
#493 | 20 octobre
Un lundisoir avec Christophe Darmangeat lundisoir – paru dans lundimatin#493, le 20 octobre 2025
Un lundisoir avec Christophe Darmangeat
À voir lundi 20 octobre à partir de 20h :
Le concept de « guerre » ne renvoie et ne circonscrit plus qu’une forme précise et déterminée de confrontation parmi d’autres formes. La guerre y est définie comme une « confrontation discrétionnaire résolutive », c’est-à-dire : une confrontation collective sans accord préalable entre participants (l’agresseur ne demande pas l’autorisation d’attaquer) dont la résolution repose sur l’anéantissement de l’adversaire permettant d’asseoir sa propre « suprématie ». Mais, comme nous allons le voir, si toutes les guerres sont des confrontations, toutes les confrontations ne sont pas des guerres. La faide (ou feude), c’est-à-dire la vendetta, est une confrontation discrétionnaire comme la guerre, mais elle est résolue d’une autre façon que la guerre : non par la suprématie, mais par l’équilibre des comptes en homicides. La faide (la vendetta) est une confrontation par « règlement de comptes » qui passe par des « homicides de compensation ». La fin de cette confrontation n’est pas la suprématie par anéantissement de la force ennemie ; mais l’équilibre dans les comptes. Ce qui est frappant dans la définition de ces deux confrontations (guerre et faide), c’est qu’elles sont pensées comme pacifiste dans leurs finalités. La fin d’une guerre comme d’une vendetta est de mettre un terme à la faide ou la guerre par la faide et la guerre soit en atteignant l’équilibre soit en obtenant la suprématie.
En fait, ce qu’il est important de comprendre ici c’est que les confrontations ne doivent pas être pensées en fonction de la nature de ses agents. Par exemple, ce n’est pas l’État qui fait la guerre. La guerre n’est pas le propre de l’État. Pour comprendre une confrontation, il faut en déterminer les motifs et les fins. Ce sont à la fois les modes de circonscription du début et de la fin de la confrontation d’une part, et les motifs ou mobiles de la confrontation d’autre part qui en caractérisent le sens et le concept. Si la guerre et la faide sont deux confrontations « discrétionnaires résolutives », c’est parce qu’elles commencent sans prévenir l’adversaire et s’achèvent selon une « résolution » présente à l’esprit de celles et ceux qui la mènent (équilibre ou suprématie).
On verra qu’il y a bien d’autres formes de confrontations : par exemple, des confrontations où l’on s’accorde au préalable sur le lieu, l’heure et la durée du combat. Ce sont les duels collectifs. On sait comment ça commence, on est d’accord entre adversaires pour commencer et on sait où et comment cela doit se finir. Mieux encore : il y a des confrontations qui n’ont pas de résolution, qui sont non-résolutives, et dont la fin est indéfinie et, peut-être, infinie. C’est le cas des chasses aux têtes, des confrontations de deuil ou celles de vengeances. Les Wari’ de l’Ouest amazonien, par exemple, ne pratiquent pas la vengeance sur le mode de la vendetta qui, elle, doit rétablir l’équilibre des comptes homicides. Ils la pratiquent, lit-on chez Beth Conklin, comme « un impératif permanent, ontologique, découlant d’un état d’inimitié absolue entre deux populations. » (cité p. 107).
Pour commencer à appréhender la guerre, rien de mieux que d’en passer par une anthropologie typologique de la guerre avant l’État et donc, non pas une anthropologie de la guerre, mais des confrontations dont la guerre n’est qu’un aspect. En enrichissant ainsi les distinctions conceptuelles, le travail de Darmangeat est une parfaite introduction au concept.
Pourquoi une série sur la guerre ?
La guerre est devenue, en quelques années, l’élément de langage le plus insistant. Notre temps serait soudainement devenu héraclitéen. Sa métaphore s’est propagée dans l’espace mental aussi vite que la poudre. La longue paix américaine – série de guerres dissimulées et rendues invisibles à la conscience confort de l’Occident – est terminée. Dans un autre contexte, on peut lire chez l’anthropologue Bruno Latour récemment décédé : « Il y a maintenant une guerre des mondes. La paix, l’hypocrite paix de la modernité, est bel et bien terminée. » (81) [1] Aussi, sur un autre plan, les budgets militaires mondiaux ont-ils explosés. Un vieil empire a déferlé sur l’Ukraine. La vengeance coloniale illimitée a frappé Gaza. Au Nord et au Sud Kivu les activités du M23 s’intensifient. On massacre autour de Karthoum. Pas une semaine sans qu’un missile parte d’Inde ou du Pakistan. Un vieux temple suscite de nouvelles querelles entre la Thaïlande et le Cambodge. Le Sahel est en cendre. Et lorsque les faiseurs de paix sont les fascistes eux-mêmes il semble que la paix est nullité. [2]
Mais en réalité, il n’y a rien de moins clair que la guerre. Rien de moins évident. La nature et l’essence de sa réalité est politique et historique, en somme, changeante. Il n’y a pas de guerre absolue, pas de loi définitive, pas de mécanisme fondamental. Il devient nécessaire de se faire une culture non de guerre mais de la guerre. Il devient nécessaire de ne plus se contenter des vaines images, des métaphores fictives, de l’idée vague. Il convient de commencer à maîtriser et dominer intellectuellement la guerre. Car quiconque sait penser la guerre peut penser la paix. Or nous voulons penser la paix véritable. La paix pleine et entière. La paix perpétuelle. Pour cela, il nous faut donc savoir ce avec quoi on la distingue. Pour apprendre, aussi, d’un même geste, à faire la paix parce que l’on aura su faire son contraire.
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