À l’Assemblée nationale comme dans les médias Bolloré, l’extrême droite se coordonne pour démolir l’audiovisuel public. Face à ces attaques, des enquêtes de France 2 et Reporters sans frontières rappellent par les faits comment CNews ne respecte pas ses obligations de pluralisme et propage massivement ses obsessions identitaires.
Mardi 25 novembre, sur la scène du Dôme de Paris, le polémiste Gilles-William Goldnadel sait comment obtenir une réaction facile du public : il suffit d’une petite pique destinée à « l’audiovisuel de service public », accusé d’avoir caché l’origine du violeur de Claire Geronimi, présente à ses côtés. Huées du public, comme à chaque meeting de l’extrême droite où l’audiovisuel public, son budget et sa supposée idéologie sont presque systématiquement ciblés.
L’avocat, chroniqueur régulier de CNews et pourfendeur compulsif de ce qu’il nomme « l’odieux visuel de sévices publics » à qui il assume de mener « une guerre », fera pourtant son apparition sur France 2, jeudi 27 novembre. Il fait partie des quelques habitués des plateaux de la chaîne de Vincent Bolloré à apparaître dans le reportage que « Complément d’enquête » consacre à cette dernière, fruit de huit mois d’enquête de la journaliste Lilya Melkonian.
Dans ce reportage, Gilles-William Goldnadel explique utiliser la première chaîne d’information en continu française comme un porte-voix médiatique pour infuser ses idées politiques dans la société. « Il m’intéresse d’exercer mon influence », reconnaît-il face caméra, avant de prétendre que « CNews a donné une respiration de liberté » à la société et qu’elle est surtout « anti-idéologie » et « contre le prêt-à-penser ».
« Complément d’enquête » démontre également comment la chaîne portée par Pascal Praud – qui a décliné les demandes d’entretien, tout comme les dirigeant·es de CNews – ignore sciemment les faits pour diffuser les obsessions de Vincent Bolloré.
Un ancien journaliste de la chaîne raconte ainsi comment sa rédaction en chef l’avait prévenu qu’à l’approche de la campagne présidentielle de 2022, il fallait multiplier les sujets sur les musulman·es. L’ancien chroniqueur de CNews, Éric Zemmour, avait alors le vent en poupe dans les sondages, et bénéficiait d’un traitement ultra-favorable sur son ancienne chaîne.
L’audiovisuel public ciblé de toutes parts
Des boucles internes où l’on exige de donner à l’antenne la nationalité des personnes placées en garde à vue lorsqu’elles sont étrangères au traitement anxiogène des faits divers, prétextes à toutes les récupérations politiques, le magazine d’investigation déroule comment CNews fabrique quotidiennement de la haine, en contradiction flagrante avec ses obligations légales.
À l’Assemblée nationale, c’est pourtant le service public de l’audiovisuel qui fait l’objet d’une médiatique commission d’enquête parlementaire, lancée à l’initiative de l’extrême droite. Dès la première audition de cette commission, mardi 25 novembre, son rapporteur Charles Alloncle (Union des droites pour la République, UDR) dénonçait déjà les « atteintes répétées » à la « neutralité », à la « transparence » ou à « l’impartialité » de l’audiovisuel public.
« Nous ne sommes pas ici dans un tribunal politique et les députés présents ne sont pas des juges », a même tenté de déminer Jérémie Patrier-Leitus, le président Horizons de la commission. « Personne ici ne passera sur le gril et nous ne sortirons pas les cadavres du placard », a-t-il aussi prévenu, alors que l’entourage d’Éric Ciotti, patron de l’UDR, promet tout le contraire.
Martin Ajdari, président de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) depuis février, a ouvert le bal des auditions. Face à lui, Charles Alloncle et plusieurs élu·es d’extrême droite ont multiplié les sous-entendus mettant en cause l’ex-CSA puis le service public, avant de questionner le patron de l’autorité de régulation sur son supposé excès de zèle quand il s’agit de sanctionner les chaînes de la galaxie Bolloré.
Le ton inquisitoire du rapporteur questionne.
« Tout éditeur n’a pas vocation à avoir le même nombre de sanctions », a rappelé le président de l’Arcom, avant de préciser que toutes les décisions de son institution étaient collégiales et adossées à des textes de loi. Parmi les nombreux député·es présent·es, personne n’a toutefois rappelé que le service public, contrairement à C8 ou CNews, n’a jamais diffusé de canular homophobe, insulté des élu·es de la République ou jeté en pâture les noms de parfait·es inconnu·es.
Cette première audition a surtout montré la tonalité très offensive que l’extrême droite compte adopter pour les prochaines semaines. « Le ton inquisitoire du rapporteur questionne », a d’ailleurs pointé l’élu écologiste Jérémie Iordanoff, avant de rappeler que l’UDR était « largement soutenue et parrainée » par Vincent Bolloré, le même qui détient des « médias privés ». « N’est-ce pas un usage détourné du contrôle parlementaire ?, a-t-il questionné. On peut s’interroger sur la finalité de cette commission d’enquête. »
En réalité, cette commission d’enquête n’est que le prolongement sur le terrain parlementaire d’une croisade coordonnée, lancée depuis plusieurs mois par la sphère politico-médiatique d’extrême droite contre les médias du service public. D’un côté, le Rassemblement national (RN) et ses alliés martèlent à l’envi leur souhait de privatiser l’audiovisuel public une fois au pouvoir. De l’autre, la « bollosphère », pointée du doigt et régulièrement sanctionnée pour son mépris du pluralisme, tente de détourner l’attention en ciblant France Télévisions et Radio France.
Depuis des mois, les médias Bolloré se jettent sur la moindre opportunité pour taper sur l’audiovisuel public, qu’ils accusent d’être un repaire de gauchistes subventionnés par le contribuable. Des semaines durant, l’enregistrement pirate d’une discussion entre des éditorialistes du service public, Thomas Legrand et Patrick Cohen, et des cadres du Parti socialiste, a ainsi fait les choux gras de CNews et Europe 1.
Le Journal du dimanche (JDD), aussi dans le giron du milliardaire breton, a consacré moult articles et unes au supposé parti pris de l’audiovisuel public en faveur de la gauche, et vient même de publier un sondage concluant que 60 % des Français·es jugent que celui-ci n’est pas impartial. Le sondage, dont la méthodologie n’est pas précisée, a été réalisé auprès d’un échantillon de 1 010 personnes par l’entreprise CSA… propriété de Vincent Bolloré.
Dernier journal avalé par le milliardaire breton, le magazine économique Capital consacre lui sa dernière une à « la gabegie » financière de l’audiovisuel public. Le dossier a été écrit par un journaliste du JDD, celles et ceux de Capital ayant refusé de prêter leur plume à la bataille culturelle du milliardaire breton.
Selon les informations de Mediapart, une clause de conscience s’ouvre d’ailleurs vendredi 28 novembre pour les journalistes du magazine qui préfèrent partir plutôt que de voir leur journal être transformé en organe d’influence en faveur de l’extrême droite. Au moins une dizaine de journalistes sur les vingt-six que compte la rédaction sont sur le départ.
CNews contourne toujours les règles sur le pluralisme
À l’évidence, en matière d’orientation idéologique, les médias Bolloré, et particulièrement CNews, n’ont aucun équivalent quand il s’agit de fouler aux pieds les règles sur la diversité des points de vue et des courants de pensée représentés sur son antenne.
En avril 2022, Reporters sans frontières (RSF) avait saisi le Conseil d’État pour dénoncer « l’inaction » de l’Arcom face aux dérives répétées de CNews. La plus haute juridiction administrative avait alors enjoint à l’autorité de réviser sa manière de contrôler le respect du pluralisme, estimant que le seul décompte des temps de parole des personnalités politiques n’était pas une mesure suffisante de la diversité des intervenant·es sur les chaînes de télévision.
En juillet 2024, l’autorité avait alors décidé d’étendre son contrôle à l’ensemble des intervenant·es présent·es en plateau pour commenter l’actualité. Un an plus tard, CNews n’a pourtant rien changé à sa manière de faire. Selon une étude publiée cette semaine par RSF, fondée sur l’analyse de plus de 700 000 bandeaux diffusés au mois de mars, la chaîne du groupe Bolloré « s’éloigne de manière flagrante et systématique du cadre imposé depuis juillet 2024 ».
En l’espèce, l’organisation de défense de la liberté de la presse apporte un constat chiffré à ce que nous révélions en avril 2024 à partir de dizaines de témoignages et de milliers de documents internes : CNews ignore sciemment les faits pour mieux servir ses obsessions identitaires et religieuses. Ainsi, au mois de mars, 16,9 % des sujets traités sur la chaîne concernaient l’insécurité, 13,9 % l’islamisme et les questions identitaires et 8,9 % l’immigration.
Ces thèmes sont, d’après RSF, cinq fois plus présents sur CNews que sur les autres chaînes concurrentes, où la guerre en Ukraine a constitué, sur la même période, le sujet principal. Une monomanie qui s’exprime particulièrement sur les heures de grande écoute : le matin entre 7 et 10 heures et le soir de 18 à 21 heures, plus de 40 % des bandeaux étaient consacrés en mars à l’extrême droite et à ses porte-voix.
Avec un tel déséquilibre, comment CNews parvient-elle à se conformer à ses obligations en matière de temps de parole ? La chaîne tricherait, en rattrapant pendant la nuit les temps de parole de la gauche. Ainsi, lorsque l’immense majorité des téléspectateurs et téléspectatrices dorment et que les audiences sont au plus bas, CNews diffuse des interviews ou des conférences entières de François Hollande ou de Jean-Luc Mélenchon.
L’Arcom conteste toutefois la méthodologie de RSF. « Il n’y a pas de contournement de nos règles de pluralisme sur le mois de mars 2025 », affirme le régulateur dans Le Point.
Riposte judiciaire
Le numéro de « Complément d’enquête » diffusé jeudi soir s’appuie justement sur ces éléments chiffrés et sur nos révélations, entre autres, pour asseoir le constat que CNews sert l’agenda de l’extrême droite et mène la bataille culturelle pour son compte. À leur corps défendant, les médias publics se sont ainsi retrouvés embarqués dans cette bataille qu’ils ont longtemps cherché à fuir.
Mais, après des mois d’hésitations à tendre l’autre joue face à la virulence des attaques, l’audiovisuel public s’est décidé à répliquer. D’abord, timidement sur le terrain des valeurs, lorsque Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, a qualifié CNews en septembre de « média d’opinion » et de « chaîne d’extrême droite ». Ensuite, plus vigoureusement, sur le plan judiciaire. France Télévisions et Radio France ont déposé la semaine du 10 novembre une assignation pour dénigrement devant le tribunal des activités économiques – le nouveau nom du tribunal de commerce – à l’égard de CNews, Europe 1 et Le JDD.
En pleine guerre ouverte avec les médias publics, la « bollosphère » compte bien sur l’appui des partis d’extrême droite, pour lesquels la chaîne façonne chaque jour l’opinion. Et le parti de Marine Le Pen et ses alliés sont aussi capables de rendre la pareille. Jeudi soir, dans les fauteuils rouges de « Complément d’enquête », ce n’est pas une figure de l’antenne qui a été désignée pour défendre CNews, mais bien Philippe Ballard, député RN et vice-président de la commission d’enquête de l’Assemblée.
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