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- Une « réunion secrète » fondatrice
Gabriel Attal est ici le personnage le plus central pour le sens de l’opération. Dans la réunion il a d’ailleurs redit sa singularité : « pour le budget, allez voir Lecornu ». Pourtant la rencontre a continué. Ancien socialiste, ancien macroniste dont il préside désormais le parti et le groupe parlementaire, en mise à distance du président fondateur, Gabriel Attal a des raisons de croire qu’il puisse profiter de ce nouveau cadre de concertation offert par le PS. Dans cette optique, la présence du MoDem de Bayrou à cette réunion est également un événement très important. Cette réunion n’est donc pas anecdotique. Au contraire !
Pour le PS c’est une étape et un seuil franchi dans une suite de décisions et prises de position allant à grands pas dans le même sens pour construire une nouvelle alliance politique de centre gauche. Les jalons de cette volte-face politique ont été sans cesse relativisés par les commentateurs, ignorant les ondes longues de l’histoire politique des partis en France. L’essentiel échappait donc à leur regard. Cette construction politique est depuis trente ans le rêve permanent de la droite du PS qui le dirige dorénavant. À présent, il se résume en une question : qui prendra la tête du « bloc central » le moment venu, c’est-à-dire pour 2027 après le départ de Macron ? Olivier Faure et Gabriel Attal ont alors un intérêt commun. Et un concurrent commun. D’abord, il faut que ce bloc existe. Leur jonction en conditionne la crédibilité électorale. Alors il leur serait possible, se disent-ils, de rattraper et dépasser Raphaël Glucksmann. Pour cela, il a fallu d’abord créer l’ambiance. Il y a donc eu la série des six censures refusées contre Bayrou. L’échec total de cet accord de non-censure fut sidérant. On pouvait croire à de la naïveté tant l’amateurisme des négociateurs est désormais devenu visible. Mais si l’accord de sauvetage avec Lecornu a confirmé cette défaillance, on a vu ensuite que le projet reprenait aussitôt le dessus. En quelques semaines, depuis le congrès du PS, le tournant a été pris et fermement maintenu à travers des épisodes très clivants. Il y a eu la candidature d’Olivier Faure au poste de Premier ministre. Cette proposition avait déjà bloqué pendant cinq jours la discussion du NFP après la victoire aux législatives de 2024. Il y a eu les accords électoraux piétinés dans les élections partielles. Avec en prime le refus par Carole Delga du report de soutien à gauche au second tour d’une élection législative partielle sur une candidate NFP LFI face à la droite macroniste. Il y a eu l’annonce de la fin de la référence au programme du NFP, suivie logiquement du contre-budget d’austérité socialiste. Ensuite ce fut la décision proclamée par Olivier Faure de présenter à l’avenir aux législatives des candidatures partout dès le premier tour, y compris contre des députés sortants LFI. Tout cela forme une orientation permettant de comprendre comment le PS pense pouvoir contourner le prix électoral de ses manœuvres : en changeant d’électorat.
Les chefs de file de la coalition majoritaire du congrès PS assument ardemment cette nouvelle stratégie dans les médias. Les minoritaires ainsi dépouillés de leur raison d’être font de la figuration maussade. Mais il ne faut pas se tromper sur l’origine de tout cela. Elle reste purement interne. Actuellement l’obsession du barrage à Glucksmann occupe ceux-là mêmes qui l’avaient enrôlé pour subir à leur place aux européennes les échecs électoraux annoncés. Glucksmann en est ressorti non seulement vivant mais plus fort qu’eux. Et le voici candidat déclaré candidat en 2027 avec ou sans leur investiture. À la peur de l’enfermement avec LFI est donc rajoutée la peur de la dissolution par Macron et le dépassement par Glucksmann et son parti Place Publique. Rien d’autre. Car en effet ce dépassement est devenu largement imparable dans les conditions actuelles. Et ce serait la fin du PS.
Cette équipe au PS n’a aucun programme gouvernemental propre. Ni aucun discours idéologique spécifique. La pérennité du parti est donc leur seul enjeu. D’ailleurs, à supposer que la primaire pour les présidentielles puisse avoir lieu, aucun d’entre eux n’en respectera le résultat si le socialiste Olivier Faure ne la gagne pas. Le sabotage du NFP par le PS est d’abord motivé par la volonté de cornériser Glucksmann en usurpant son orientation.
Les conséquences concrètes négatives de cette ligne absurde n’ont pas été intégrées un instant par ces grands stratèges. C’est toujours le cas dans ce type d’obsession interne. Car naturellement ils n’ont aucune chance d’y parvenir. Il ne suffit pas de refuser de censurer le macronisme pour être séduisant en macronie et au MoDem. Pourquoi ceux-ci accepteraient-ils d’être représentés par le PS ? Qu’apporte-t-il ? Il n’a toujours pas compris pourquoi Hidalgo a fait 1,75% à la présidentielle de 2022. Il est pourtant fini le temps où les milieux populaires privés de représentation se joignaient à eux ou bien s’abstenaient. Cette époque est terminée. Mais ils n’arrivent pas à s’y faire. Le phénomène LFI est l’angle mort de leur pensée. Ils n’en comprennent ni la nature, ni l’enracinement. Quoi qu’il en soit, tout cela se brise sur des réalités concrètes très têtues.
Libre à eux de croire que leur nouvelle coalition aura un socialiste pour tête d’affiche. Ou que cette orientation va rencontrer un électorat pour les porter plus haut que le score d’Anne Hidalgo à la présidentielle de 2022. Libre à eux de croire qu’il suffira d’additionner l’appareil Vert, celui du PCF et de la coalition des « purgés » pour compenser les votes LFI qu’ils n’auront plus. Et pour le second tour, libre à eux de croire au report des électeurs à gauche pourtant déjà écœurés par tous leurs mauvais coups contre LFI et leurs incessants trafics avec la macronie. Mais si la réalité ne se conforme pas à leurs rêves, le résultat négatif de leurs manœuvres est hélas bien là.
C’est la situation dont rêvait Macron au moment où il décida la dissolution de 2024. Déjà, il comptait sur la division insurmontable de la gauche. Car il avait bien vu le refus de Marine Tondelier de la liste commune NUPES aux européennes et les pilonnages anti-LFI du PS à propos des révoltes urbaines et surtout de Gaza. À conditions égales, la gauche sera éliminée de cent circonscriptions au second tour. Et là où elle sera présente, elle sera affaiblie par les refus de vote à gauche, par méfiance mutuelle. Méfiance propagée tous azimuts par la ligne anti-LFI (révoltes urbaines + Gaza + police). Et cela autant dans les secteurs petits bourgeois de l’électorat PS que dans les secteurs populaires et jeunes. Car ceux-là assimilent déjà le PS aux autres dégoûtants opportunistes de la scène publique.
Quant au fond, la campagne anti-LFI du PS et de ses satellites EELV et PCF, elle, n’a qu’un seul résultat : elle alimente la posture qui sert de dénominateur commun pour l’alliance politique du « bloc bourgeois » de LR au RN. Pour eux ce sera « tout sauf LFI puisque tout le monde est d’accord même « la gauche » » ! Cette droite voit LFI comme un « ennemi utile ». La naïveté du PS qui croit y trouver son compte vient d’éclater aux yeux de tous dans l’élection partielle du Tarn-et-Garonne. Le PS avait oublié les leçons de l’histoire : ce qui vaut contre l’un vaut contre chacun des autres ensuite. La preuve sur le terrain. Dans l’ancienne circonscription de la présidente du groupe PS, Valérie Rabault, au second tour, la droite appelait à voter pour le RN… plutôt qu’en « front républicain » pour le PS. Le PS se leurre : un candidat PS n’est désirable pour les électeurs de droite seulement dans le cas où sa candidature est opposée à LFI. C’est de cette façon que nous furent reprises les deux circonscriptions insoumises de l’Ariège. Et l’un des deux élus PS est à présent… ministre dans le gouvernement Lecornu ! L’autre a rejoint le groupe PS à l’Assemblée en compagnie de deux anciens macronistes… Dans ce type de façon d’agir, la gauche ne gagne rien dans son ensemble, ni aucune de ses composantes.
Le problème posé par la volte-face socialiste est grave. Tout l’enjeu du NFP était d’une part d’additionner des électorats distincts. Ce qui n’était pas acquis d’avance quant au contenu des programmes. Puis d’autre part, il fallait gagner au NFP des secteurs sociaux que chacun ne pourrait gagner seul. À ces conditions se crée une dynamique. L’histoire de l’alliance PCF-PS des années 70 et 80 a montré que ce genre de jonction demande du temps, de la constance et de la volonté d’avancer. LFI a proposé et obtenu un événement sans précédent dans l’histoire de la gauche : les candidatures communes au premier tour des législatives. Elle a pu y parvenir parce que ceux qui l’auraient refusé auraient été instantanément rayés de la carte électorale, compte tenu de leur résultat à l’élection présidentielle comparé à celui de LFI. Ce choix a été fait à LFI parce que l’idée restait celle du Front de gauche de 2012 : créer une structure fédérative de toute la gauche. Le résultat à chacune des deux échéances de 2022 et 2024 a été extraordinaire : l’arrivée en tête au premier tour en 2022 et au second en 2024. Dans les deux cas, RN d’un côté et gauche unie de l’autre étaient à quasi-égalité. C’est cela que le PS fait couler en brisant l’« union populaire ». Mais c’est ce résultat qu’il faut continuer à viser en reconstruisant l’unité du peuple sans les appareils qui disent parler en son nom pour obtenir des soi-disant « victoires populaires » comme celle sur le décalage de la réforme des retraites au prix du maintien du pire budget anti-social.

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