut pas de friture sur la ligne. Face aux journalistes, le premier secrétaire refuse d’envisager une autre hypothèse qu’un « retour à la raison » du président de la République, après la chute – inéluctable – du gouvernement le 8 septembre.
Reste à savoir quel est le périmètre de ce « nous » candidat à la succession de François Bayrou. Un « nous » uniquement socialiste ? Un « nous » regroupant les forces du Nouveau Front populaire (NFP), mais sans La France insoumise (LFI) ? Un « nous » intégrant tout ou partie dudit « bloc central » ?
Alors qu’en début de semaine, l’annonce du vote de confiance avait créé une très fâcheuse cacophonie au sein d’une gauche qui, depuis des mois, entretient le flou sur le contour de ses alliances, les anciens partenaires de la coalition arrivée en tête aux législatives de 2024, à l’exception de LFI, ont décidé de se reprendre. Et de formuler une requête à Emmanuel Macron : un premier ministre « issu du NFP », sinon rien.
Après avoir surpris son monde, mercredi 27 août, en suggérant qu’il ne fermerait pas la porte au soutien d’un possible gouvernement emmené par l’ex-socialiste Bernard Cazeneuve, le député proche d’Olivier Faure Laurent Baumel se veut désormais plus clair : « Au PS, nous sommes tous sur l’ambition d’envoyer un membre du NFP à Matignon, avec l’idée qu’on sera un gouvernement minoritaire mais qui n’utilisera pas le 49-3, donc ouvert au compromis. »
À Blois, Olivier Faure a tenté, lui aussi, de dissiper les malentendus, traçant autour de ce « nous » un périmètre correspondant grosso modo à celui qui s’était fait jour le 2 juillet, lorsque d’anciens partenaires du NFP s’étaient réunis à Bagneux (Hauts-de-Seine) pour lancer la préparation d’une primaire commune – LFI, le Parti communiste français (PCF) et Place publique en moins. « Quand je dis “nous”, je pars du Front populaire 2027 et on élargit sans confusion », a-t-il expliqué, sans pour autant donner de précisions sur les bornes de cet élargissement. « On veut la cohabitation ! », a de son côté lancé Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes.
Comme un signe que l’unité n’est plus au point mort, François Ruffin, qui avait pourtant prêté serment en 2016 de ne plus jamais voter PS, a fait une apparition aux universités d’été de ses anciens meilleurs ennemis. « C’est la première fois que je viens. Du moins en tant que député, car j’y suis déjà venu comme journaliste, et comme manifestant ! Mais apparemment, pour vous comme pour moi, le changement, c’est maintenant », a-t-il ironisé, dans un clin d’œil au slogan de François Hollande de 2012, devant un amphithéâtre de militant·es et de cadres ravi·es.
L’union, piège à Macron
Après des mois d’hésitations, voilà donc le refrain unitaire de retour, ressuscité par la situation d’urgence et le brouillard qui promet de recouvrir le paysage politique ces prochaines semaines. S’il s’agit, dans l’immédiat, de jouer le bras de fer pour mettre un maximum de pression sur Macron et le forcer à envoyer un représentant de gauche à Matignon, l’union se veut aussi une sorte de bouclier en cas de nouvelles législatives anticipées.
« Macron est capable de tout, surtout du pire, donc on est prêts à tout, à gouverner comme à la dissolution », assure l’ancien député communiste Sébastien Jumel, aujourd’hui membre de l’équipe rapprochée de François Ruffin.
Après Blois, le refrain de l’unité a donc également retenti très fort à Châteaudun, samedi 30 août, tant sur la grande scène que dans les gradins, où frétillaient paradoxalement les drapeaux d’une multitude de petites chapelles – Debout, le parti de François Ruffin ; Génération·s, celui créé par Benoît Hamon ; L’Après de Clémentine Autain et Alexis Corbière…
Sur l’estrade, les odes à l’unité se sont multipliées. « La nomination d’un premier ministre de gauche, je la souhaite, à condition qu’il soit issu des rangs du NFP », a martelé Clémentine Autain, qui ne cache pas ses ambitions pour 2027, avant de fustiger « ceux qui pensent être à eux seuls la solution [et qui] sont des agents de la défaite ». Une référence explicite à Jean-Luc Mélenchon et à Raphaël Glucksmann, qui ne veulent plus entendre parler du « bal masqué où tout le monde fait semblant » de soutenir l’union, selon l’expression du leader insoumis.
« Rêveur celui qui pense qu’un seul peut être la réponse », a appuyé, sous les applaudissements, son ancien camarade insoumis, Alexis Corbière. « Nous sommes unitaires par le plus froid réalisme face à la situation qui vient. La puissance de l’extrême droite est à un niveau jamais atteint depuis 1945. La division, c’est le rêve de Macron et notre cauchemar », a ajouté le député de Montreuil (Seine-Saint-Denis), tout en pointant que l’aspiration à l’union devait déborder les partis. Une ligne partagée par Lucie Castets, qui a rappelé que « l’union n’est pas un slogan, c’est un devoir quand l’extrême droite est aux portes du pouvoir ».

Soucieux d’« ouvrir un horizon », François Ruffin a quant à lui quelque peu forcé son optimisme. Par « chance », a estimé cet autre probable futur candidat à la candidature pour 2027, la bataille culturelle sur le « qui doit payer ? » est déjà remportée : « Cette question, nous y répondons depuis longtemps et, miracle, tous unis. Nous y répondons [aussi] avec les Français qui veulent taxer les grands patrimoines et les grandes fortunes », a lancé le député, appelant ses camarades à se mettre « à côté » du peuple et à accomplir leur « devoir : être des alchimistes ».
Une unité sur le fil
Derrière les slogans et les belles photos de famille, chacun joue néanmoins sa partition et les réflexes hégémoniques ne sont jamais bien loin. C’est ainsi que le PS, sans consulter ses partenaires, a établi son « contre-plan Bayrou », soit une réduction du déficit de 21,7 milliards d’euros en 2026 « soutenable et juste », passant notamment par la taxe Zucman sur les grands patrimoines et la fin des aides inefficaces aux grandes entreprises. Le communiste Stéphane Peu et son homologue présidente du groupe écologiste à l’Assemblée nationale Cyrielle Chatelain n’ont reçu qu’un « appel de courtoisie » de la part de Boris Vallaud, président du groupe PS au Palais-Bourbon, pour présenter son contenu avant qu’il ne sorte dans la presse.
« Nos propositions sont convergentes à gauche », tentait de relativiser samedi la députée Sophie Taillé-Polian, membre du parti Génération.s et soutien de François Ruffin, qui a lui aussi produit un « plan de redressement » préconisant, là encore, l’étalement de la réduction du déficit, une augmentation de la taxation du patrimoine, la mise en œuvre de la taxe Zucman ou la rationalisation des politiques d’aide aux entreprises.
Je ne sais pas ce qu’il adviendra si Macron nous accorde des bougés “moyens”, par exemple, une taxe Zucman à 1 %.
Autre entaille dans la reconstitution du NFP nouvelle version : alors que Les Écologistes – comme les Insoumis – ont refusé l’invitation de François Bayrou à venir le rencontrer à Matignon la semaine prochaine, le PS compte s’y rendre. Ce même samedi, dans une interview à Sud Ouest où il n’a jamais prononcé l’expression de « Nouveau Front populaire », Boris Vallaud a cru bon de préciser – comme si cela n’allait pas de soi – qu’il ne s’agissait pas d’y aller « pour négocier avec François Bayrou »… sans pour autant expliciter l’intérêt politique qu’il voyait à échanger de nouveau avec un premier ministre déjà condamné à la censure.
En outre, un gros point d’interrogation plane sur l’unité interne du PS si Emmanuel Macron tentait une stratégie d’entre-deux : « Autant le PS a été trop loin dans la censure pour ne pas recommencer si on nous ressert un gouvernement conduisant la même politique que les deux derniers, autant je ne sais pas ce qu’il adviendra si Macron nous accorde des bougés “moyens”, par exemple, une taxe Zucman à 1 % [au lieu d’une imposition minimale de 2 % pour les patrimoines dépassant les 100 millions d’euros – ndlr] », convient ainsi un parlementaire socialiste présent à Châteaudun.
Ces partis n’ont pas non plus la même appréciation du mouvement « Bloquons tout » du 10 septembre. Du franc soutien de François Ruffin – « Nous devons être à leurs côtés », a-t-il déclaré à Blois, pensant aussi à la date posée par l’intersyndicale le 18 septembre –, à la prudence d’Olivier Faure – qui n’en a pas fait mention, mais a dit que « le désordre se rit souvent des plus vulnérables », comme pour suggérer qu’il vaudrait mieux sortir rapidement et par la voie institutionnelle de cette crise –, il y a plus que des nuances.
Reste enfin la grande inconnue du comportement de LFI si les unitaires obtenaient de constituer un gouvernement commun, Jean-Luc Mélenchon ayant annoncé que ses troupes « ne soutiendr[aient] aucun autre gouvernement que le [leur] ». De passage à Châteaudun, Marine Tondelier a balayé le problème d’un revers de la main. « Je vois les déclarations de façade et je vois les parlementaires qui ont un petit compte à rebours dans la tête », a glissé la cheffe des Écologistes, ajoutant qu’elle voyait mal les Insoumis « assumer auprès de leurs électeurs de censurer un gouvernement de gauche ».
Il n’en demeure pas moins que les semaines à venir risquent d’être mouvementées du côté des unitaires. Dans les travées du rassemblement de Châteaudun, Benoît Hamon, venu passer une tête, a appelé son camp à ne pas se perdre dans les méandres infinis de la politique-fiction : « La seule échéance qui doit mobiliser la gauche, c’est la présidentielle », a déclaré l’ancien candidat socialiste de 2017, avant d’avertir : « L’hypothèse d’une forme de gouvernement de gauche hyper provisoire ne me semble pas digne qu’on y perde trop de temps. »
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