
Monique est actuellement à Jérusalem et nous raconte..
Un grand merci à elle pour son témoignage.
Amitiés solidaires
Colette
Lettre de Jérusalem,
Cela fait trois semaines que je suis en Palestine, plus précisément à Jérusalem-Est, pour une mission de protection et de témoignage. Notre tâche prioritaire est de veiller à l’accompagnement des élèves qui vont en classes, de visiter régulièrement les différentes communautés bédouines et villageoises menacées par les colons ou qui ont reçu des ordres d’expulsion. Elle est également d’être réactifs aux ordres de démolition afin de documenter les faits très précisément. Nous devons être observateurs tous les vendredis aux checks-points qui contrôlent l’entrée des croyants qui vont prier à la Mosquée Al Aqsa et documenter de manière très précise les violations des droits commis par les forces armées israéliennes.
Jérusalem Est : le plan E1.
Quand je parle de Jérusalem, il s’agit du grand Jerusalem tel qu’il a été défini par la puissance occupante qui s’étend sur 71 km2 et qui englobe les 16 colonies illégales construites depuis 1967 sur le territoire palestinien.
Le sujet central qui mobilise les Palestiniens et les communautés aujourd’hui, c’est le projet E1, qui coupera définitivement la Cisjordanie en deux parties Nord-sud. Approuvé par Israël le 20 août, il s’agit d’un important projet de colonisation dans une zone de la Cisjordanie occupée qui menace la viabilité d’un futur État palestinien.
Israël nourrissait depuis longtemps l’ambition de construire sur cette parcelle d’environ 12 kilomètres carrés, connue sous le nom de E1, à l’est de Jérusalem, mais le projet était bloqué depuis des années en raison de l’opposition internationale. Aujourd’hui, rien n’arrête Netanyahu et son gouvernement d’ultras qui prévoit la construction de quelques 3400 logements afin d’achever la jonction entre les colonies de Pisgat-Ze’ev au Nord-Est de Jérusalem et la colonie de Ma’ale-Adumim à l’est ; une route réservée aux colons rejoindra la vallée du Jourdain. Elle sera interdite aux Palestiniens qui devront prendre une nouvelle route avec des tunnels qui passeront sous les colonies et de nouveaux checks-points. 22 communautés bédouines devront être expulsées (environ 3000 personnes dont 500 enfants).
E1 acte la division de la Cisjordanie occupée en zones isolées et en cantons déconnectés les uns des autres, les transformant en véritables prisons, où les déplacements ne seront possibles qu’en passant par les check-points israéliens, entièrement électroniques et sous la terreur des milices armées des colons. Ces jours-ci, l’armée est en train de placer des portes à toutes les entrées des villes et des village: plus de 1370 en trois mois. Il suffira de fermer ces barrières pour emprisonner toute la population.
De nouvelles cartes d’identité magnétisées, avec tous les renseignements sur la personne, vont être remises aux Palestiniens de ces zones ce qui assurera un fichage parfait.
Ce projet qui se rajoute à tous les plans d’annexion (Israël possède plus de 87% de la superficie de Jérusalem) et de fragmentation du territoire palestinien, dessine une réalité kafkaïenne pour les Palestiniens dont le quotidien est profondément insécurisé et sous contrôle. Partout les avant-postes de colons, constitués de mobilhomes se démultiplient de jour en jour.
Des villes entières sont encerclées par les colonies, les routes, le mur, les check-points, les portes qui leur rendent le quotidien impossible.
15 000 personnes se retrouvent quasi sans identité, car elles se trouvent en dehors de Jérusalem mais également de la Cisjordanie, côté israélien du mur. Des quartiers comme Kufr-Aqab eux, font partie de Jerusalem alors qu’ils se trouvent côté palestinien du mur.
Après le 7 octobre, 623 structures ont été détruites, 274 buildings,129 auto-démolitions par les Palestiniens qui doivent détruire eux-mêmes leurs maisons pour ne pas avoir à payer le bulldozer et les déplacements de l’armée israélienne.
La puissance occupante s’appuie sur la loi pour justifier ces destructions : comme Israël n’accorde pas de permis de construire, à Jérusalem-Est comme en zone C, les Palestiniens pour continuer à se loger quand la famille s’élargit, construisent malgré tout.
Tragédie et résilience des communautés bédouines.
C’est d’ailleurs une pratique courante d’Israël que d’instrumentaliser les lois. Depuis les années 1970, quand le régime israélien a doublé la superficie de Jérusalem, il a aussitôt étatisé les terres et par un tour de passe-passe dont il a le secret, les Bédouins qui vivaient là depuis 1948, après qu’ils fursent expulsés du Neguev-Naqab, sont devenus, selon la loi israélienne, des « colons » vivant illégalement sur leurs terres qui appartiennent désormais à l’Etat d’Israël ; ils sont donc possiblement expulsables. Tout cela en violation du droit international qui considère Jérusalem-Est comme faisant partie des territoires occupés illégalement par Israël. Leur inquiétude est palpable notamment concernant ces nouvelles routes qui devraient les enfermer encore un peu plus.
Nous avons visité régulièrement les villages menacés de Khan El Amar, de Nabi Samuel et de Jamal el Baba. Il est prévu de visiter d’autres villages.
Tous subissent l’effrayante pression des colons et de l’armée qui les protège systématiquement, avec l’angoisse, l’insécurité, les menaces physiques et psychologiques, le vol des troupeaux, la destruction de leur habitat et des biens publics : écoles, jardin d’enfants, mosquées, citernes d’eau…
À ce triste tableau, il faut ajouter leur économie détruite. Comme les colons les empêchent de faire transhumer leurs troupeaux, ils sont obligés d’acheter très cher la nourriture pour leurs bétail. Pour trouver des subsides, ils vendent des bêtes et perdent du capital. Les femmes qui auparavant allaient vendre le lait et les fromages sur les marchés de Jérusalem ont désormais interdiction de faire rentrer dans la ville des produits alimentaires. Pour elles, double peine : perte de revenu et perte du petit peu d’autonomie qu’elles gagnaient par le produit de leur vente.
Dans les villages, c’est le chômage de masse qui frappe les habitants depuis le 7 octobre puisqu’ils ne peuvent plus aller travailler en Israël. Et ils sont interdits d’aller travailler sans permis leurs champs qui sont de l’autre côté du mur ou en zone C.
« Un jour nous serons ce que nous voulons » (M.Darwich)
Dans ces communautés, nous y rencontrons des leaders impressionnants de résilience et de combattivité digne et non violente. Quel contraste entre la persécution subie, cette volonté absolue de les harceler, de les étouffer pour les forcer à quitter leur terre et cette ténacité dont ils font preuve pour s’accrocher à leur terre, quoiqu’il en coûte : le sumud comme ils l’appellent !
Dans cette situation particulièrement difficile, en l’absence de perspectives immédiates, les leaders des communautés ou de la résistance populaire veillent à créer des espaces de sécurité, à aider les jeunes à se procurer des revenus, à offrir des cartables pour que les enfants aillent à l’école, à créer de la vie par l’art ou la musique…En résumé, créer de l’espoir.
C’est aussi notre rôle d’EA de les accompagner.
Demain, nous allons commencer à rencontrer les femmes des villages mentionnés. Leur vie, dans ce contexte de violence exacerbée, est encore plus difficile.
Arena, au sourire rayonnant, qui vit sur des terres menacées par la colonie d’Efrat dans la région de Bethléem, raconte ses peurs permanentes pour ses enfants. Elle se dit dans « la mâchoire du monstre ». La nuit des drones prennent des photos. Un jour qu’elle travaillait dans ses vignes, elle a été suivie par un drone muni d’une arme. Jusque dans les toilettes, ils peuvent filmer. « Nous sommes en permanence sous leur regard. Moi je veux bien vivre avec eux mais pas comme ça. Vivre en paix, avec les mêmes droits! ».
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