« Cette boîte est un Etat dans l’Etat » : Nestlé pris dans une spirale infernale, entre crises internes et scandales sanitaires
Le leader mondial de l’agroalimentaire Nestlé, qui vient d’annoncer 16 000 suppressions d’emplois dans le monde, a traversé une longue série de crises ces dernières années. Depuis les années 2000, ses dirigeants successifs ont transformé le groupe industriel en une firme obsédée par les profits.
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Soucieux de redonner des couleurs à son cours de Bourse passablement malmené par une série de scandales, et des résultats jugés ternes ces derniers mois qui finissaient par alarmer les analystes, Philipp Navratil a aussi annoncé qu’il augmentait l’ambitieux plan d’économies de son prédécesseur (3,23 milliards d’euros au total), comprenant notamment la suppression en deux ans, de 16 000 postes dans le groupe, soit 5,8 % de son effectif total (277 000 emplois). Une médecine qui a été immédiatement applaudie par la Bourse et saluée par une hausse de l’action de près de 9 % le jour même . Le tout accompagné d’un discours offensif de la part de Philipp Navratil, pour sa première prise de parole publique : « nous encourageons un état d’esprit de performance, qui n’accepte pas de perdre des parts de marché et où la victoire est récompensée ! » Les résultats trimestriels de Nestlé « alimentent le feu du redressement » , ont approuvé les analystes de Bernstein, qualifiant la réduction des effectifs de « surprise significative ».
Loin de la fête, Laurent Freixe, qui avait lancé le plan d’économies et la relance des ventes un an plus tôt, ne s’est, aux dernières nouvelles, toujours pas remis de son éviction brutale. « Laurent est dans la phase un peu hard des négos entre avocats, il cherche le calme » , confie l’un de ses proches. L’ex-directeur général a été licencié le 1er septembre par son conseil d’administration, pour avoir entretenu une liaison avec une collaboratrice directe.
Le communiqué officiel tombé comme un couperet a révélé à la fois son adultère, son manquement à l’éthique professionnelle et son licenciement immédiat. Il faisait l’objet d’une enquête interne suite à la plainte d’une salariée, et n’a pas eu le temps de faire un pot d’adieu mais continue de saluer ses collaborateurs en répondant systématiquement à leurs commentaires publics sous le message qu’il a posté sur LinkedIn pour féliciter son successeur. A ce jour, il a écrit plus de 200 messages en moins d’un mois, depuis qu’il a pu « récupérer ses outils de communication » , comme il l’explique lui-même.
« Je n’ai pas compris l’empressement du conseil à le sortir si vite et avec une telle publicité, ce n’est pas le genre de la maison »
Il a surtout été privé de son salaire de 2 millions de francs suisses (2,15 millions d’euros) et d’une prime de départ de 10 millions (10,74 millions d’euros). Un tel déballage dans une entreprise qui cultive une discrétion très helvétique depuis plus d’un siècle a frappé les esprits en interne. « Je n’ai pas été étonné d’apprendre que Laurent Freixe avait une liaison avec l’une de ses collaboratrices, ce n’est pas la première, et il n’est pas le premier dirigeant de Nestlé…, il y a même eu un cas bien plus spectaculaire par le passé, confie un salarié exaspéré. En revanche, je n’ai pas compris l’empressement du conseil à le sortir si vite et avec une telle publicité, ce n’est pas le genre de la maison. Ces choses-là se règlent sans faire de vague d’habitude ».
Sa destitution a été vécue comme un séisme au « bunker », le surnom peu flatteur parfois donné au siège du groupe en forme de Y, tout en béton et en verre, classé monument national en Suisse pour son architecture des années 1960, signée Jean Tschumi. Le président de Nestlé depuis huit ans Paul Bulcke a lui-même été emporté par la déflagration. Après avoir viré Laurent Freixe, il a annoncé qu’il anticipait sa retraite qui ne devait intervenir qu’en avril 2026 et a été immédiatement remplacé par l’Espagnol Pablo Isla, ancien PDG d’Inditex (Zara).
Le mélange hypocrite d’une culture protestante et d’une avidité croissante
Cette période va laisser des traces. A entendre les salariés et anciens salariés, « il y a quelque chose de pourri au royaume de Nestlé » , pour paraphraser Shakespeare. « Cette boîte est un Etat dans l’Etat, raconte un visiteur régulier. J’ai même eu souvent l’impression d’être dans une secte avec ses gourous, ses codes sociaux et vestimentaires et ses valeurs d’un autre temps, qui n’a rien à envier aux Mormons ou à la Scientologie ».
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