Trump rate le Nobel de la Paix…

Trump rate le Nobel de la Paix… octroyé à une fan inconditionnelle  : mais de quoi María Corina Machado est-elle le nom ?

Par aplutsoc le 11 octobre 2025

Il est de bon ton de s’indigner, à gauche, sur l’octroi du Nobel de la Paix 2025 à la cheffe de file de l’opposition vénézuélienne, María Corina Machado. À n’en pas douter, la lauréate est bel et bien l’anti-héroïne par excellence de la Révolution bolivarienne depuis une vingtaine d’années. Et c’est sans doute à ce titre, ajouté à sa proximité avec Trump qu’elle a reçu ce Nobel (quoiqu’il serait capable de la jalouser et la lâcher), et que cela agace autant de gens de gauche.

Mais à lire nombre de « posts » sur les réseaux sociaux, si peu de gens en dehors des milieux castristes et poutinistes se risquent à clamer que Nicolas Maduro est, lui, un homme de paix, rares sont celles et ceux qui semblent percevoir à quel point le syntagme « Révolution bolivarienne » renvoie à une toute autre réalité qu’il y a vingt ans. Et partant, pourquoi cette identité d’héroïne anti-chaviste ou de « contre-révolutionnaire » en cheffe a précisément fait la fortune populaire de Machado au pays de feu Hugo Chávez. Au fond, cette vague d’indignation subite contre la lauréate paraît plus souvent satisfaire à un besoin de réassurance identitaire de type fétichiste (non sans nostalgie pour la figure de Chávez), qu’à l’envie de comprendre et de se solidariser avec ce que vivent aujourd’hui les Vénézuéliens, et notamment les plus pauvres que beaucoup s’imaginent défendre en dénigrant Machado sans dire mot de Maduro. Une réalité encore trop souvent méconnue ou relativisée, qu’il s’agisse de celles et ceux qui sont restés au pays, ou des plus de 8 millions de leurs proches et concitoyens (sur 32 millions) qui ont été jetés sur les routes de l’exode depuis 2014, sous l’effet de l’effondrement quasi-intégral de l’économie et des services publics et de l’élimination tout aussi brutale des droits démocratiques les plus élémentaires.

Il est vrai que Machado est l’héritière d’une très riche famille de la grande-bourgeoisie patronale, et a toujours défendu un programme ultra-libéral, quoiqu’elle ait pu se défendre d’être aussi radicale qu’un Milei sur le plan économique. Il est tout aussi vrai qu’en avril 2002, elle a soutenu plus que n’importe quelle figure d’opposition encore en vue le putsch éphémère contre Chávez. En effet, elle n’a pas seulement appuyé sa destitution express par une coalition d’élites militaires et politiques, syndicales et patronales, médiatiques et religieuses, sous les applaudissements de Georges W. Bush et José María Aznar (au prétexte de heurts mortels survenus de part et d’autre lorsqu’une méga-manifestation d’opposition secondée par la police municipale passée à l’opposition a choqué contre un cortège de chavistes pour beaucoup armés autour du palais présidentiel). Elle a aussi répondu présente, contrairement à bien d’autres opposants et d’une partie non négligeable (syndicale notamment) de ladite coalition élitaire, à l’invitation du chef du patronat Pedro Carmona quelques heures plus tard, après qu’il se soit imposé comme « président intérimaire », à signer son « décret » d’auto-« investiture », dissolvant d’un trait de plume tous les pouvoirs publics et la Constitution (au grand dam des gringos). Et déclenchant, ajouté aux protestations populaires massives ayant incité à un début de contre-mobilisation de militaires loyaux, le retournement d’une partie substantielle de l’armée, et la remise en selle de Chávez le surlendemain.

De même, les années suivantes, tandis que ces événements avaient définitivement conféré au chavisme ses galons révolutionnaires au sein d’une bonne partie de la gauche internationale, Machado a fait partie de celles et ceux qui ont poussé au couplage à visée putschiste d’une grève pétrolière avec un lock-out patronal (2003), à la remise en cause de la victoire incontestable du « non » au référendum sur la révocation de Chávez à mi-mandat (2004) et au boycott des élections législatives (2005), faisant cadeau de l’Assemblée nationale à l’exécutif qui n’en demandait pas tant. Soit autant d’actions qui ont produit l’inverse du résultat escompté, facilitant la mise en œuvre, au cours des années suivantes, de ce que ces opposants disaient précisément redouter : la mise sous tutelle « chaviste », mais entendu par là plutôt de l’exécutif que du mouvement populaire éponyme – qui devait se contenter d’une « démocratie participative » très localisée -, des secteurs administratifs et économiques clés les uns après les autres (armée, police, justice, pétrole, fisc, etc. ; et en attendant des pseudo-nationalisations de secteurs dits « stratégiques » se traduisant de facto par des transferts privés massifs de ressources à des hiérarques politiques ou militaires chavistes, pour l’essentiel hyper-corrompus, et hostiles à toute forme d’autonomie syndicale).

Il est tout aussi vrai que dans la foulée de la disparition de Chávez (2013), après s’être relativement « assagie » au cours du second mandat du Commandante (2006-2012), les affaires et pactes allant bon train pour toute la bourgeoisie – ancienne comme nouvelle – à la faveur d’un boom pétrolier record et quasi-interrompu depuis 2003, Machado a poussé à la contestation dans la rue, s’avérant assez violente (une dizaine de mort de part et d’autre), de l’élection ultra-serrée de Maduro face à Henrique Capriles (avec 800 000 voix de moins que Chávez six mois plus tôt), alors qu’il n’avait matériellement pas les moyens de prouver que la tendance avait pu être inversée pendant les quelques heures où la transmission automatique des résultats avait été interrompue sans explications outre-mesure. De même, en 2014, Machado profita des premiers morts causés par la répression alors inédite de protestations initialement étudiantes contre les pénuries de biens de première nécessité, l’inflation et l’incurie policière, déjà rejointes par nombre de citoyens paupérisés dans l’intérieur du pays, pour y insuffler avec l’aile droite de l’opposition la consigne de « dégager » Maduro – celle-là même qui valut l’incarcération de son comparse d’alors Leopoldo López, auquel le régime fit porter, sur la seule base d’un discours, le chapeau des quelques dizaines de morts essuyés par ce mouvement entre février et juin 2014.

Reste que si cet élan insurrectionnel précoce était parfaitement inconstitutionnel, il n’en va pas du tout de même des appels ultérieurs au renversement de Maduro par la force de la rue et des casernes, qui se sont étendus à d’autres franges de l’opposition libérale et même à une partie de la gauche radicale dissidente (pour ce qui est de la rue, au sein du Parti Socialisme et Liberté), l’exécutif ayant gouverné seul via un État d’exception ad infinitum du moment qu’il a perdu sa majorité à l’Assemblée nationale fin 2015, manipulant allégrement la quasi-totalité des scrutins ultérieurs.

Ainsi des méga-manifestations record et férocement réprimées d’avril à juillet 2017 (une centaine de morts), survenues peu après la suspension sin die d’un référendum sur la révocation de Maduro fin 2016 (qu’il était en passe de perdre), et moment clé d’institutionnalisation de l’essentiel des pratiques constitutives de la terreur répressive tant en uniforme que clandestine actuellement à l’œuvre contre des opposants et dissidents de toutes origines sociales et obédiences partisanes. De fait, tant la « Dame de fer » de l’Est chic de Caracas que des leaders d’opposition moins droitiers commençaient alors à acquérir une certaine aura en dehors de leur base traditionnelle des classes moyennes et supérieures, des habitants de nombre de barrios populaires s’étant joints à ce mouvement multiforme qui faisant déjà tomber quelques statues de Chávez (quoique sans afficher de signe identitaire propre, de peur d’être pistés de retour chez eux). Or, alors que l’année 2018 avait vu la multiplication des protestations syndicales, plusieurs secteurs de gauche ayant rompu avec Maduro, Machado s’est avérée des plus zélées dans la stratégie de « pression maximale » de Trump I concoctée avec l’aile droite de la majorité parlementaire déchue face à la réélection contestée de Maduro (largement boycottée puisque taillée sur pièces). Et cette stratégie s’est avérée parfaitement contre-productive : les embargos sur la dette (2017) et le pétrole (2019) ont rendu les plus pauvres encore plus dépendants des maigres aides dispensées par le régime, et sujets par là à un véritable contrôle biopolitique, tout en enrichissant encore plus les patrons proches de Maduro (exportant des minerais par voie de contrebande et important tout le reste pour le revendre à prix d’or) ; tandis que les menaces militaires se sont avérées être un pur bluff (via John Bolton), et les aventures paramilitaires soutenues à demi-mot par Trump I (mais déconseillées par la CIA) ont tourné au fiasco, aggravant la répression au sein de l’armée, resserrant les rangs autour de Maduro, et alimentant le fantasme d’un salut venu de « l’Empire » dans les rangs oppositionnels.

En vue la présidentielle de 2024, dont la bonne tenue a été négociée par Joe Biden depuis 2022 en échange de la levée partielle de l’embargo sur le pétrole au bénéfice de Chevron (levée prolongée par Trump II et étendue récemment à la Shell), Machado a remporté les primaires d’opposition à 90% mais, décrétée inéligible par le régime, elle a propulsé à sa place un parfait inconnu, Edmundo González Urrutia, vieux diplomate d’ancien régime.

Menant campagne pour « Edmundo » sous le signe du « retour de la démocratie » et de « la réunification des familles » (passablement disloquées par l’exode massif), et ce de façon on ne peut plus combative – les membres de son équipe et ses prestataires se faisant harceler et incarcérer les uns après les autres au fil des semaines -, Machado est parvenue à faire du vote un instrument quasi-insurrectionnel face à l’autoritarisme de Maduro. Et de fait, quoique Maduro se soit déclaré « vainqueur » à 51% le 28 juillet au soir après une interruption subite de la transmission automatique des résultats des bureaux de votes (au prétexte d’un « piratage » censément orchestré par internet « depuis la Macédoine du Nord »), « Edmundo » a bel et bien remporté le scrutin haut la main avec près de 70% des voix, soit une victoire record dans l’histoire républicaine du Venezuela. Or, là où Machado prétendait avoir un « plan » bien huilé en cas de fraude, elle ne comptait guère, en réalité, que sur d’improbables défections aux sommets de l’armée (les rangs moyens et inférieurs étant largement désarmés et archi-surveillés), et sur le fait d’appeler Trump avec sa machine de guerre à la rescousse.

Pire, décidément rétive à toute politique autonome des masses dont elle louait pourtant le désir de liberté, elle a cru bon, devant le soulèvement populaire massif déclenché dans les barrios populaires et les bourgs des quatre coins du pays au lendemain du vol de l’élection, d’inviter les bonnes gens à rester chez elles plutôt que de se joindre au mouvement (en l’attente de futurs rassemblements « en famille » et de la démonstration de la fraude), facilitant en cela la répression on ne peut plus féroce déployée par le régime – avec notamment une vingtaine morts par balle en quelques jours et quelque 2500 arrestations en quelques semaines.

Une fois « Edmundo » exilé, elle-même rentrée en clandestinité et Trump II investi, Machado s’est affichée en visioconférence (à l’instar d’un Netanyahou) à une réunion des « Patriotes » européens avec Elon Musk (soit l’extrême-droite pro-Poutine… lequel est pro-Maduro !), confortant son image d’extrême-droite « suprémaciste » largement fabriquée par le régime (alors qu’elle est surtout une « anticommuniste » croyante dans le mythe du « bon Occident » comme bien des libéraux plus ou moins radicaux). Et surtout, elle n’a cessé d’alimenter la nouvelle rhétorique trumpiste selon laquelle Maduro serait à la tête d’un régime « narco-terroriste » qui exporterait sciemment des masses de criminels aux USA, voyant là un moyen d’inciter Trump à une « opération spéciale » contre Maduro.

Ce faisant, elle a aidé à justifier les pires actions de Trump. D’une part, la déportation massive et indiscriminée de ces migrants pour beaucoup exilés (et même ceux sous protection humanitaire), contre laquelle elle n’a réagi que tardivement et du bout des lèvres (demandant poliment à Trump de « trier le bon grain de l’ivraie », pour ainsi dire). Et d’autre part, la campagne d’escalade actuelle dans les Caraïbes qui s’est traduite par le bombardement sans sommation de bateaux de pêche vénézuéliens soupçonnés de transporter de la cocaïne en pleine mer (quatre à ce jour, avec au moins 21 morts en tout), ce contre quoi elle n’a même pas réagi, alors qu’il s’agit exactement du genre d’exécutions extrajudiciaires que Maduro a fait perpétrer en masse dans les barrios populaires sous prétexte de « lutte contre la criminalité » depuis dix ans (et qu’elle n’a jamais hésité à amalgamer avec de la répression politique, alors qu’on a plutôt affaire à de la répression sociale classiste, certes non moins criminelle, quoique ces deux types de répression ont pu s’amalgamer face à des débuts de soulèvement ça et là). Aussi serait-elle prompte à appuyer des « frappes ciblées » de Trump II contre des objectifs politico-militaires visant à faire plier Maduro, alimentant toujours et encore le mythe selon lequel on pourrait « transiter à la démocratie » pacifiquement via une intervention militaire US – malgré la prolifération de groupes armés aux obédiences et intérêts mouvants en long et en large du territoire.

Il y a donc plein de bonnes raisons de critiquer Machado, mais on ne gagne rien à le faire sans évoquer Maduro. Et l’on risque surtout de servir la propagande de sa dictature militaro-mafieuse, destinée à réprimer tout type d’opposant ou de dissident par association avec ladite « ultra-droite » du simple fait de vouloir également la chute du régime, si l’on ne comprend pas combien la paupérisation et la répression extrêmes que ce dernier a infligées à la population ont permis à la lauréate du Nobel de devenir aussi populaire.

Et ce, à tel point qu’en dehors des cercles militants de gauche ou de ce qu’il en reste, beaucoup de gens ne voient aucune contradiction entre l’attribution de ce prix et son appui à une intervention impérialiste pour renverser le régime – ou a fortiori avec sa précédente campagne du genre en 2019-2020, ses velléités insurrectionnelles précoces en 2014, ou son putchisme au début des années 2000. En somme, comme cela arrive toujours quand un pseudo-« socialisme » devient synonyme de faim, de torture et d’exode, et un peu à l’instar de ce que peuvent nous expliquer nos camarades ukrainiens sur la difficulté à se revendiquer « de gauche » depuis l’effondrement de l’URSS, le succès populaire bien réel et massif de l’ultra-libérale et pro-trumpiste Machado, avec tous ses travers pro-impérialistes et « occidentalistes », nous donne la mesure de la faillite totale du chavisme au pouvoir et de la détestation radicale de tout ce qui lui est associé de près ou de loin.

FA, le 10/10/2025.

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