L’intersyndicale des travailleurs avait appelé à une mobilisation massive le 2 octobre 2025, ici à Paris. – © Éric Broncard / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Depuis plusieurs jours, des milliers d’internautes interpellent leurs députés pour les inciter à voter l’impôt de 2 % sur le patrimoine des ultrariches, lors de l’examen du budget 2026 qui se tiendra à partir du 24 octobre.
Les réseaux sociaux peuvent-ils faire basculer l’examen du budget d’un pays ? Le 20 octobre, l’activiste écologiste Camille Étienne a publié sur Instagram un post dénonçant le rejet, quelques heures plus tôt, en commission des finances de l’Assemblée nationale, de la taxe Zucman. Celle-ci, du nom de l’économiste Gabriel Zucman, prévoit d’instaurer un impôt de 2 % sur le patrimoine des ultrariches. « Le groupe de Gabriel Attal s’est allié au groupe de Marine Le Pen pour protéger les milliardaires et voter contre la taxe Zucman », a fulminé Camille Étienne.
La militante a donc sorti le grand jeu, en publiant sur son compte la liste de tous les députés Renaissance, Les Républicains (LR) et Rassemblement national (RN), puis en incitant les internautes à interpeller ces parlementaires, en commentaire de son post ou en leur envoyant directement un mail. Objectif : les convaincre de changer d’avis et de voter en faveur de la taxe Zucman lors de l’examen du budget 2026, qui aura lieu cette fois en assemblée plénière, à partir du vendredi 24 octobre.
« Notre atout décisif : contrairement au vote en commission, le vote en assemblée plénière permettra de savoir exactement quel député a voté quoi, de manière nominative », a rappelé Camille Étienne. Et d’imaginer : « Si on exerce une pression citoyenne massive sur les députés Renaissance, LR et RN d’ici le vote de vendredi, nous avons une chance de gagner. » Son post a été « liké » par plus de 81 000 personnes. En quelques heures, des centaines de députés ont été interpellés dans les commentaires.
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Alexandra, habitant en Auvergne-Rhône-Alpes, a ainsi écrit à Gabriel Attal et Marine Le Pen, sans oublier la figure politique de sa région, le député Laurent Wauquiez (LR) [1]. Cette femme de 40 ans a subi deux cancers, en 2018 puis en 2022. Elle est toujours en soins et en arrêt maladie. Alors, quand elle a vu que les députés envisageaient de taxer les indemnités journalières que les malades chroniques — comme elle — perçoivent, plutôt que de taxer le patrimoine des ultrariches, elle a saisi la plume. « Je trouve ça révoltant, témoigne-t-elle. Ils préfèrent taper sur le domaine de la santé ou de l’aide sociale, des choses dont on a besoin, pour protéger les privilèges des ultrariches qui n’ont pas envie de perdre un peu d’argent. »
« On n’est plus entendus »
Pour faciliter les interpellations des députés, Lou, 21 ans, a mis au point des liens permettant d’envoyer un mail préécrit à plusieurs parlementaires d’un même groupe, en un seul clic. Le tout, partagé en commentaire du post de Camille Étienne. « Ça a pris une ampleur à laquelle je ne m’attendais pas du tout, se réjouit Lou. Plein de personnes ont liké mon commentaire, m’ont envoyé des messages pour me remercier. J’ai donc passé plusieurs heures à perfectionner le système et corriger les bugs techniques, pour que ça tourne encore plus. Si on est des milliers à écrire aux députés, on peut peut-être faire pencher la balance en notre faveur. »
En découvrant cet outil, Jessie, 44 ans, a « sauté sur l’occasion » pour envoyer un mail à la députée de sa circonscription en Loire-Atlantique — une élue La France insoumise, qui devrait a priori voter pour la taxe —, ainsi qu’à d’autres parlementaires. « C’était super facile, ça m’a pris deux minutes, salue Jessie. J’essaie de faire ce que je peux à mon échelle, cela m’est possible, donc je le fais. » Cette gestionnaire de service après-vente témoigne qu’il est « douloureux » pour elle de voir le gouvernement envisager de taxer les tickets-restaurant et les chèques-vacances plutôt que les gros patrimoines, « alors qu’on trime toute la journée ».
« Un rapport de force se crée, dans la rue comme sur les réseaux sociaux »
En outre, Jessie a le sentiment que, depuis les élections législatives anticipées de 2024, les citoyens ne sont « plus entendus ». « On a voté pour le retour de la gauche, au moins en cohabitation, et depuis, les Premiers ministres se succèdent et les budgets qu’ils prévoient sont de pire en pire », soupire-t-elle. D’où son envie d’être active et de tenter de reprendre le pouvoir.
Il faut dire que les mobilisations parties des réseaux sociaux portent parfois leurs fruits : on se souvient du succès — inattendu — des 2,1 millions de signatures récoltées par la pétition contre la loi Duplomb, en plein mois de juillet. Avec ses limites : cet engouement populaire n’a pas conduit à l’abrogation du texte. Un débat aura lieu dans l’hémicycle le 5 novembre… sans qu’un nouveau vote soit prévu.
Des députés agacés
La marge de manœuvre des internautes reste donc limitée. « Je sais que je ne vais pas convaincre Marine Le Pen en lui envoyant un mail, reconnaît Lou. Mais un rapport de force se crée petit à petit, partout, dans la rue comme sur les réseaux sociaux. Il faut tout tenter. Ça rappelle aux députés qui les a élus. » Les équipes parlementaires de certains députés semblent d’ailleurs mobilisées, envoyant parfois des réponses argumentées aux internautes.
L’ampleur du mouvement citoyen agace même. Éric Bothorel, député Renaissance des Côtes-d’Armor, indique avoir reçu « plus d’une centaine [d’interpellations par mail] en quelques heures, toutes copiées et collées ». « Il ne s’agit nullement d’un engouement et il est surtout totalement contre-productif, affirme-t-il. Écrire à quinze députés à la fois, en prétendant être un électeur ou une électrice de leur circonscription, indique assez bien le spamming, qui est pourtant encadré par les législations européenne et nationale. »
Il rappelle que « le droit de vote des membres du Parlement est personnel », et se dit « sceptique » des rendements de la taxe Zucman, ne sachant précisément combien de milliards d’euros elle devrait rapporter. « En l’état, il est probable que je ne la vote pas, mais que je soutienne tout dispositif plus sérieux, crédible, efficace, de taxation supplémentaire des super-revenus, de taxation de la rente », résume-t-il, précisant qu’il n’a « jamais fait » et ne « [fera] jamais bloc avec le Rassemblement national ».
Du côté des internautes, la mobilisation se poursuit malgré tout. Celle-ci ne suffira pas, alerte Lou : « Il ne faut pas qu’après avoir envoyé un mail, les gens se disent que c’est bon, ils ont fait leur part pour la démocratie. C’est un début de réempouvoirement démocratique, mais il est absolument nécessaire que les gens s’investissent dans des collectifs, des communautés, s’organisent. Face à la montée du fascisme, nos institutions démocratiques doivent être réformées pour permettre plus de participation et de prise en compte de l’avis citoyen. » Les courriels ne sont qu’un début.
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