Le mouvement du 10 a fait tomber Bayrou, reculer Lecornu et va entraîner le 18 à aller au-delà de ce que veulent les directions syndicales. Par Jacques Chastaing.

Par aplutsoc le 14 septembre 2025
Présentation

Nous publions au titre de la discussion cette contribution de Jacques Chastaing

Texte

La France n’a pas été paralysée ce 10 septembre mais il y a eu bien plus que cela. Il s’est passé quelque chose de marquant dans l’histoire des luttes sociales en France, probablement un tournant, dont on ne mesure peut-être pas immédiatement la portée mais qui aura certainement un impact considérable pour l’avenir.

Le 10, sans bloquer totalement le pays, l’a toutefois bloqué suffisamment pour que ce soit d’abord une réussite indéniable avec de 250 à 500 000 participants, suivant les comptages, des blocages dans toutes les villes et plus de 1 000 grèves, plus important donc par cette conjonction de deux mouvements qu’au premier jour des Gilets Jaunes. Mais ce qu’il y a de plus important ne réside pas dans ces chiffres qui font qu’il y a eu des manifestations, des grèves et des actions de blocage partout dans toutes les villes, mais dans le fait que ces chiffres sont le résultat d’une mobilisation par en bas, hors des sentiers institutionnels habituels.

Ainsi, des fractions avancées importantes des classes populaires se sont organisées pour leur émancipation sur les réseaux sociaux puis dans des assemblées générales sans attendre que l’initiative vienne des professionnels du mouvement social. Jusque-là, les classes d’en bas étaient condamnées à attendre que tout vienne d’en haut, c’est-à-dire jamais, puisque que rien ne peut venir d’une intersyndicale dirigée par la CFDT, alors que cette dernière invitait Bayrou à sa réunion de la rentrée 2025 et qu’elle s’oppose depuis longtemps à tout mouvement social un tant soit peu important.

Cette irruption des classes d’en bas, se dirigeant elles-mêmes, montant sur la scène politique est un évènement historique ; en tous cas, on n’en a pas connu de tel depuis 1968.

Il y a bien sûr déjà eu des tentatives de soulever la chape de plomb que fait peser sur les révoltes des pauvres le système politique dit représentatif, depuis ses élections commandées par l’argent en passant pars ses directions de partis, de syndicats, jusqu’à sa police et ses médias. Parmi ces tentatives de débordement récentes, on peut citer depuis 2008 dans différents domaines, le NPA, le LKP, Nuit Debout, le Front Social, Colère, les Gilets Jaunes…mais aucune de ces tentatives n’a réussi avec un tel succès aussi bien pratique que dans l’autodétermination de masse, à associer tout à la fois des objectifs sociaux et politiques, des militants syndicalistes, politiques et hors organisations, des femmes et des hommes, des jeunes et des vieux. Pourtant jamais non plus, un tel mouvement annoncé longtemps à l’avance, n’a eu autant de bâtons dans les roues avec d’abord la tentative de Bayrou de ramener le mouvement vers les jeux institutionnels, puis celle de l’intersyndicale lui opposant la date concurrente du 18 septembre, et puis bien sûr, les attaques de médias et de politiciens, qui dénonçaient tout à la fois ce mouvement comme d’extrême-droite puis d’extrême-gauche et annonçaient tous ensemble un flop inévitable sans oublier les menaces de violence policière débridée de Retailleau.

Rien n’y a fait. L’effet de la rupture de ce mouvement avec les formes anciennes de lutte a été fulgurant : en quelques semaines de préparation et une journée de lutte, des centaines de milliers de personnes se sont formées à agir autrement par elles-mêmes.

Le résultat a été que le mouvement a évité le piège Bayrou et l’a fait tomber sans dévier d’un pouce en ajoutant au contraire la chute de Macron à ses objectifs. La terreur promise par Retailleau ne l’a pas effrayé. Il n’a pas été freiné d’un poil par la date de l’intersyndicale. Au contraire, l’esprit du mouvement du 10 a entraîné la base syndicale à pousser deux directions nationales de syndicats à suivre et puis tous les partis de gauche. Et comme contrairement aux journées traditionnelles syndicales sans suite, personne ne veut s’arrêter au 10, en se mobilisant encore samedi 13 et à partir de là tous les jours jusqu’au 18, même moins nombreux, le mouvement a multiplié et renforcé sa structuration autonome, ses AG, envisageant même de les coordonner nationalement autour du 21 septembre. C’est grâce à cet esprit, grâce à sa continuation de la lutte après le 10 et continuant à peser sur la situation et sur le mouvement ouvrier organisé que le mouvement du 10 vient d’obtenir en plus de la chute de Bayrou, un recul de Lecornu qui vient d’annuler la suppression des deux jours de congés fériés. Mais cela n’arrêtera pas le mouvement. Au contraire, ça l’encouragera à continuer pour obtenir de vrais reculs et qu’ils dégagent tous.

De plus, cette dynamique de mobilisation est en passe de faire que la date du 18 ne sera pas la prise en main du mouvement par l’intersyndicale comme elle le voudrait et donc l’arrêt du mouvement, mais sera au contraire la mainmise du 10 sur le 18, c’est-à-dire un point possible d’élargissement vers quelque chose d’encore plus grand. L’esprit du 10, c’est-à-dire l’abandon des journées saute mouton et la fin de la rupture entre le mouvement syndical et citoyen, la fin de la division entre le social et le politique, les revendications, le mouvement de rue et la chute de Macron, pourrait bien entraîner les participants du 18 au-delà de ce que veut l’intersyndicale.

Déjà les directions syndicales avaient tenté de bloquer la montée du mouvement étudiant par la journée d’action du 13 mai 1968. C’est l’énorme succès de cette journée qui avait entraîné dans les jours qui ont suivi la multiplication des grèves. Passerons-nous du blocage total à la grève générale après le 18 ? Alors poussons par les AG locales et d’usines à une continuation de la grève le 19 et une manifestation nationale à Paris le 20, ou encore une multiplication d’initiatives la semaine suivante autour d’une coordination si elle se crée le 21. De toute façon, le 18 sera vécu par beaucoup comme un pas conscient vers la construction de la grève générale, car c’est ça l’esprit du 10 qui va peser sur le 18. Cet esprit dès le départ dans le mouvement du 10, c’est l’incarnation vivante des leçons tirées du mouvement des Gilets Jaunes et des retraites, partagées aussi bien par le mouvement citoyen que par la base syndicale et cela parce qu’il est associé à la conscience générale de la situation, de la nécessité de faire face à la contre-révolution réactionnaire sociale et démocratique que les riches mènent partout depuis des années, autrement que par des solutions politiques institutionnelles et les sempiternelles journées d’action syndicales, sans plan et sans lendemain.

Le mouvement du 10 septembre, c’est une rupture, c’est la volonté affichée par des masses de gens d’une autre orientation, d’une autre politique ouvrière. C’est un pas important dans la lutte de classe. C’est la classe des prolétaires qui prend peu à peu confiance en elle-même, la classe ouvrière au sens large, qui de classe opprimée et exploitée apprend à se passer de représentants institutionnels et se constitue en classe pour elle-même, en classe politique indépendante, le pire cauchemar des possédants, car ce faisant, elle monte sur la scène politique pas seulement pour stopper le plan Bayrou mais pour changer le monde.

Jacques Chastaing, 14 septembre 2025.

Source : Page Facebook de Jacques Chastaing.

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