
La présidente du groupe insoumis à l’Assemblée considère la chute annoncée de François Bayrou comme « un formidable encouragement à l’action » pour le 10 septembre. Elle espère un retour aux urnes dans la foulée, par des législatives, voire une présidentielle anticipée.
Mettre la pression au maximum sur Emmanuel Macron. Telle est la stratégie de La France insoumise (LFI) en cette rentrée percutée par l’annonce de François Bayrou d’un vote de confiance à l’Assemblée nationale le 8 septembre. Le premier ministre étant quasi assuré de le perdre, la présidente du groupe LFI, Mathilde Panot, appelle d’autant plus à la mobilisation du 10 septembre pour éviter la reconduction d’un « Bayrou bis ».
Dans un entretien à Mediapart, la députée du Val-de-Marne annonce qu’en cas de dissolution, les Insoumis proposeront « des candidatures uniques avec toutes celles et ceux qui ont voulu censurer la politique de Macron et qui sont restés fidèles au programme du Nouveau Front populaire ».
Mediapart : De toute évidence, François Bayrou n’aura pas la confiance le 8 septembre. Quelle issue politique voyez-vous à son départ ?
Mathilde Panot : La crise qui était contenue depuis le non-respect du résultat des élections législatives anticipées est en train d’éclater. François Bayrou a compris qu’il allait tomber le 23 septembre quand nous allions déposer notre motion de censure. Il choisit donc sa date de départ. C’est une motion d’autocensure. Je crois que cela va donner une respiration démocratique au pays, et c’est surtout un formidable encouragement à l’action. Avant même le 10 septembre, ils vont avoir réussi à faire tomber un gouvernement, pour la deuxième fois en un an !
« Ils », ce sont les personnes qui prévoient de participer au 10 septembre ?
C’est la mobilisation populaire et la mobilisation politique, évidemment. Pourquoi François Bayrou fait-il ça le 8 septembre ? Parce qu’il a eu peur du 10 septembre : un mouvement auto-organisé, que La France insoumise a décidé de soutenir, et qui s’est élargi à la CGT ArcelorMittal, à Sud Rail et à de nombreuses unions locales syndicales, ainsi qu’à tous les anciens partenaires du Nouveau Front populaire, qui ont annoncé le soutenir à notre suite.
En Martinique, les manifestations contre la vie chère durent depuis un an, avec une nouvelle date de mobilisation le 1er septembre contre la « profitation », et elles s’inscrivent désormais dans le 10 septembre. Avant même d’avoir commencé, cette mobilisation populaire a obtenu une première victoire : la tête du gouvernement Bayrou.
Je vois déjà fleurir le slogan : “Le 8 septembre, on fait chuter Bayrou. Le 10 septembre, on fait tomber Macron.” C’est cela qui est en jeu.
Pour éviter un Bayrou bis, allez-vous pousser quelqu’un pour Matignon ?
Nous n’en sommes plus là. Pendant plus d’un an, le président a refusé de nommer la force qui était arrivée en tête aux élections législatives anticipées, c’est-à-dire nous. La question qui est maintenant posée, après le 8 septembre, c’est celle du départ de Macron. Puisqu’il refuse de respecter la démocratie, nous allons redéposer une motion de destitution contre le président de la République. Je vois déjà fleurir le slogan : « Le 8 septembre, on fait chuter Bayrou. Le 10 septembre, on fait tomber Macron. » C’est cela qui est en jeu.
Quand allez-vous déposer une nouvelle procédure de destitution contre le chef de l’État ? Et a-t-elle plus de chances de passer les filtres institutionnels que la précédente ?
Nous déposerons cette motion le plus rapidement possible. La dernière fois, nous avions eu un vote en conférence des présidents pour pouvoir l’inscrire à l’ordre du jour de l’hémicycle, ce qui aurait permis une discussion devant l’ensemble des députés sur la manière dont Emmanuel Macron vole le résultat des élections. C’est Marine Le Pen qui, par son vote, a refusé et empêché que nous discutions de la destitution.
Cette fois-ci, la pression sera maximale sur l’ensemble des présidents de groupe. Ça servira de clarification politique, en particulier pour le groupe Rassemblement national (RN), qui – je le rappelle – est responsable du fait que Bayrou ait pu annoncer son budget : le RN a refusé par huit fois de voter la censure contre François Bayrou. Ils sont l’assurance-vie du système.
Le mouvement « Bloquons tout » va arriver deux jours après la chute de Bayrou. Cette mobilisation n’arrive-t-elle pas trop tard ?
Au contraire. Cette mobilisation part d’une énorme colère après les annonces de mesures d’austérité de Bayrou. Emmanuel Macron et ses gouvernements présentent au peuple l’addition d’une politique qui a été menée depuis huit ans, et dont François Bayrou lui-même a étrillé le bilan lors de sa conférence de presse – car ce sont leurs politiques qui sont responsables de la situation absolument catastrophique qu’il a décrite. Et que propose-t-il ? de persévérer dans cette politique qui a mené au désastre. Il faut donc que la mobilisation du 10 septembre continue, s’amplifie pour dire que nous n’en voulons plus. Nous voulons qu’on respecte la souveraineté du peuple. En France, ce n’est pas le roi qui change de peuple, c’est le peuple qui renverse le roi.
Le suicide politique apparent de François Bayrou peut cacher une tactique politique : celle de provoquer une crise sur les marchés financiers pour mettre la pression sur les forces les plus modérées du PS en les appelant à la « responsabilité »…
Ils veulent gouverner par la peur, c’est une évidence, il n’y a qu’à écouter le discours qu’a fait François Bayrou. Mais on ne peut pas rester dans une situation où on change de gouvernement tous les trois mois, permettant aux marchés financiers de faire pression sur la France. La solution, c’est le retour aux urnes, que ce soit par des législatives anticipées ou par une présidentielle anticipée.
En cas de législatives anticipées, est-ce que vous souhaitez refaire le Nouveau Front populaire ?
La première chose à tirer au clair, c’est qu’il n’y a qu’une gauche de rupture qui puisse battre l’extrême droite. L’élection de Trump aux États-Unis et la défaite cuisante de Kamala Harris l’ont démontré. Quand vous avez une gauche qui n’assume pas d’être de gauche, c’est-à-dire qui n’assume pas la rupture avec le modèle de production et de consommation, qui fait pire que de ne rien dire face au premier génocide filmé en direct de toute l’histoire de l’humanité, qui continue d’armer un régime génocidaire, celui de Nétanyahou, c’est l’extrême droite qui l’emporte.
Nous ne recommencerons pas avec ceux qui, une fois élus, font passer le programme par la fenêtre.
La deuxième chose, c’est que nous proposerons des candidatures uniques avec toutes celles et ceux qui ont voulu censurer la politique de Macron et qui sont restés fidèles au programme du Nouveau Front populaire. Nous ne recommencerons pas avec ceux qui, une fois élus, font passer le programme par la fenêtre. Comment voulez-vous que les gens retournent aux urnes massivement s’ils pensent que leur vote ne sera pas respecté ? Or nous avons besoin de ça pour tourner la page de la Macronie et pour battre l’extrême droite.
Cela veut dire que vous excluez toute alliance avec certaines personnalités issues des rangs du Parti socialiste ?
Cela veut dire que nous ne ferons pas alliance avec celles et ceux qui rendent aujourd’hui le Parti socialiste détestable, c’est-à-dire par exemple François Hollande. Une des choses qui ont amené massivement les gens aux urnes en 2024, c’était la peur de voir l’extrême droite prendre le pouvoir. Mais les élections ne peuvent pas à chaque fois reposer sur la peur. Nous aspirons à gouverner ce pays, nous sommes des gens sérieux. Cela veut dire que nous ne ferons pas alliance avec des gens qui, par exemple, abandonnent l’abrogation de la retraite à 64 ans ou considèrent qu’on ne peut pas augmenter le Smic.
Après l’annonce de la dissolution, en trois jours, nous avons fait le Nouveau Front populaire en donnant cent circonscriptions aux socialistes. Puis les socialistes ont refusé par six fois de voter la censure. On ne recommencera pas. Il est important d’avoir de la clarté, en politique. Le point non négociable, c’est le programme de rupture et le fait de le respecter.
« Le pays est en danger par le risque du surendettement », a déclaré François Bayrou. Êtes-vous d’accord au moins sur le constat ?
Le problème n’est pas le constat. Nous sommes d’accord pour dire que la France est endettée. Mais quelles en sont les causes ? Depuis qu’il est arrivé au pouvoir, Emmanuel Macron a créé 1 000 milliards de dettes. Macron et ses gouvernements nous ont dépouillés. Face à cela, nous assumons de dire qu’il faut dépenser plus dans la santé, dans l’éducation, dans les salaires, les minima sociaux, dans la bifurcation écologique. C’est ça qui relancera la consommation populaire.
Ce qu’il faut arrêter de produire, ce sont des ultrariches, qui ont fait sécession dans notre pays. On connaissait le séparatisme territorial, désormais on a un séparatisme fiscal, c’est-à-dire des riches qui ne veulent plus contribuer de un centime pour la solidarité nationale, et dont la fortune – pour les cinq cents plus grandes d’entre elles – a été multipliée par deux depuis qu’Emmanuel Macron a été élu. C’est avec ça qu’il faut rompre.
Vous proposerez d’abroger la loi Duplomb dans votre niche parlementaire en novembre. Considérez-vous la mobilisation de cet été comme un point d’appui pour la gauche ?
Deux millions de personnes ont signé une pétition par France Connect : c’est du jamais-vu. Quelque chose de cette mobilisation ne pourra jamais être effacé : le cancer – comme le diabète, comme la maladie de Parkinson, comme les maladies respiratoires chroniques – est une maladie politique. Une prise de conscience populaire à très grande échelle s’est opérée à ce sujet.
Comme sur d’autres sujets – l’amiante, le chlordécone, le glyphosate, les polluants éternels –, on donne des permis de tuer aux multinationales et aux entreprises. C’est ce avec quoi nous voulons rompre, et en effet je pense que c’est quelque chose qu’on a gagné pour la suite. Nous avons obtenu une première victoire avec la censure par le Conseil constitutionnel de la réintroduction de l’acétamipride.
Mais nous voulons abroger la loi tout entière, car c’est le modèle agro-industriel qui est en cause. Quelque chose de très puissant s’est produit quand l’extrême droite et la droite ont rigolé après l’exclamation de Fleur Breteau dans l’hémicycle les accusant d’être des alliés du cancer. La question écologique nous oblige à rompre avec le modèle capitaliste.
Nous n’acceptons pas que l’extrême droite américaine vienne donner des leçons à la France.
Alors que le génocide se poursuit à Gaza, l’ambassadeur américain en France a accusé Emmanuel Macron d’encourager l’antisémitisme en souhaitant reconnaître l’État de Palestine. Comment réagissez-vous ?
Ce n’est pas seulement le président Macron qui est insulté par les paroles de l’ambassadeur, comme d’ailleurs par les paroles de Nétanyahou la semaine dernière : c’est le peuple français dans son entièreté. Nous n’acceptons pas que l’extrême droite américaine vienne donner des leçons à la France en prétendant que la reconnaissance de l’État de Palestine mettrait « en danger la judéité ».
L’extrême droite israélienne, comme l’extrême droite américaine, instrumentalise l’antisémitisme comme une arme diplomatique. C’est extrêmement dangereux. Celui qui met en danger les juifs de France et les juifs du monde aujourd’hui, c’est Nétanyahou lorsqu’il tente de les assimiler à sa politique génocidaire. Nous n’accepterons jamais cela.
Que faire face au génocide ?
Il y a un deux poids deux mesures révoltant dans notre pays, que tout le monde voit et qui affaiblit la voix de la France à l’international. Quand il y a dix-huit trains de sanctions contre Poutine pour avoir violé le droit international en Ukraine, il n’y a toujours aucune sanction contre Nétanyahou. Il faut prendre des sanctions. Il faut aussi reconnaître l’État de Palestine immédiatement, parce que Nétanyahou mène une nouvelle phase du génocide en lançant 60 000 réservistes contre Gaza-ville. Enfin, la France continue de livrer des armes en continu au gouvernement génocidaire de Nétanyahou, comme l’ont montré vos collègues de Disclose. Il faut cesser et suspendre l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël.
Aux Amfis, Jean-Luc Mélenchon a déclaré que le président ukrainien ne « représentait rien », et a estimé qu’une guerre avait été déclarée à la Russie quand la proposition a été faite à l’Ukraine d’intégrer l’Otan et l’Union européenne. N’est-ce pas faire peu de cas du peuple ukrainien qui est en train de résister à Poutine ?
Cela fait plus de trois ans que cette guerre d’agression a été déclenchée par la Russie, et depuis plus de trois ans, des va-t-en-guerre – y compris à gauche, comme Raphaël Glucksmann – ne cessent de nous accuser d’avoir un esprit défaitiste. En réalité, nous avons toujours dit qu’il n’y aurait pas d’issue militaire à cette guerre, mais une issue diplomatique et politique.
C’est ce qui est en train de se passer actuellement, dans les conditions les plus défavorables pour l’Ukraine : Trump et Poutine sont en train d’organiser des négociations qui tantôt excluent les Ukrainiens, tantôt excluent les Européens comme s’ils n’avaient rien à demander comme garanties de sécurité, ce qui est insupportable.
Dès 2016, nous avons demandé une conférence sur les frontières au sein de l’OSCE [Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe – ndlr], car les frontières changent déjà. Traite-t-on cela par la guerre à tout-va, ou essaie-t-on de traiter cela dans le cadre du droit international, avec des solutions politiques et des garanties – par exemple une force sous l’égide de l’ONU en Ukraine ?
Notre but – et c’est pourquoi par exemple nous refusons la primaire –, c’est de parler le plus possible à l’extérieur.
Comprenez-vous que dans ce contexte-là, dire que Zelensky ne représente rien, et ne rien dire du peuple ukrainien qui lutte pour son indépendance, ne semble pas en adéquation avec votre engagement pour le droit international ?
Nous avons toujours dit que nous étions en soutien du peuple ukrainien face à l’invasion russe. Maintenant, pourquoi fait-on aussi peu de cas du droit aux institutions démocratiques des Ukrainiens ? La guerre est une circonstance exceptionnelle, mais il se trouve que pour pouvoir faire en sorte que la paix soit durable, il faut d’abord un cessez-le-feu pour que des élections aient lieu.
Le peuple ukrainien ne peut pas continuer éternellement avec des partis politiques d’opposition et des droits syndicaux restreints. À l’heure actuelle, les États-Unis exigent deux fois le PIB de l’Ukraine sur les matières premières, ce qui veut dire un pays pollué et pillé à jamais. Le territoire ukrainien a droit à ces débats démocratiques.
Jean-Luc Mélenchon a déclaré sur France Inter qu’« un jour ou l’autre » il y aura un gouvernement insoumis en France. Comment comptez-vous y parvenir ?
En faisant revenir le peuple à la politique. Quand les quartiers populaires, les habitants des outre-mer, les militants politiques, syndicaux, associatifs et la jeunesse se rendent massivement aux urnes, nous submergeons nos adversaires. Notre but – et c’est pourquoi, par exemple, nous refusons la primaire –, c’est de parler le plus possible à l’extérieur, d’aller convaincre les gens, de faire un travail de conviction, porte après porte, et de continuer de redonner le goût de la politique. C’est la mission qu’on se donne et qui nous permettra de gagner.
Si cela se produit, vous ferez face à des puissances hostiles. Comment faire en sorte de ne pas être balayés en très peu de temps, comme Syriza en Grèce ?
Je pense que la clé, c’est la mobilisation populaire, qui doit continuer. Le moment où nous arriverons au pouvoir, c’est le moment où il faudra – c’est ce que disait Jean-Luc Mélenchon aussi – plus que jamais être insoumis. En 1936, c’est aussi sur les mouvements de grève que les plus grandes conquêtes se sont appuyées.
Vous n’avez pas accrédité le journaliste du « Monde » Olivier Pérou à vos Amfis, en raison de son livre sur LFI, « La Meute ». Vous savez qu’un parti politique ne peut pas choisir ses journalistes en démocratie. Assumez-vous d’avoir enfreint cette règle ?
Ce n’est pas nous qui avons enfreint une règle, c’est M. Pérou, qui ne respecte pas la déontologie du métier. Ce livre est parsemé de contre-vérités qui n’ont jamais été vérifiées avec nous, sur lesquelles on ne nous a jamais rien demandé. Je veux que chacun comprenne que s’il y a un système d’accréditation, c’est parce que nous avons le droit de refuser non pas une rédaction, mais un journaliste.
La journaliste du Monde qui nous suit d’habitude, Sandrine Cassini, a été envoyée chez les Écologistes, mais elle aurait été la bienvenue aux Amfis. Mais j’assume de dire que, lorsqu’on s’en prend à nos vies privées, lorsqu’on raconte des mensonges sans contradictoire, nous ne sommes pas d’accord pour continuer à avoir des relations avec ce journaliste.
Nous l’avions dit à la fois à Libération et au Monde. Nous avons proposé à de multiples reprises qu’il y ait un conseil de déontologie des journalistes. Cela a toujours été refusé. Et on se retrouve dans une impasse sur cette question.
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