Loi Duplomb : le Conseil constitutionnel censure le retour des néonicotinoïdes

Les insecticides tueurs d’abeilles ne reviendront pas dans les champs. Cette décision assoit la protection de l’environnement comme principe constitutionnel.

Amélie Poinssot et Lucie Delaporte

  

C’est une décision historique. Jeudi 7 août, le Conseil constitutionnel a censuré une partie de la loi Duplomb, et notamment son article le plus critiqué, qui ouvrait la voie à la réintroduction des néonicotinoïdes, ces insecticides tueurs d’abeilles.

Pour la troisième fois de son histoire, le Conseil constitutionnel fonde sa décision sur la Charte de l’environnement, intégrée depuis 2005 dans la Constitution. Et il le fait de manière très nette. « Le législateur, en permettant de déroger […] à l’interdiction des produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes ou autres substances assimilées, a privé de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé garanti par l’article 1er de la Charte de l’environnement », peut-on lire sous la plume des membres du Conseil constitutionnel.

À la différence d’une précédente décision, en 2020, lorsque le Conseil avait validé une première dérogation à l’interdiction de ces insecticides, il a jugé cette fois-ci que la dérogation n’était pas du tout aussi encadrée : elle était instaurée pour toutes les filières agricoles, sans période déterminée, et pouvait être appliquée pour tous types d’usage et de traitement.

« Ce que le Conseil reproche à la loi, c’est de ne pas avoir ciblé la dérogation, explique Laurent Fonbaustier, professeur de droit public à Paris-Saclay. Avec cette décision, il est rappelé qu’une dérogation relève d’une stricte exception et qu’ici, le législateur a manqué de rigueur et de précision. »

Illustration 1
Le Conseil constitutionnel, le 20 mai 2025. © Photo Henrique Campos / Hans Luca via AFP

La conclusion des sages est un camouflet pour tous les défenseurs de ces insecticides aux effets avérés sur les écosystèmes et la santé humaine, gouvernement en tête, qui avaient validé, par la voix de la ministre de l’agriculture, Annie Genevard, le retour de ces produits interdits en France depuis 2018. Mais c’est aussi un échec majuscule pour tous les parlementaires, du bloc central jusqu’au Rassemblement national en passant par le parti Les Républicains, qui ont voté pour le retour de ces substances, ainsi que pour les syndicats agricoles qui les défendaient sans nuance, FNSEA et Coordination rurale.

Si sa décision se fonde sur le droit, le Conseil constitutionnel se trouvait sous une pression inédite. La pétition contre la loi Duplomb, lancée le 10 juillet pour l’abrogation du texte, a recueilli plus de 2,1 millions de signatures, révélant une société profondément inquiète face aux menaces qui pèsent sur sa santé et la biodiversité. Le monde de la science et celui de la médecine avaient également vivement alerté contre les dangers que faisaient courir cette loi.

« C’est une belle décision, souligne le constitutionnaliste Dominique Rousseau. Elle rappelle la valeur constitutionnelle de tous les articles de la Charte de l’environnement, et notamment les principes de précaution et de prévention. Cela envoie un signal clair au législateur : des censures sont possibles sur de prochains textes. »

Tout n’est pas censuré

Le Conseil constitutionnel a toutefois laissé passer d’autres reculs environnementaux que contenait le texte, tout en exprimant quelques réserves.

L’article 5 de la proposition de loi, destiné à faciliter la construction de mégabassines, suscite ainsi des « réserves d’interprétation » de la part des sages. D’une part, les prélèvements d’eau pour ces stockages ne peuvent se faire dans les nappes dites « inertielles », c’est-à-dire les nappes souterraines longues à se recharger ou à se vider ; d’autre part, la « raison impérative d’intérêt général majeur » inscrite dans le texte pour ces projets peut être contestée devant les tribunaux.

« Avec cette réserve d’interprétation, la présomption d’intérêt général est vidée de son venin, estime Dominique Rousseau. Car elle ne peut plus empêcher les recours contre les projets de bassines, alors que c’était précisément l’objectif. C’est une réserve qui équivaut à une censure. »

L’article 3 en revanche, qui facilite la construction de bâtiments d’élevage intensif et était également très décrié par les associations environnementales, « ne méconnaît pas » la Charte de l’environnement et est déclaré « conforme à la Constitution ». À l’exception de l’article 8, considéré comme un « cavalier législatif » – c’est-à-dire sans rapport avec l’objet initial –, tous les autres sont maintenus.

Dans ses explications, le Conseil reprend pour partie les arguments avancés par les trois saisines qui avaient été déposées, par trois groupes parlementaires de gauche et d’écologistes. La censure de l’article 2 repose ainsi principalement sur l’article 1er de la Charte de l’environnement, selon lequel « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » et sur lequel les trois saisines déposées s’étaient également beaucoup appuyées.

« Les décisions de 2023 sur l’enfouissement des déchets nucléaires, et de mars dernier sur la loi d’orientation agricole, avaient préparé le terrain, rappelle Laurent Fonbaustier. L’article 1er de la Charte de l’environnement, notamment, avait été étendu aux générations futures, et c’est ce que l’on retrouve aujourd’hui sur la loi Duplomb. »

« Cette décision montre que le Conseil porte un regard très vigilant sur la prise en compte de l’article 1er de la Charte de l’environnementEt en censurant un article qui revenait en arrière sur le droit en vigueur, il fait un petit pas vers la reconnaissance de la valeur constitutionnelle du principe de non-régression en matière environnementale », note de son côté le professeur de droit public Jean-Philippe Derosier, qui avait supervisé la saisine venue de la gauche du Sénat.

Ces dernières semaines, la question se posait de savoir si l’institution présidée depuis février par Richard Ferrand pourrait rejeter le texte pour des raisons environnementales, au-delà de la procédure controversée par laquelle il a été adopté par le Parlement. La réponse est donc oui, et elle ancre sa jurisprudence : la protection de l’environnement se voit confirmée comme un principe constitutionnel.

Outre sa portée juridique, la décision du Conseil constitutionnel offre une porte de sortie politique à un texte qui était devenu bien embarrassant pour l’exécutif. Jeudi soir, l’Élysée a annoncé qu’Emmanuel Macron allait promulguer « dans les meilleurs délais » la loi ainsi révisée.

Ce champ est nécessaire.

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*