Faute avouée… la leçon de leadership du cambriolage du Louvre

Circulez, il n’y a rien à voir. C’est en substance la réaction unanime des autorités au cambriolage du siècle, le vol de plus de 80 millions d’euros de bijoux au musée du Louvre. Dès son annonce, chacun s’est empressé de minimiser et l’affaire, et les responsabilités. La ministre de la culture a ainsi nié toute défaillance de sécurité et félicite même l’ensemble des équipes pour cette belle réussite. La directrice du musée affirme à sa suite que les systèmes d’alerte ont parfaitement fonctionné. « Personne ne peut être préparé à ça » renchérit une gardienne du musée. Vraiment? N’est-ce pas la fonction première des… « gardiens » de, précisément, garder des bijoux précieux dans un lieu public et de se préparer à ce qu’ils fassent l’objet de tentatives de vol? Comble du comble, le ministre de l’intérieur nous apprend que les malfrats étaient « déterminés ». Or, que peuvent de pauvres gardiens « pas préparés » protégeant des dizaines de millions d’euros de bijoux d’une valeur historique inestimable face à quatre cambrioleurs « déterminés » arrivés en scooter? On ne peut demander l’impossible.

Refus de prendre ses responsabilités

Ce refus d’assumer ses responsabilités -des gardiens aux ministres en passant par la directrice- a une conséquence très concrète: il rend impossible de tirer les leçons de l’échec pour éviter qu’il ne se reproduise. Car toute organisation peut connaître un échec. Aucune, même la mieux gérée, n’y échappe. Le problème n’est donc pas tant le problème lui-même – un cambriolage réussi -, que la gestion de ce problème et surtout les leçons qu’on en tire pour qu’il ne se reproduise pas.

Rien n’illustre mieux la façon dont la déresponsabilisation empêche toute réforme que la demande de la directrice d’installer un commissariat à l’intérieur du musée. Cela consiste à admettre que les agents du musée ne sont pas en mesure d’assurer leurs fonctions et à s’en remettre à une autorité tierce. C’est comme lorsque deux enfants, incapables de régler leur différend, font appel à la maîtresse.

« Tout pouvoir périt par l’indulgence »

–Voltaire

Or, un système qui n’est pas capable de regarder ses échecs en face et de les gérer se condamne à en connaître de nouveaux. « Tout pouvoir périt par l’indulgence » a dit Voltaire. C’est la marque des organisations en déclin. Elles fonctionnent mal; leur dysfonctionnement est masqué par leur prestige jusqu’au jour où survient ce que le philosophe Clément Rosset appelait « l’orée du réel », l’événement qu’on ne peut ignorer. Autrement dit, on se prend un mur qu’on n’a pas vu venir. Pourtant, les avertissements sur les failles de sécurité n’ont pas manqué depuis longtemps, y compris de la Cour des comptes. Le refus d’assumer ses responsabilités est une faillite de leadership qui conduit à l’aveuglement. La déliquescence managériale qu’il produit empêche le système de se corriger et de s’améliorer et rend donc plus probable un échec prochain.

Intouchables

La disparition de la responsabilité traduit, en même temps qu’elle l’alimente, l’affaiblissement du système dans son ensemble au profit de groupes qui le constituent. Pour qu’un collectif fonctionne, il faut en effet que ses membres partagent des valeurs et des croyances. Ces croyances constituent la « théorie de fonctionnement » du collectif, c’est à dire ce qu’il faut faire et ne pas faire pour qu’il remplisse sa mission. La notion de responsabilité – je dois répondre de mes actions – et de performance au sens le plus large du terme – je dois faire mon travail et accomplir la tâche qui incombe à ma fonction – sont les deux valeurs essentielles dans un collectif structuré pour qu’il puisse servir sa raison d’être. Cet affaiblissement empêche le système de faire prévaloir ses valeurs de façon universelle (la loi et les règles sont les mêmes pour tous) pour céder la place à un rapport de force. Dans un tel rapport de force, dès lors qu’il n’y a plus de valeurs partagées et acceptées, les petits groupes constitués ont toujours l’avantage. La raison d’être du collectif cède le pas à celle des groupes. Le système devient clanique et le jeu est désormais à somme nulle.

Or, les systèmes claniques récompensent la loyauté, où l’appartenance à un groupe, plutôt que la performance. Ce comportement est fréquent lorsque des phénomènes de caste et de réseaux sont à l’œuvre: c’est typiquement le cas quand on protège un condisciple de sa grande école, un homme de son camp ou un membre de son syndicat malgré ses errements. En protégeant ses membres, le groupe se protège lui-même. Ceux-ci savent que quoiqu’il arrive, on ne les laissera pas tomber. On rappellera ainsi que personne ne fut inquiété dans le fiasco du Crédit Lyonnais dans les années 90 bien qu’il ait coûté près de 50 milliards d’euros au contribuable. Lorsqu’on se sait intouchable quoiqu’on fasse, et malgré les pires inepties, la catastrophe est inévitable.

Il n’y a pas beaucoup de solutions lorsqu’une institution est arrivée à un tel point de déclin, car la source de ce dernier est en son sein même: le système n’est pas attaqué; il se suicide. Seul un acte fort de gouvernance, qui passe nécessairement par le départ des dirigeants-clés, peut permettre un ressaisissement. Les premières décisions de Steve Jobs, lorsqu’il revient chez Apple en 1997, et alors que l’entreprise a elle aussi subi une longue dérive de dysfonctionnements, furent d’en remplacer la quasi-totalité des managers principaux.

Une dimension morale

Au-delà des conséquences pratiques, le refus d’assumer ses responsabilités a aussi une dimension morale. À l’heure où les élites sont vivement contestées pour leurs privilèges, un tel refus ne peut qu’alimenter le sentiment de nos concitoyens que les règles ne sont pas les mêmes pour tous. Le principe du leadership veut qu’un grand pouvoir ne puisse aller sans grande responsabilité, selon la formule consacrée, mais cela n’est de toute évidence plus vrai dans la haute fonction publique. Nous en payons le prix, bien au-delà des 80 millions.

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