CE QUI FOUT VRAIMENT LA FROUSSE, CE N’EST PAS SEULEMENT LA PRATIQUE ASSASSINE BANALISÉE: les commentaires sont une plongée effarante dans la mentalité des gendarmes de base, comme des gradés. Ils parlent volontiers comme ceux que leurs penseurs appellent des racailles (cheh!) et ils expriment une jouissance sans frein à blesser gravement, ils disent explicitement qu’ils pourraient tuer. Les exactions des nervis fachos ici et là sont certes inquiétantes, mais les Sections d’Assaut d’un corps longtemps présenté comme républicain (alors qu’ils n’avaient pas hésité à tirer dans le dos des déserteurs de 14-18, rafler les juifs et les résistants en 39-45, tirer sur les grévistes etc.), les SA du bloc bourgeois assureront, s’il le juge nécessaire, l’essentiel du boulot de nettoyage social avec toute l’inhumanité nécessaire, soyez-en sûr. Ils sont prêts. Article en copié-collé ci-dessous.
VOIR AUSSI EN PREMIER COMMENTAIRE LE COMMUNIQUE DE BLESSES GRAVES DE SAINTE SOLINE
«Je ne compte plus les mecs qu’on a éborgnés» à Sainte-Soline : révélations en images sur les tirs illégaux de grenades par les gendarmes
«Libération» et «Mediapart» dévoilent, vidéos à l’appui, comment, lors de la manifestation interdite contre un chantier de mégabassine le 25 mars 2023, les forces de l’ordre ont multiplié les tirs tendus de grenades explosives et lacrymogènes. Des dizaines de personnes ont été blessées, plusieurs gravement.
Ils qualifient les manifestants de «pue-la-pisse», «d’enculés», de «chiens», parlent d’un «vrai kif» à propos des personnes qu’ils ont gravement blessées, disant avoir «signé pour ça». Ou encore évoquent, hilares, de nombreuses victimes : «Je compte plus les mecs qu’on a éborgnés.» Ces propos sont issus des dizaines d’heures de vidéos brutes filmées par les caméras des gendarmes mobiles lors de l’opération de maintien de l’ordre à Sainte-Soline (Deux-Sèvres). Ce samedi 25 mars 2023, des militants écologistes décident de braver l’interdiction de manifester de la préfecture pour s’approcher du chantier contesté d’une mégabassine. Les images captées par les caméras des forces de l’ordre, que révèlent Libération et Mediapart, montrent de nombreux tirs tendus de grenades lacrymogènes et explosives, une utilisation interdite et potentiellement mortelle de ces armes qui doivent être utilisées en cloche pour s’ouvrir en l’air. Ces usages illégaux, à l’origine des blessures les plus graves des manifestants, ne sont pas des cas isolés mais bien le résultat d’ordres délibérés de procéder à de tels tirs.
Le dispositif sécuritaire déployé ce jour-là pour empêcher les militants d’accéder au chantier de la mégabassine est conséquent : onze escadrons, vingt quads du peloton motorisé de la garde républicaine, deux véhicules blindés et deux camions équipés d’une puissante lance à eau. En un peu moins de trois heures, les quelque 2 000 gendarmes mobilisés tirent plus de 5 000 grenades, dont un quart sont des GM2L, des munitions composées de gaz lacrymogène mais surtout d’une charge explosive qui peut mutiler voire tuer.
Si la vidéo ne s’affiche pas, cliquez ici
Plusieurs plaintes
A l’issue de la mobilisation, deux manifestants, Serge D. et Mickaël B., sont hospitalisés avec un pronostic vital engagé, à la suite de tirs reçus à la tête. Comme l’avait révélé Libération dans une précédente enquête visuelle, le premier a été atteint par un tir tendu de grenade lacrymogène. Les investigations menées par l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) ont permis de retrouver un gendarme suspecté de l’avoir blessé. Serge D., dont le crâne a été fracturé par la munition, a passé un mois dans le coma et conserve encore aujourd’hui d’importantes séquelles, telles que des troubles de la vue, de l’audition et des crises d’épilepsie. Pour le second, l’expertise judiciaire conclut que sa blessure a bien été causée par les forces de l’ordre et «pourrait» être due à un tir tendu de grenade.
Alix (1) a elle aussi été hospitalisée dans un état grave, atteinte au visage par un tir tendu de grenade. Une GM2L qui a fracassé sa mâchoire et plusieurs os de son visage, puis a explosé ses jambes, selon l’expertise judiciaire. Ces trois blessés, sur les dizaines recensés ce jour-là, ont déposé plainte et une enquête préliminaire pour violences aggravées et non-assistance à personne en danger, toujours en cours, a été ouverte par le parquet de Rennes. C’est dans le cadre de cette procédure que les images captées par les caméras piétons des gendarmes ont été rassemblées.
«Tirer dans la gueule»
Les vidéos analysées par Libération et classées par unité, par heure et par type de faits, permettent de suivre, de l’intérieur, les agissements des gendarmes. Les premiers militants arrivent près du site vers 12 h 30. Parmi eux, se trouvent des familles, des élus, ainsi que plusieurs centaines de personnes équipées de matériel de protection pour résister au gaz lacrymogène et organisées en différents groupes pour tenter de créer une brèche dans le dispositif des forces de l’ordre. Celles-ci ont pour consigne de ne pas laisser les militants s’approcher à moins de 50 mètres. Rapidement, des ordres d’effectuer des tirs tendus sont passés par la hiérarchie. C’est par exemple le cas à 13 h 03, lorsqu’un gradé de l’escadron de Sathonay-Camp demande : «GM2L, allez, en tendu, GM2L.» Deux minutes plus tard, il intime à ses troupes de «leur tirer dans la gueule».
Le tir tendu de grenade lacrymogène et explosive est pourtant «strictement interdit», selon les différents documents de formation et l’instruction qui encadre l’usage de ces armes. Ces munitions utilisées avec un lanceur, dont la portée peut être de 50, 100 ou 200 mètres, doivent idéalement être tirées avec un angle de 45 à 30 degrés. En dessous, le tir est considéré comme tendu. La conséquence d’un tir tendu peut être très grave : la grenade, qui pèse environ 300 grammes, n’a pas le temps de s’ouvrir en l’air et peut percuter violemment un manifestant.
lorsqu’au sein de l’escadron de Guéret, un gendarme demande des «tirs tendus», puis se félicite : «Bien joué, en pleine gueule.» Un autre sollicite auprès de ses collègues équipés de lance-grenade des tirs «encore plus bas, plus bas». Au même moment, dans l’escadron d’Aurillac, positionné sur un autre côté de la bassine, un adjudant, adjoint du commandant de l’unité, exige aussi des tirs illégaux : «Sur le groupe, devant, tendu ! Devant, tendu ! Vous balancez en tendu !» A plusieurs reprises, ce gendarme passe les mêmes ordres, allant jusqu’à hurler sur ses troupes. «En tendu, en tendu, baisse ton canon, putain dépêche-toi», crie-t-il par exemple à 13 h 16.
«Il l’a prise dans les couilles»
C’est à cette heure que débutent les affrontements les plus importants. Un groupe de manifestants parvient à venir au contact des gendarmes, sur lesquels ils jettent des pierres et des cocktails Molotov. Quatre véhicules des forces de l’ordre positionnés pour faire barrage sont incendiés. Les autorités dénombreront en fin de journée 45 militaires blessés, dont un brûlé au niveau des jambes par un cocktail Molotov.
Les ordres de tirs tendus continuent pendant plusieurs dizaines de minutes. «Lui faut lui faire un tir tendu de LG [lance-grenade, ndlr] dans la gueule, 200 mètres là», dit par exemple un gendarme de l’escadron d’Aurillac à 13 h 35. Puis, une minute plus tard : «Lui, s’il peut prendre un tir tendu dans la gueule, ça va peut-être le calmer.» A 13 h 53, des échanges entre les militaires évoquent un blessé causé par ces tirs en direction de la foule.
«GM2L !
— Tendu, tendu, tendu.
— Celle-là, elle va leur claquer dans le nez regarde.
— Bien.
— Il l’a prise dans les couilles.»
Quelques instants plus tard, face à ce manifestant qui semble gravement atteint, un gendarme se demande s’il ne faut pas intervenir. «On s’en bat les couilles, ils ont leurs medics [secouristes]», rétorque un autre militaire. Les gendarmes n’interviennent pas.
Les militaires de l’escadron de Grenoble parlent eux aussi très clairement d’un blessé causé par un tir tendu de lance-grenade. A 13 h 27, l’un d’eux, nommé «Edouardo» par ses camarades, s’exclame «tiens, ta mère la pute» après avoir effectué un tir avec un angle bien inférieur à 30 degrés. A plusieurs reprises, ce tir et ses conséquences vont être évoqués. «Celle d’Edouardo là, il l’a mis en pleine tête», dit l’un d’eux. «Oui j’ai vu», répond, enjoué, un gendarme.
Plus tard, un autre gradé dit aussi avoir «fait faire des tirs tendus» à «Edouardo». «Bah oui», répond un autre membre de la hiérarchie. «On s’en branle», reprend le premier. «Le tir d’Edouardo, il était magnifique […] c’est ce qu’ils auraient dû tous faire, comme ça tu peux identifier personne gros», dit un autre gendarme.
«On en reparle du tir tendu de tout à l’heure là, j’ai cru que le mec n’allait jamais se relever.
— Il l’a prise là, pwah !
— Il a dû la prendre pleine gueule.
— Cheh !
— La prochaine fois il restera à faire son Scrabble le dimanche.
— Ça les a calmés, il a fait du bien son tir.»
«Un vrai kif»
A plusieurs moments, le gendarme désigné comme Edouardo apparaît sur les vidéos captées par ses camarades. Dans une séquence, on l’entend parler des manifestants comme des «pue-la-pisse» et des «résidus de capote». Puis, toujours à propos des militants, il lâche à un moment : «Faut qu’on les tue.» Ce gendarme évoque aussi lui-même son tir et la personne qu’il a blessée.
«J’ai dû mettre une pleine tête avec une [grenade] 200 [mètres].
— Haha, c’est bon ça !
— T’as bien visé mon Edouardo.
— T’inquiète.»
A d’autres moments, après les affrontements, plusieurs gendarmes se félicitent de la violence exercée contre les militants écologistes, et d’en avoir gravement blessé plusieurs. C’est par exemple le cas d’un militaire de l’escadron de Guéret, équipé d’un lance-grenade. «Je compte plus les mecs qu’on a éborgnés», dit-il à son camarade. «J’espère bien que t’en as éborgné», lui répond son interlocuteur. Puis, il conclut : «Un vrai kif.»
Ce gendarme, identifié dans l’enquête, est le seul à avoir reconnu des tirs tendus, mais en tentant d’en minimiser la gravité. «J’ai réalisé des tirs non conformes c’est vrai, mais pas vers une personne en particulier, je visais la manifestation», a-t-il affirmé. Et de préciser : «J’ai constaté que d’autres tireurs LG [lance-grenade] ont également effectué des tirs non conformes.» Le militaire n’a cependant pas été confronté aux propos captés par sa caméra.
La jubilation est partagée dans les rangs. A 15 h 32, un gradé de l’escadron de Grenoble échange avec un de ses camarades.
«Je suis au Nirvana là, on est sur l’Everest de la [gendarmerie] mobile.
— A tous les pilotes de Panzer, en avant [avec l’accent allemand] !
— C’est magnifique là.»
Un gendarme de l’escadron d’Aurillac, équipé d’un lance-grenade, évoque aussi sa joie dans un échange avec un autre militaire.
«J’ai signé pour ça mec, j’ai attendu dix ans de gendarmerie pour vivre ça.
— J’ai tiré 7 LBD, j’en ai couché au moins quatre des mecs.
— Mec, j’ai mis une pleine tête avec une [grenade] 100 [mètres], je l’ai bien vu.»
Un peu plus tard, un autre gendarme de la même unité dit avoir atteint un militant au visage.
«Y’a un enculé que j’ai eu à la tête mon gars.
— Ah ouais.
— Dis pas ça devant la caméra.»
«Tant que c’est des morts de chez eux»
Lorsqu’ils apprennent que des manifestants sont évacués entre la vie et la mort, les gendarmes ne semblent pas perturbés. «T’as entendu, blessé grave», dit l’un d’eux. Réaction de son interlocuteur : «Oui mais adverse, on s’en fout.» Plus tard dans l’après-midi, quand un gendarme évoque «cinquante blessés parmi les manifestants et quelques urgences vitales», l’un des coéquipiers rétorque que «ça leur fait la bite».
A 17 h 33, alors que la mobilisation est terminée, des gendarmes de l’escadron de Clermont-Ferrand discutent dans leur camion.
«C’est un trou de terre, il y aurait eu des morts juste pour un trou de terre, après tant que c’est des morts de chez eux…
— Exactement.»
Même réaction des militaires quand ils évoquent la situation d’enfants présents dans le cortège.
«J’espère que les enfants sont partis quand même.
— Ils sont à la garderie.
— Non y’en avait, ils disaient que dans le cortège y’avait des gamins.
— Ah ouais, bah c’est le jeu, fallait pas les emmener.»
Une hiérarchie qui nie les ordres de tirs tendus
Le général Samuel Dubuis, à la tête du dispositif le 25 mars 2023, a été entendu comme témoin par les enquêteurs. Questionné sur d’éventuels ordres de tirs tendus, il affirme n’être au courant de rien. «Je n’ai à aucun moment ordonné ce type de tirs, n’ayant eu de cesse de rappeler à tous la parfaite maîtrise de l’utilisation de l’emploi de nos armes», se défend-il. Et ajoute : «Je n’ai par ailleurs entendu aucun ordre donné en ce sens, auquel je me serais de toute manière fermement opposé.» Le haut gradé n’a cependant pas été confronté aux images accablantes pour ses troupes. Même carence pour les commandants des différentes unités déployées ce jour-là. Seuls deux, sur la douzaine interrogés, reconnaissent que des gendarmes placés sous leur autorité ont effectué des tirs tendus.
Dans un procès-verbal de synthèse, l’IGGN estime que ces pratiques relèvent seulement de dérives individuelles de quelques gradés, évoquant des ordres de tirs tendus «à la marge». Même si d’autres gendarmes aussi «ont à plusieurs reprises effectué des tirs qui ne semblent pas conformes».
D’autres problèmes apparaissent à la lecture de la procédure menée par l’IGGN. Pour trois des escadrons mobilisés autour de la mégabassine de Sainte-Soline, aucune image de caméras piétons n’a été récupérée par les enquêteurs. Face à ces carences de l’enquête, l’avocate Chloé Chalot, qui défend les plaignants, demande «un nouveau travail de retranscription, beaucoup plus exhaustif» et juge que «les enquêteurs n’ont pas confronté les gendarmes en cause aux comportements constatés et propos tenus, malgré la gravité et les conséquences de ceux-ci».
Contacté à propos des faits découverts dans les vidéos et des insuffisances des investigations, le procureur de la République de Rennes, Frédéric Teillet, affirme que «si ces images révélaient d’autres infractions pénales que celles dont il était saisi, la procédure prévoit que le service d’enquête en informe le parquet». Or, cela «n’a pas été le cas», ajoute-t-il, sans plus d’explications. De son côté, la direction générale de la gendarmerie nationale affirme ne pas connaître le contenu des vidéos captées par ses propres caméras.
(1) Le prénom a été modifié.
Poster un Commentaire