
Les intenses discussions entre le Premier ministre et les chefs de partis qui se sont succédés ce vendredi à Matignon n’ont pas éclairci le brouillard politique dans lequel est plongée la France. En sortant de son entrevue avec Sébastien Lecornu, Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, a dit accorder « le bénéfice des prochaines heures pour réfléchir » à l’attitude du groupe socialiste sur une éventuelle censure du gouvernement, dès la semaine prochaine, mais il juge que l’exécutif lui a montré « une copie très insuffisante et à bien des égards alarmante ». Il a été rejoint par la secrétaire nationale des Écologistes Marine Tondelier, plus tard dans l’après-midi : « On ne sort avec une garantie sur rien. C’est très flou et décevant. »
La gauche et les écologistes éprouvent un désarroi grandissant. L’Assemblée nationale a été le théâtre cette semaine d’un nouveau rapprochement entre le bloc macroniste et le Rassemblement national (RN). Mercredi, les députés devaient procéder à l’élection de six vice-présidents de l’Assemblée. Les deux députés RN qui avaient perdu leur strapontin il y a un an ont pu faire le retour, au détriment de deux députés Écologistes (Jérémie Iordanoff et Marie Pochon), grâce aux voix du bloc gouvernemental.
Échange de bons procédés
À toi, à moi… Jeudi, c’est avec le soutien du RN que le socle gouvernemental a pu, à son tour, récupérer la présidence de presque toutes les commissions permanentes, en plus de la fonction essentielle de rapporteur général du budget. L’insoumise Aurélie Trouvé perd ainsi la présidence de la commission des Affaires économiques et seule la commission des Finances reste présidée par un représentant de l’opposition de gauche, le député La France insoumise (LFI) Éric Coquerel.
Cet échange de bons procédés entre le « bloc central » et l’extrême droite accentue l’amertume accumulée par les députés de gauche ces derniers mois. « Nous n’avons plus de diversité aux postes clefs de l’Assemblée, s’inquiète Marie Pochon, députée écologiste de la Drôme. Ce qui s’est passé est assez fou. Certes, un tel deal avait déjà eu lien en 2022 entre le bloc central et le RN, mais cela n’avait jamais été aussi clair et assumé. Le bloc central, cette fois-ci, a voté massivement pour les députés RN aux vice-présidences et le RN n’a même pas présenté de candidature aux commissions. »
« Un reniement de l’arc républicain »
L’écologie a déjà été la victime des rapprochements entre la droite et l’extrême droite. La loi Duplomb passée sans débat au printemps, ou la politique énergétique torpillée par l’extrême droite dans une croisade contre les énergies renouvelables… Ces derniers mois, le retour de bâton anti-écologique a fortement résonné au Palais Bourdon, alors qu’au même moment, l’exécutif ratiboisait les crédits budgétaires de la transition.
« La majorité qui s’est constituée à l’Assemblée pour l’élection au sein des commissions est un reniement de l’arc républicain et de ce qu’il a été en 2022 et 2024. Ce serait dramatique que cette même alliance soit amenée, dans la durée, à arbitrer les enjeux de transition écologique », dit à Reporterre le député socialiste Dominique Pottier.
« Les reculs sur le terrain de l’écologie deviennent, au fil des mois, un facteur unificateur de l’union des droites, dit Marie Pochon. Je trouve ça assez effrayant et cela traduit la déconnexion des réalités. Nous sortons d’un été caniculaire, avec des mégafeux, les gens voient l’érosion de la biodiversité. » La nomination de Sébastien Lecornu à Matignon, le 9 septembre, n’a pas non plus été reçue comme un signal positif concernant les dossiers écologiques.
Quelles contreparties pour l’extrême droite ?
Pourquoi le RN a-t-il fait un tel cadeau aux groupes macronistes, en lui conférant toutes latitudes sur les commissions permanentes ? Plusieurs rumeurs bruissaient ces derniers jours, sur des arbitrages que le RN seraient en train d’obtenir en sa faveur : un moratoire sur les énergies renouvelables ou une loi contre l’application provisoire des peines, qui ferait l’affaire de sa présidente Marine Le Pen. Mais elles ont chacune été démenties.
La situation politique reste instable et imprévisible, l’hypothèse d’une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale, en cas de censure immédiate du gouvernement que Sébastien Lecornu doit annoncer ce weekend, n’est pas exclue. Le RN risque de jouer un rôle d’arbitre.
Censure
La gauche est unie dans la méfiance, mais la question d’une censure restait ouverte ce vendredi après-midi. La France insoumise entend déposer une motion de censure « dès la nomination » du gouvernement de Sébastien Lecornu. Les communistes ne la voteront pas et Socialistes et Écologistes temporisent : « L’arrêt de l’utilisation du 49.3 [annoncé par le Premier ministre Sébastien Lecornu vendredi matin] est quelque chose que nous demandons depuis longtemps. Mais on n’est pas dupe sur le fait qu’il existe beaucoup d’autres outils pour museler l’Assemblée. On sera vigilants », prévient Marie Pochon, sans anticiper la décision de son groupe sur la censure. Le NFP ne pourra pas, seul, censurer le gouvernement.
Marine Le Pen a déclaré qu’elle attendait le discours de politique générale de Sébastien Lecornu, la semaine prochaine, pour voir « s’il existe une rupture ou pas ».
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