
UN EFFET INDIRECT DE LA MONTEE DE LA GREVE GENERALE POLITIQUE
A l’annonce de la condamnation à la prison de Nicolas Sarkozy, la rage de la droite, de l’extrême-droite et plus généralement de tous les tenants de l’ordre bourgeois étalée partout dans la presse a été à la hauteur de l’immense joie partagée en même temps très largement dans les milieux populaires sur les réseaux sociaux. De plus, la nouvelle a fait la « Une » de bien des journaux du monde, avec les mêmes effets contradictoires chez les riches et chez les pauvres partout sur la planète, réveillant chez beaucoup de lointains échos de la décapitation de Louis XVI.
Il s’est en effet passé quelque chose qui dépasse le sort personnel de Sarkozy mais qui tien de nos mobilisations actuelles, ici et dans le monde.
Cette condamnation d’un ancien président est une première historique qui s’inscrit dans un mouvement général sur la planète qui précède cette condamnation mais qui la rend beaucoup plus visible et amène à s’interroger sur ce qui se passe.
Déjà, le président de la Corée du Sud a été incarcéré après sa tentative de coup d’Etat raté de l’automne dernier et risque la prison à vie voire la peine de mort. L’ex-président brésilien Bolsonaro a été condamné il y a deux semaines par la Justice à 27 ans de prison pour sa tentative de coup d’Etat. Cela pourrait passer pour des hasards, des concours de circonstances dans des Etats qui n’ont pas de rôle central pour la démocratie occidentale. Mais il y a aussi Netanyahou, qui malgré sa guerre sans fin, ses massacres, son génocide contre les palestiniens et son coup d’Etat permanent à cette occasion contre ce qui reste de démocratie en Israël et l’inaction du législatif face à cela, est cependant traîné devant les tribunaux où il doit répondre de l’accusation de corruption en même temps qu’une enquête judiciaire continue contre lui pour le soupçon de son implication dans le financement du Hamas voire de l’attentat du 7 octobre. Et puis, il y a encore les juges américains qui s’opposant à Trump et son exécutif, annulent ou remettent en cause une grande partie de ses décrets autoritaires, limitant ses ambitions au pouvoir absolu bien plus que ne le fait le législatif qui a pour sa part, jeté l’éponge. Après l’inéligibilité de Marine Le Pen, la décision de mettre Sarkozy en prison – qui ne nous y trompons pas, est un avertissement pour Macron et ses multiples passages en force contre la démocratie -, vient lier tous ces faits et les éclairer d’un sens général : à un moment où un des piliers de la démocratie bourgeoise, l’exécutif qui est directement aux mains de milliardaires réactionnaires comme aux USA ou indirectement comme en France, glisse vers un régime autoritaire et que le second pilier, le législatif laisse faire, tandis que le quatrième pouvoir, la presse, passe aux mains des milliardaires fascisants, le troisième pouvoir, le Judiciaire, se rebiffe, fait plus que de la résistance et montre ainsi les divisions dans les sommets de l’ordre bourgeois, tentant pour sa part de redorer l’autorité déclinante de la démocratie bourgeoise. Mais pourquoi maintenant alors que le pouvoir judiciaire n’avait guère montré un tel souci de l’état de droit dans le passé récent ?
Pour comprendre, il faut remarquer que ces décisions judiciaires ne se font pas seules, indépendamment du contexte social. Elles sont toutes accompagnées et plus souvent précédées, par de très fortes résistances populaires et politiques de la société civile contre les dérives autoritaires, se mêlant fréquemment aux combats sociaux traditionnels du prolétariat, faisant de l’ensemble un mouvement général où les classes populaires tentent de monter sur la scène politique contre des présidents autoritaires mais aussi contre leur monde, cherchant à offrir comme avenir à la société autre chose que la guerre douanière, commerciale, économique et militaire et la destruction de la planète qu’annonce l’instauration des régimes dictatoriaux, mais au contraire une société de paix, sans frontières, ni oppression ou exploitation.
La chute du président sud-coréen, avant ses ennuis judiciaires, a été amené par un immense soulèvement de la population du pays. Au Brésil, la tentative de l’appareil militaire et des partisans de Bolsonaro de contester sa condamnation par un coup d’Etat, a été balayé il y a quelques jours par une mobilisation de rue colossale – ce qui donne une idée de ce qui pourrait mijoter en France au cas d’une grâce présidentielle pour Sarkozy ou d’une non condamnation de Marine Le Pen en appel – car le climat politique est en train de changer avec des possibilités de basculement des rapports de force généraux, même si on ne le perçoit pas toujours clairement et si ce changement n’est pas encore abouti. Mais ceux qui envoient Sarkozy en prison le mesurent bien.
En Israël, bien que la presse française n’en dise pas un mot, il y a un mouvement populaire massif quasi quotidien contre la guerre, Netanhyaou et sa destruction de ce qui reste de démocratie. Un mouvement qui prolonge fondamentalement la résistance immensément courageuse, non du Hamas mais du peuple palestinien lui-même sous les bombes. Le mouvement populaire israélien qui dure depuis des mois et des mois, évolue, se radicalise, commençant à effacer lentement des décennies d’esprit colonial malgré l’univers parallèle où il n’y a pas de massacre à Gaza dans lequel la majorité de la presse israélienne fait vivre la population. L’évolution de ce mouvement laisse une place grandissante à des mobilisations contre le génocide à Gaza aux côtés de palestiniens israéliens, du jamais vu, ouvrant la porte à des solutions régionales par en bas mettant en danger aussi bien le régime israélien que les régimes dictatoriaux arabes eux-mêmes, menaçant l’ordre capitaliste régional et son exploitation du pétrole. Et plus que cela, à travers la mobilisation mondiale contre le génocide à Gaza, c’est la classe ouvrière mondiale qui s’invite à nouveau par ce biais sur la scène politique. Cela se manifeste en Italie par exemple avec des drapeaux palestiniens permanents partout même dans les plus petits villages, l’occupation illimitée de 100 places de grandes villes, et surtout avec les mobilisations massives en Italie les 18 et 22 septembre qui ont passé un niveau qualitatif par le nombre des personnes mobilisées mais aussi par ce qu’elles sont menées avec le plus de succès pour la seconde journée du 22 septembre par des syndicats d’extrême-gauche ouvrant à ces derniers une dimension politique nationale d’envergure qu’ils n’ont jamais atteint de leur existence. Cette montée de la classe ouvrière sur la scène politique se manifeste aussi à travers les grèves des dockers italiens, comme d’autres dans le monde, qui agissent concrètement eux, contrairement aux gouvernements du monde qui bavardent, en bloquant des bateaux transportant du matériel de guerre en Israël, et qui à travers ces blocages relancent le combat politico-économique contre les limitations du droit de grève par le gouvernement d’extrême-droite en Italie, montrant par là-même que l’extrême-droite, même au pouvoir, peut être battue et n’est pas un moyen suffisant pour écraser le monde du travail et la démocratie. Ce faisant, le mouvement social italien force les grandes centrales syndicales italiennes, sous la pression de la base, à menacer d’une grève générale si la flottille qui avance vers Gaza est arraisonnée par les israéliens et les dockers initient dans le cours de ce mouvement contre le génocide, les germes d’une nouvelle internationale des prolétaires avec une première rencontre internationale des dockers contre la guerre, les 26 et 27 septembre, à Gênes.
Pour bien comprendre la condamnation de Sarkozy, il faut la penser en ayant à l’esprit ce mouvement en Italie, parce qu’il pourrait être d’une même ampleur demain en France, éliminant alors de ce fait la menace que l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite pourrait faire peser sur les acquis sociaux et les droits démocratiques, car, on l’a déjà remarqué, le RN disparaît quand la classe ouvrière se manifeste dans la rue, mais même au pouvoir, comme le montre l’Italie, il pourrait être balayé par un mouvement populaire, et il n’y aurait alors ni racisme ni personne pour défendre l’ordre bourgeois. Ce qui est le problème des possédants et qui se manifeste par la résistance de l’appareil judiciaire. Ils veulent préserver le système en se donnant d’autres solutions que le RN.
Car il y a encore plus fort, ce qui se passe aux USA. On assiste probablement au réveil d’un géant, le réveil des classes populaires américaines. Tous les signes montrent que c’est en cours. Il y a l’effondrement électoral des républicains dans les sondages et dans les élections partielles où la tendance est autour de 70% des voix pour les démocrates et 30% pour les républicains, c’est-à-dire une quasi disparition du parti Républicain, et de sa droite dure trumpiste, du paysage politique aux élections de mi-mandat en 2026, si elles ont lieu. Mais le plus important s’est probablement passé ces dernières semaines. Constatant l’écroulement de son autorité et son prestige ces derniers semaines, notamment avec l’affaire Epstein qui a porté l’estocade, Trump a tenté le tout pour le tout. Utilisant la mort de C. Kirk, il a tenté de s’attaquer à la liberté d’expression, cherchant à faire licencier nombre de ceux qui se sont réjouis de sa mort, testant même la possibilité d’interdire toute critique à son égard et même l’humour contre lui. Ça a été certainement la goute d’eau de trop. Il a obtenu le licenciement de l’humoriste J. Kimmel par la chaine ABC, propriété de Disney. Mais en seulement trois jours, 250 000 abonnés résiliaient leurs abonnements à Disney, faisant que la chaine ABC rétablissait J. Kimmel à son poste sans donner les excuses qu’on lui demandait et au contraire, dès sa première reprise d’émission, alignait Trump et passait d’une audience moyenne de 240 000 téléspectateurs à 7,5 millions et probablement bien plus encore ensuite au fur et à mesure que les différentes 70 TV du groupe propriétaire rétablissaient la diffusion de son émission. En même temps, les organisateurs de la marche « No king » (pas de roi) qui avait déjà réuni 13 millions de manifestants le 14 juin contre Trump, annonçaient qu’ils étaient en train de battre des records historiques d’inscriptions pour la future marche de protestation du 18 octobre pour dégager Trump tout de suite, bien au-delà des chiffres déjà atteints le 14 juin. Trump es peut-être en train de réveiller la révolution américaine par ses mesures autoritaires. La bourgeoisie américaine s’inquiète et celle du monde aussi. On imagine facilement l’impact mondial que pourrait avoir un tel éveil.
En France, la situation n’est pas aussi critique qu’en Italie, Israël ou aux USA, mais la logique des mouvements actuels est la même, car elle est mondiale. La mobilisation du 10 septembre appartient à ce même mouvement mondial de ceux d’en bas contre la dérive autoritaire des régimes. Il a obligé les directions syndicales engluées dans le système à la mobilisation contrefeu du 18 septembre et maintenant du 2 octobre pour tenter de reprendre les choses en main afin de stopper la mobilisation sociale. Mais ce n’est pas fini, loin de là. C’est pourquoi Laurent Brun, numéro 2 de la CGT, fait tout ce qu’il peut en expliquant sur sa page Facebook le fond de l’affaire, à savoir qu’il faut absolument ramener la classe ouvrière vers les seules revendications économiques et donc derrière l’intersyndicale qui ne veut rien faire. Il ne faut surtout pas, selon lui, exiger que Macron soit amené à dégager par la pression populaire, mais maintenir la séparation entre l’économique et le politique, c’est-à-dire maintenir une politique de dialogue social alors qu’il n’y a plus qu’un monologue patronal et une bourgeoise à l’offensive qui essaie de détruire acquis sociaux et démocratiques qui sont inextricablement liés. Ce maintien de la classe ouvrière dans les bornes du combat économique est en effet la condition de la survie de la bureaucratie syndicale. Mais c’est aussi ce qui permet la survie du système d’exploitation capitaliste, comme si aujourd’hui on pouvait séparer la lutte contre les licenciements massifs, pour des augmentations importantes de salaires, contre la destruction des services publics, des hôpitaux, des écoles, pour la préservation du droit à la retraite et les protections contre la maladie et le chômage et se lever contre la guerre qui vient, sans s’en prendre au gouvernement et au président ! C’est pourquoi, contre le syndicalisme de dialogue social, se lève comme en Italie, un syndicalisme de grève générale qui ne peut être que de grève générale politique, pour faire tomber Macron et son monde.
Par ailleurs, ces colères sociales dans les démocraties se développent sur fond d’incendies révolutionnaires sur la planète qui participent du même combat : la révolution au Népal contre les attaques sur les libertés et l’effondrement du régime en quelques jours avec ce moment népalais prolongé aujourd’hui en Indonésie, aux Philippines, en Assam comme au Ladakh ou à Madagascar, souvent derrière le même étendard et les mêmes combats pour les libertés, illustrent le même moment général. Plus proche de nous, le soulèvement serbe, le plus grand mouvement étudiant en Europe depuis mai 68 qui dure sans discontinuer depuis 11 mois, et qui peut à tout moment se répandre dans toute l’Europe centrale et balkanique et au-delà.
Alors, face à ces menaces, les sommets de la bourgeoisie sont divisés entre continuer la dérive autoritaire à marche forcée aux risques d’explosions révolutionnaires ou faire une pause et redonner un peu de crédit et d’autorité à la démocratie bourgeoise par son système judiciaire. Voilà pourquoi Sarkozy a été condamné. Comprenons bien que ce n’est pas une histoire judicaire, c’est d’abord le résultat de notre force montante, de la mobilisation populaire, en France et dans le monde. Bayrou est tombé du fait de la mobilisation du 10 septembre, Sarkozy va en prison du fait de la mobilisation des classes populaires dans le monde, et c’est la même mobilisation.
Alors prenons conscience de cette naissance de notre force, car en prendre conscience c’est l’amplifier et continuons d’une manière ou d’une autre le mouvement qui a émergé le 10 septembre jusqu’à renverser Macron et son monde
Jacques Chastaing, 28 septembre 2025
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