 
Des femmes vendent du poisson sur le marché aux poissons de Nouakchott, en Mauritanie, le 14 mars 2012. | Uzabiaga / CC BY-SA 4.0 / Wikimedia Commons
– 26 octobre 2025
Nicolas Méra – Édité par Émile Vaizand –
Les standards de beauté n’ont pas toujours gravité autour des silhouettes évanescentes des mannequins modernes. En Europe, il fut un temps pas si lointain où la corpulence était synonyme d’opulence et donc de désirabilité. Les courbes de la maternité (ventre rond, hanches larges, fesses et poitrine proéminentes) sont en vedette dans l’art préhistorique et jusqu’à la peinture du XVIIIe siècle –signes que ces traits physiques étaient convoités, signalant non seulement un rang social, mais aussi la capacité à assurer une descendance.
On aurait facilement tendance à l’oublier, mais le culte de la minceur exalté par les médias est une obsession aussi récente qu’occidentale. En Afrique de l’Ouest, par exemple, les silhouettes voluptueuses sont encore avidement recherchées. À tel point qu’une tradition touareg, observée depuis le XIe siècle dans les régions sahariennes, consiste à gaver les jeunes filles afin d’arrondir leurs silhouettes et d’atteindre cet idéal de féminité désirable. C’est ce que l’on appelle le «leblouh».
À l’origine, cette tradition est sans doute née parmi les peuples nomades du Sahara, où seules les femmes de dignitaires pouvaient rester dans leur tente et prendre du poids. Glorifiées par la poésie traditionnelle, ces épouses bien en chair reflétaient les largesses de leurs maris et devenaient ainsi des exemples à suivre. «La femme occupe dans le cœur de l’homme la place qu’elle occupe dans son lit», rappelle un vieux proverbe maure. Le test de beauté ultime, paraît-il, consiste à voir si l’intéressée peut être soulevée par un chameau.
La bonne chair
Étonnamment, cette tradition a survécu au passage du temps et demeure particulièrement vivace de nos jours au Mali, au Niger et surtout en Mauritanie, une nation désertique d’un peu plus de 5 millions d’habitants. Paradoxe: alors que 32% de la population locale vit dans la pauvreté, les hôpitaux locaux rapportent de nombreux cas d’obésité morbide, des taux alarmants de cholestérol et pléthore de maladies cardiovasculaires –des symptômes habituellement associés aux excès caloriques de l’Occident. Et ce sont les femmes qui en souffrent le plus: selon l’Observatoire mondial de l’obésité, 31,5% des Mauritaniennes de plus de 15 ans étaient obèses en 2006, contre seulement 8,6% des hommes.
«Mauritanie: le gavage des femmes – Grossir à tout prix», reportage de Laurent Delhomme et Tony Casabianca, diffusé dans l’émission «Envoyé spécial» sur France 2, le 27 septembre 2007.
En cause, la tradition du «leblouh», un passage obligé pour la plupart des jeunes filles de Mauritanie en quête d’un mari. La pratique consiste à ingérer le plus de calories possibles –parfois dès l’âge de 6 ans– sous la supervision attentive des grands-mères, des mères ou d’«engraisseuses» professionnelles. Au menu: plâtrées de couscous et de millet, lait de chamelle ou de vache, assortiments de cacahuètes pilées, de dattes, d’huile d’arachide… et même de la graisse animale. En une journée, les jeunes mauritaniennes peuvent encaisser jusqu’à 16.000 calories, soit dix fois la dose recommandée.
Et gare à la jeune fille «engraissée» qui se montrerait peu coopérative… «Le début du gavage est pénible pour la fillette dont l’estomac se révolte, observe Edmond Bernus, géographe français qui a côtoyé les Touaregs du Niger dans le dernier tiers du XXe siècle. On frappe, on pince celle qui refuse le lait. Lorsqu’elle s’apprête à vomir, on lui chatouille les narines avec un fil de cuir qui sert à coudre les peaux pour la faire éternuer et lui faire passer l’envie de vomir.» Parfois même, on force les récalcitrantes à réingurgiter ce qu’elles ont vomi.
 
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