Ce détail « technique » sur la suspension de la réforme des retraites est loin d’être anodin

Suspendre la réforme des retraites, oui, mais comment ? Pour le Parti socialiste la réponse est loin d’être sans conséquence.

QUENTIN DE GROEVE / Hans Lucas via AFP
Amélie de Montchalin (Comptes publics) et Roland Lescure (Economie) auditionnés à l’Assemblée nationale l e 14 octobre 2025

POLITIQUE – Quand c’est flou c’est qu’il y a un loup ? En annonçant ce mardi 14 octobre la suspension de la réforme des retraites, Sébastien Lecornu a sauvé son gouvernement pour quelques semaines, au moins le temps du débat parlementaire budgétaire.

Néanmoins, en cédant à l’ultimatum des socialistes qui menaçaient de censurer eux aussi, le Premier ministre n’a pas précisé la façon dont il comptait s’y prendre pour suspendre la réforme Borne. Une loi spéciale ? Un amendement ? De quoi entraîner une légère cacophonie gouvernementale et des interrogations sur le sujet, car la nuance est loin d’être sans conséquences.

Invité du 20 heures de France 2 dans la soirée, le nouveau ministre du Travail Jean-Pierre Farandou a tout d’abord semblé esquisser du bout des lèvres une loi à part pour « aller vite » sur le dossier. « Il n’y a que le Parlement qui peut modifier une loi, il faut le faire vite, puisque ça va impacter le budget 2026. Donc ça, ça va aller vite », a-t-il d’abord affirmé. Et quand Léa Salamé le relance en lui demandant : « le 9 décembre, il y a une loi pour suspendre la réforme des retraites ? », le ministre est formel : « exactement ».

Amendement ou texte de loi à part ?

Et c’est vraisemblablement cette formule qu’a retenue le premier secrétaire du Parti socialiste. À son tour interrogé ce mercredi matin sur les modalités de la suspension de la réforme des retraites, Olivier Faure a cité Jean-Pierre Farandou et « un texte spécifique qui serait présenté d’ici le mois de novembre ».

Un texte qui interviendrait en plus des débats déjà très denses sur les budgets ? À voir. Car l’hypothèse implique un vote à l’Assemblée puis un passage par le Sénat, où du fait d’une majorité de droite, le texte aurait de grandes chances d’être rejeté. Ce qui déboucherait ensuite sur l’instauration d’une commission mixte paritaire.

La ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin a de toute façon semblé couper court à ce scénario, dès mardi soir lors de son audition en Commission des Finances. La rescapée du gouvernement de François Bayrou, l’a assuré : la suspension de la réforme des retraites, telle qu’entendue par Sébastien Lecornu, interviendra par l’introduction d’un amendement, qui n’y figure pas encore, dans le Projet de la loi de finance de la sécurité sociale (PLFSS).

Un élement confirmé par le Premier ministre, qui ce mercredi après-midi lors des questions au gouvernement a confirmé que pour « [aller] le plus vite possible », « il faut le gouvernement dépose un amendement au projet de loi de finances pour la sécurité sociale dès le mois de novembre. Dès le début de la discussion du PLFSS comme chaque année depuis des décennies. »

En tout état de cause, pour les socialistes, la piste de l’amendement, est très loin d’être anodine. Pour que la victoire soit complète et la suspension effective, il faudra donc que le budget 2026 et tout ce qu’il comprend de potentiels irritants pour la gauche soit voté.

Pour les roses, l’argumentaire déployé ces dernières semaines s’en retrouverait d’autant plus fragilisé que l’exigence de suspension était présentée comme un préalable au débat budgétaire. En outre, voter un budget est un acte politique qui inscrit, de fait, un groupe parlementaire dans la majorité soutenant l’exécutif… De quoi effectivement coincer les socialistes.

« Promesse très fumeuse »

Dans l’opposition, le flou gouvernemental sur le véhicule législatif offre un boulevard aux insoumis pour dénoncer la compromission des socialistes. « C’est confus. Le PS s’est fait acheter sur la base d’une promesse très fumeuse », cingle l’élue LFI Claire Lejeune, quand Manuel Bompard, le coordinateur de la France insoumise, fait mine de s’interroger lui aussi : « S’il s’agit d’un amendement, alors la seule manière de laisser passer ce décalage sera de voter le budget de la sécurité sociale le plus brutal de ces 30 dernières années et donc d’avaliser toutes les mesures iniques qu’il contient. Il serait bien d’y voir clair sur la manière avec laquelle le gouvernement a l’intention de rouler le PS (et les Français) ».

« Qui ment ? » questionne à son tour Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Somme, qui évoque de son côté le risque d’une censure de l’amendement par le Conseil constitutionnel, qui pourrait y voir un cavalier législatif. Une crainte qu’avaient d’ailleurs déjà soulevé les députés MoDem, en novembre dernier, lorsque les insoumis avaient voulu introduire le retour à 62 ans dans le budget 2025. Un an plus tard, l’argument risque bien de se retourner, cette fois, contre les macronistes.

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