Jean-Mau témoigne de la mort de sa tante résistante

Emmanuelle était de 5 ans la sœur cadette de ma Mère. Toutes deux suppliciées par la Gestapo en 1944, à 19 ans pour mmanuelle à 25 ans pour Armelle, ont échappé à la déportation par d’invraisemblables concours de circonstances. Toutes deux, si résistantes, sont mortes centenaires.
J’ai fui l’église il y a 60 ans. J’y suis de retour, quelques instants, en me faisant violence, pour tenir la parole donnée à Emmanuelle. A partir des notes prises au cours de ses 11 dernières nuits.

Lucide jusqu’à son avant dernière nuit, malgré les souffrances physiques et morales parfois si rudes à contenir, elle a trouvé moyen de me reprocher d’être trop doux, trop gentil ; pas assez
sincère, en somme. Nous nous sommes alors expliqués en toute franchise, croisant nos regards.

Ayant choisi de mourir chez elle en ne s’alimentant plus elle ne comprenait pas, n’acceptait pas que le résultat tarde à venir. Or le jeûne assidu peut provoquer une sorte d’état de grâce qu’on
peut souhaiter prolonger. (Merci Bernard, mon frangin). On a parlé grève de la faim et de la fin.
Morte le surlendemain matin, elle a su dire à ses enfants combien elle les aimait, avec ses mots de la fin. Ceux qu’on peut peiner à prononcer avant.

Emmanuelle souhaitait que l’on sache …

Son respect, son admiration pour Simone Jacob déportée à 16 ans à Auschwitz. Survivante, elle devint Simone Veil. Ministre de la Santé du Pdt Giscard d’Estaing elle fit voter, il y a 51 ans, la Loi Veil. C’est par son combat, remporté de haute lutte que les femmes d’ici disposent de leur corps par la contraception et l’Interruption Volontaire de Grossesse.
Cette Simone permit à Emmanuelle d’oublier enfin, même un peu tard, la peur au ventre pour elle et surtout pour les lendemains de vies de femmes de ses filles.
Emmanuelle restait révoltée par la virilité amnésique des mâles résistants. La France vaincue, c’était 40 millions d’habitants. En 1942 Emmanuelle eut ses 17 ans. Et 2 millions d’hommes
étaient prisonniers en Allemagne en Stalags ou au Service du Travail Obligatoire. Les femmes portèrent l’essentiel des efforts de la survie et de l’essor de la Résistance.
La mémoire nationale résistante ne retiendra guère que les noms de Geneviève Anthonioz De Gaulle et de Lucie Aubrac. Ici, dans mon petit pays de Forcalquier qui connaît Andrée Viollis ?
Les prénoms des 7 compagnes de cellule d’Emmanuelle, dans la Prison de Fresnes l’auront habitée jusqu’à son dernier souffle. Incapables qu’elles étaient d’accompagner d’une Marseillaise qu’étouffaient leurs sanglots, leurs voisines de palier qu’on emmenait se faire fusiller au Mont Valérien.
Comme d’autres elle a connu les regrets de la survivante, d’être encore au monde.
Comme sa sœur Armelle, Emmanuelle a traversé « le supplice de la baignoire ». Elle n’a pas oublié les femmes que tondaient les viriles mains de résistants de la dernière heure. Mais il y
eut pire pour elle ; l’ignoble curiosité de ceux, résistants compris, qui auraient aimé savoir comment ça s’était passé autour de la baignoire. Alors, longtemps, si longtemps le silence.

Que les palestiniens d’aujourd’hui sont les juifs d’hier qu’elle et sa sœur ont protégés, puisque des descendants de survivants de l’Holocauste en sont à tenter d’effacer toute trace de leurs frères sémites de Palestine. Comment vivre, ici, cette seconde faillite morale d’une Europe chrétienne qui fait des palestiniens le bouc émissaire de leurs crimes d’antan, cette fois au vu et au su du monde entier ?

Toujours et encore Caïn et Abel ?

Qu’à la veille du 80 ème anniversaire de la Sécurité Sociale elle n’acceptait pas le massacre, ces 25 dernières années, du programme et des réalisations du Conseil National de la Résistance.
Elle vient de vivre ce massacre dans sa chair. Trop de médecins renonçant à se servir de leur corps et de leurs 5 sens ne transigent plus sur leurs repos des week-ends. L’Hôpital Public meurt asphyxié avec dans mes « Basses-Alpes » les fermetures nocturnes simultanées de tous les Services d’Urgences. Aux bénéfices de compagnies de santé et d’assurances privées, de
laboratoires et de leurs recherches avec l’aide de tant de serviteurs intéressés & zélés des maires (Pdt des Conseils d’administration des hôpitaux) aux députés, des sénateurs aux ministres.
Elle est aussi morte, effarée et dans de trop de souffrances, de n’avoir pas été aidée à mourir dignement sa fin de vie. Un texte législatif traîne toujours à l’étude. Au nom de pratiques
perverses et d’un autre âge, mais toujours vivaces, avec à la manœuvre et au frein notre Président, les clergés et leurs élus qui jouent la montre. Et c’est odieux.
Que la nation doit reconnaître la valeur d’actrices essentielles à la vie. Tout au long de son dernier bout de chemin, Emmanuelle les a remerciées. De leurs mains soigneuses, de la tendresse de leurs mots, elles soulageaient douleurs et angoisses.

Que de sourires complices.

Femme de ménage, aides-soignantes et infirmières, toutes travailleuses essentielles, exploitées sans vergogne et méprisées jusqu’au plus haut sommet de l’Etat pour lequel elles ne sont rien.
Qu’Emmanuelle était heureuse en une large famille avec ses enfants et petits-enfants, ceux de ses frère et sœurs. Alors qu’elle savait tant d’anciens et/ou de malades oubliés par la société
et ses élus, sa famille élargie comptait aussi, ici, ses amis anciens combattants. Chacun.e à leur manière lui ont tenu la main et ont su, à la bonne heure, l’encourager à aller témoigner de leurs
combats dans les écoles. Merci. Sans être privilégiée elle a eu aussi cette chance de vivre en un appartement choisi auprès d’un bailleur social engagé. Beaucoup trop n’ont plus accès à cette
dignité, elle en était consciente.
Qu’elle était fière de ses sœurs. Et que ce 25 septembre elle aurait aimé participer, à Chambéry, à l’inauguration d’une Place au nom de sa grande sœur Armelle, secrétaire de mairie, et qui y avait joué sa vie. Emmanuelle est morte ce 25 septembre.
Qu’elle incite chacune et chacun à la fierté de ses combats pour les autres. Et donc à témoigner, auprès des leurs, des épreuves, des beautés et des réussites qui les révèlent à elles-mêmes. (En tenant un journal de bord ? Suggestion du rédacteur)

Qu’à toutes et tous elle dit MERCI.

Avec et pour Emmanuelle à Bourgoin-Jallieu, le 3 octobre 2025 jean4mau@proton.me

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