
Des forbans fictifs qui contribuent à la symbolique d’actions politiques bien réelles dans notre monde. C’est l’équipage du Chapeau de paille – les Mugiwara – et leur drapeau pirate, un Jolly Roger souriant, tirés du manga japonais « One Piece » d’Eiichiro Oda.
Ce pavillon est hissé lors de manifestations en Asie ces derniers mois, ainsi qu’ailleurs, comme en France et aux Pays-Bas, et à bord de la Global Sumud Flotilla naviguant vers Gaza avec de l’aide humanitaire.
« One Piece », le manga le plus vendu au monde, devenu une série d’animation et plus récemment une série Netflix en prise de vues réelles, relate les aventures du pirate Monkey D. Luffy et de son équipage, dont le navire arbore un drapeau très reconnaissable: un crâne souriant sur fond noir, avec deux tibias croisés et un chapeau de paille. C’est justement ce drapeau qui a fait son apparition lors de nombreuses manifestations politiques.
L’émission Kappa du média public de la Suisse italienne RSI a discuté du phénomène avec Emma Besseghini, une journaliste indépendante spécialisée dans la culture, les inégalités, l’environnement et les droits humains.
>> Ecouter l’interview d’Emma Besseghini au micro de RSI:
RSI: Comment un drapeau de manga est-il devenu l’emblème de manifestations politiques?
Emma Besseghini: Ce drapeau symbolise des valeurs telles que la liberté, l’amitié et la résistance à l’oppression. Dans « One Piece », les pirates symbolisent la rébellion contre le Gouvernement mondial, corrompu et tyrannique [et sa force militaire, la Marine]. C’est pourquoi de nombreux jeunes ont récemment utilisé le drapeau pour manifester leur opposition à leur gouvernement.
Mais comment expliquer ce choix face à de nombreux symboles qui pourraient tout aussi bien raconter une histoire de protestation?
Les réseaux sociaux ont joué un rôle important. Les récentes manifestations au Népal, par exemple, ont été largement relayées en ligne et ont eu un fort impact médiatique. Je pense que cela a pu inspirer des manifestants dans d’autres régions du monde.
>> Lire à ce sujet : Le bilan des émeutes au Népal monte à 51 morts, les tractations politiques se poursuivent
Ce n’est pas la première fois que des symboles d’œuvres de fiction sont adoptés par des mouvements de protestation.
Oui, ce n’est pas un cas isolé. Les symboles du cinéma et des séries télévisées sont facilement reconnaissables. Par exemple, en 2019, des manifestantes en Alabama ont défilé vêtus de robes rouges et de coiffes blanches contre l’introduction du Human Life Protection Act, une loi très restrictive sur l’avortement. Il s’agissait des costumes de « La Servante écarlate », une série inspirée d’un roman de Margaret Atwood qui dépeint un futur dystopique où les femmes sont soumises et utilisées comme de simples outils de reproduction. Il y a aussi le masque emblématique de Guy Fawkes du film « V pour Vendetta », devenu un symbole contre l’oppression et adopté lors des manifestations d’Occupy Wall Street et des Printemps arabes. C’est aussi le visage de l’organisation de hackers Anonymous.
Le lien entre la figure du pirate et la culture numérique pourrait-il avoir contribué à la popularité du drapeau de « One Piece »?
L’idée de piraterie est reliée plus que tout à l’idée de chercher à subvertir un ordre qui est considéré comme illégitime ou qui est considéré comme oppressif envers la population. La piraterie, dans le cas des protestations, est considérée justement comme une revendication envers un ordre qui n’arrive plus à protéger les droits et les intérêts des citoyens.
Adaptation française: Julien Furrer (RTS)
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