Attaque de drones contre la flottille Global Sumud

Tunis. Il est 1 heure du matin, dans la nuit du lundi 8 au mardi 9 septembre, et les curieux se précipitent vers le port de Sidi Bou Saïd, parfois munis de drapeaux palestiniens. Sur le quai, les membres de la Global Sumud Flotilla témoignent, encore sous le choc. Une attaque par drone a visé l’un de leurs bateaux, un fait qu’ils attestent avec deux témoins oculaires et les vidéos des caméras de surveillance.
Sur les images, on peut voir un jeune homme, Miguel Duarte, 33 ans, militant portugais, sur le pont principal du Family Boat. Il lève les yeux vers le ciel, recule soudainement tandis qu’un objet incendiaire est jeté sur le pont, causant une explosion de petite intensité, suivie d’un incendie. Le feu est rapidement maîtrisé par les membres de l’équipage et les militant·es présent·es sur le bateau.
Sur une vidéo d’une autre caméra de surveillance, qui équipe un navire à proximité, on peut voir la déflagration avec une forte luminosité, des images qui ne s’apparentent pas du tout à un « incendie accidentel, causé par un mégot de cigarette sans doute jeté dans des gilets de sauvetage », comme le voudrait la version donnée par la garde nationale tunisienne et le ministère de l’intérieur. Des communiqués, plus tard dans la nuit, des mêmes autorités ont ajouté qu’aucun drone n’avait été détecté dans le port de Sidi Bou Saïd, dans la banlieue nord de Tunis.
La vingtaine de bateaux de la Global Sumud Flotilla (ṣumūd signifie « résistance » en arabe) est amarrée au port depuis le dimanche 7 septembre. Ils sont arrivés de Barcelone (Espagne) après six jours de navigation, pour partir avec la flottille de Tunis, qui réunit également une vingtaine de bateaux et plus d’une centaine de personnes.
En raison de problèmes logistiques et de mauvaises conditions météorologiques, le départ, prévu le 4 septembre, a été reporté à deux reprises. La flottille devait partir vers Gaza le mercredi 10 septembre, avant cet incident.
Ce convoi de grande ampleur, auquel se joignent aussi des bateaux partis d’Italie, veut briser le blocus israélien de Gaza et apporter de l’aide humanitaire. Depuis une dizaine de jours, la capitale tunisienne vit au rythme des arrivées des délégations internationales, africaines et arabes qui vont prendre part à la flottille, dans une ambiance bon enfant un peu similaire à celle du Forum social mondial. Tous les participant·es ont cependant suivi des formations aux premiers secours et à la gestion d’une arrestation violente, un climat qui témoigne aussi de la gravité de leur mission.
« C’est à cause de la complicité des gouvernements européens qui permettent le génocide à Gaza que de tels mouvements citoyens sont forcés de se mettre en place. Nous crions tous actuellement dans nos slogans “Free, Free Palestine”, mais nous devrions crier aussi “Free, Free Europe”, car c’est ce continent qui est sous le joug de ceux qui commettent des crimes à Gaza », commente Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l’ONU, lors d’une conférence de presse tenue mardi.
Alors que les autorités tunisiennes ont ouvert une enquête sur l’attaque, plusieurs membres de la flottille ont tenu à répéter leur version des faits, mardi, même si les organisateurs tunisiens appellent à respecter la procédure de l’enquête au nom de la « sécurité nationale ».
« J’ai vraiment vu un drone, je n’ai aucun doute là-dessus », insiste Miguel Duarte, le militant portugais présent sur le pont. « Il était minuit, j’ai d’abord entendu un bruit bizarre, j’ai levé la tête et j’ai vu un drone voler à environ 4 mètres au-dessus de moi. J’ai appelé un collègue, le drone a fait un mouvement de recul puis il a lâché comme une mini-bombe de feu sur le pont et une explosion a suivi », affirme-t-il.
Pour l’eurodéputée Rima Hassan (La France insoumise, LFI), cette « attaque ciblée », qui visait le bateau sur lequel elle navigue avec la militante écologiste Greta Thunberg, reste « contre-productive ». « Cela va d’autant plus nous encourager à rassembler des soutiens autour de nous, à ramener d’autres bateaux et à partir vers Gaza comme nous le souhaitons demain », dit-elle en marge de la conférence de presse.
Elle attend les résultats d’une enquête approfondie, réclamée aussi par le chef de la diplomatie belge, Maxime Prévot, qui a posté un message sur le réseau social X : « La Belgique reste attentive à l’évolution de la situation concernant la flottille Global Sumud. Nous soulignons l’importance d’une enquête complète et transparente sur l’incident de Tunis et appelons à garantir la sécurité de tous les membres de l’équipage. »
Selon plusieurs militant·es, si les autorités tunisiennes restent prudentes dans leurs versions des faits, c’est en partie pour apaiser une situation déjà tendue, avec la présence en Tunisie de personnes de 47 nationalités pour partir vers Gaza, et la crainte de ce que pourrait signifier une telle attaque en matière d’atteinte à la souveraineté.
« Je pense que les autorités ne sont pas dupes mais là, l’idée est de garantir que le départ se fasse dans de bonnes conditions, et donc de temporiser », explique une militante sous couvert d’anonymat. Mais plusieurs défenseurs du pouvoir ont déjà enclenché la machine de propagande.
Dans le contexte actuel en Tunisie, où l’opposition dénonce une dérive autoritaire du pouvoir, de nombreux thuriféraires du régime n’hésitent pas à relayer de fausses théories sur les réseaux sociaux pour appuyer la version officielle. Certains parlent d’un « barbecue alcoolisé » qui aurait mal tourné. La flottille, tout comme la caravane de 1 200 personnes partie de Tunis vers Gaza, en passant par la Libye en juin, n’a reçu aucun soutien officiel des autorités tunisiennes ou du président Kaïs Saïed.
Les organisateurs tunisiens disent que les autorités les appuient implicitement en facilitant les procédures pour le départ de la flottille ou pour l’accueil des délégations étrangères, mais sur le plan politique, le mouvement reste entièrement citoyen, malgré le soutien intransigeant de Kaïs Saïed aux Palestinien·nes.
L’attaque n’a pas découragé les efforts pour prendre le large mercredi 10, selon Marie Mesmeur, députée LFI, qui va embarquer sur la flottille. « Le monde qu’il y avait au port de Sidi Bou Saïd dans la nuit de lundi à mardi, après l’attaque, témoigne de la détermination des Tunisiens et de nous tous à soutenir le départ de cette flottille quoi qu’il arrive, dans un contexte où le gouvernement israélien est de plus en plus fébrile et acculé. On le voit avec les frappes sur Doha aujourd’hui, l’amplification de celles sur Gaza ces trois derniers jours. Il y a un soulèvement mondial et populaire qui est en train de faire perdre définitivement à Israël la bataille morale », explique-t-elle, ajoutant que l’urgence est désormais de partir le plus vite possible pour apporter de l’aide humanitaire à Gaza.
La flottille de cinq bateaux partie dimanche de Gênes et La Spezia, en Italie, transporte environ 300 tonnes de denrées et de médicaments. Celle de Tunis va également naviguer avec plusieurs tonnes de médicaments, affaires pour bébés et gilets de sauvetage accumulés ces derniers jours à Tunis, où beaucoup de Tunisien·nes ont apporté des dons dans le local de l’Action commune pour la Palestine, qui organise la flottille coté tunisien.
Lilia Blaise
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